Petite légende du réservoir de la Baronnie d’Arnac

« Mais pourquoi les chantiers devraient-ils être défendus ?
Je m’engage à ce que les règles et procédures habituelles soient respectées. Et nous ferons circuler les hérauts afin que tous entendent la bonne nouvelle », s’étonna le Préfet.

paru dans lundimatin#1, le 11 juin 2018

Le Baron de Boursac,
Chancelier Baron de la Baronnie d’Arnac,
Pair du Royaume de Collusion,
Grand Sénateur des Arrangements et des Étables,

Avait organisé un banquet royal, bien que simple Baron, en son castelet général.
Une réunion des chasseurs.
Tous des alliés.
En plus de toute la cour de la Baronnie et des chefs des Étables, étaient conviés les grands concessionnaires, ceux qui se disent (pro)moteurs du développement local et national.
La soirée des conjurés avait à peine commencé, que le Comité des Industriels des Plantes Assoiffées (CIPA) fit entendre sa voix grave, de plus en plus haute.
« Nous voulons de l’eau », criaient-ils, en levant leurs verres remplis du vin doux qui faisait la gloire de la Baronnie, avec ses si célèbres pots de vin.

Le Baron de Boursac, qui n’aimait pas mécontenter ses fidèles amis chasseurs, aussi contributeurs à la bourse du Baron que chasseurs des subventions que le Baron pouvait leur déléguer, le Baron, donc, écouta avec attention leurs doléances, reprises en cadence.

« Nous qui sommes les créateurs des richesses, qui impulsons et sommes le moteur du développement local, qui apportons des recettes nationales au Royaume par nos exportations ou nos substitutions aux importations, qui générons des emplois très qualifiés de mécaniciens,
NOUS VOULONS DE L’EAU.
Nos plantes industrielles d’exportation sont menacées par la soif, menaçant par là-même toute l’économie locale et nationale. »

Le Baron alors se leva, attendit que le brouhaha, qui avait suivi le chant des doléances, se calme.
Et, plus que royalement, annonça :
« Mes fidèles amis chasseurs, j’ai bien entendu votre peine.
Que pensez-vous d’un nouveau réservoir ? »
La joie fraternelle des avinés fut à son comble. Et tous chantèrent au pas des ours :
« Un réservoir, un réservoir, … »
Le Baron continua, impérial cette fois-ci :
« Je m’engage à vous faire construire un grand réservoir que l’on verra briller la nuit depuis la lune.
Par mon autorité baronnesque, confirmée par la Maison Royale depuis un demi-siècle, de ce mot je fais lancer les projets, les études et les mises en œuvre.
Nos amis de la gauche, du Comité des Fortifications (ComFor), se chargeront de la réalisation de l’ouvrage.
Il ne saurait y avoir d’obstacle à mes décisions.
Les chefs des Étables trouveront les formules adaptées.
Mais j’exige de tous le soutien complet à mon gouvernement.
Monsieur le Préfet du Pétoire, faites circuler le tronc pour le denier de la soif et engagez les finances générales.
Prévenez votre collègue de la Garde que les gens d’armes se tiennent prêts à protéger les chantiers. »

« Mais pourquoi les chantiers devraient-ils être défendus ?
Je m’engage à ce que les règles et procédures habituelles soient respectées. Et nous ferons circuler les hérauts afin que tous entendent la bonne nouvelle. » s’étonna le Préfet.
Le Baron ne put retenir un énorme soupir d’agacement.
« Mais, Monsieur le Préfet, les Ligues des Graines Tempérantes (LGT), ces ligues frondeuses cherchent toujours à ralentir le développement économique jusqu’à promouvoir l’écoterrorisme des casses.
Si nous n’arrivons pas à construire le réservoir avant que ces ligues de chienlit ne puissent mobiliser, je vous souhaite de bonnes nuits explosives.
Ces factieux refusent les règles de bienséance et prétendent même que nos comités, souvent secrets disent-ils, les contournent cyniquement.
Rien n’est pire que les Purs.
Que les gens d’armes soient désormais sur le pied de guerre. »

En effet, dans la Baronnie, comme partout ailleurs dans le Royaume, se soulevaient des Jacques.
Se rebellaient contre la morgue des comités, contre le mépris des conjurés de l’économie, retranchés derrière une Charte de délégation sans responsabilité (Charte ayant généré une foultitude de comités à irresponsabilité illimitée, C2I).
Des pinailleurs, pensaient le Baron, toute sa cour et les amis chasseurs de primes.
Des ennemis de l’ordre nécessaire.
Des ennemis qui ne cherchent qu’à déplacer les virgules des textes de la Charte, plutôt que de chercher à en comprendre l’esprit. L’esprit de l’enrichissement rapide des (pro)moteurs pour le développement de tous.
Car l’esprit des lois déléguait tout pouvoir au Baron de négocier avec ses amis intimes. « Ma véritable famille » aimait-il répéter, la larme facile.
L’esprit des lois déléguait même le pouvoir de contourner, si nécessaire, les lois et les textes, de les interpréter au seul bénéfice des concessionnaires.
Pour la Grandeur économique du Royaume.

Des opérations lourdes de construction pouvaient être faussement inscrites comme de simples concessions limitées d’entretien.
Si nécessaire les sicaires de la Garde pouvaient effacer des dossiers, et les gardiens des Étables qui les avaient constitués.
Entre les fabriques despotiques, les moulins agricoles sataniques, les concessionnaires du Comité des Fortifications (ComFor), les comités d’aménagement et de déménagement, les sociétés mixtes familiales, la cour et les Préfets et les Chefferies des Étables, se jouait une douce musique de chaises tournantes.
« Tous cumulards, du lard plein le cul ! Vive Cunégonde ! » criaient les pinailleurs réunis.
« Tous pantoufleurs, la nuit du 4 août vous attend ! »
Le Président d’un Conseil pour l’eau ruisselante pouvait être un membre imposant de la cour ainsi qu’un allié d’un maître des moulins, son beau-frère, par exemple, ou, encore, pouvait être membre honoraire du Comité des Industriels des Plantes Assoiffées (CIPA).

Quant aux pinailleurs, interdits de cour, de participation aux conseils et, évidemment, aux comités secrets, jamais consultés, ils ne pouvaient plus que trépigner de colère jusqu’à l’émeute ou la jacquerie.
Le soulèvement des Jacques.
Le seul recours (interdit) que permettait la Charte sacralisée.
Ce recours qu’attendaient les gens d’arme.
Car la force meurtrière des armes est le seul et dernier et véritable recours (autorisé) de la délégation fuligineuse.

Le fantôme de « la démocratie » faisait tinter les chaînes.

La marche forcée du progrès économique monopolisé, protégée par un pouvoir despotique, rapidement dynastique (comme dans ces états, unis pour la démocratie), manipulant les textes des Chartes, pouvoir formant une grande cour de chasseurs engagés, cette marche du destin exclut évidemment le débat, surtout contradictoire.
Et finalement, c’est toujours la concentration militarisée de la violence institutionnelle (la violence extrême de calme institutionnel) qui est opposée aux Jacques.
« Il n’est pas possible que des gens excités imposent leur volonté irrationnelle. »
Seule la violence royale est légitime.
Il est seulement possible que des comités secrets, prenant des décisions accélérées (fast track), maintiennent indéfiniment leur pouvoir sclérosé.
Leur pouvoir sans contre-pouvoir, sans jamais tenir compte des pensées divergentes.
Pourquoi écouter et réfléchir, voire apprendre, lorsque le club des bons amis chasseurs constitue un entre soi chaleureux, une bonne société où il fait bon boire au-delà de la soif.
Le despotisme des notables qui se vrille dans l’économie des comités des fabricants.

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