Pénélopegate - Un détail de l’histoire

De quoi Pénélope est-elle la porte ?

paru dans lundimatin#95, le 1er mars 2017

"L’articulet sur Pénélope (et François) a été écrit dans ma tête alors que, attendant chez le coiffeur, hier matin, je lisait Paris Match !
Puis j’ai trouvé hier soir l’article de Médiapart commentant celui de Paris Match.
Il m’a semblé jouissif de proposer un commentaire (de commentaire - mais sans références) décalé de « l’affaire ».
C’est pourquoi je me suis mis très tard à l’ouvrage en essayant de retrouver ce qui me semblait si limpide le matin (en lisant Paris Match !!).

Je ne sais si « l’actualité » commentée et déplacée vous semblera intéressante."

Le candidat du peuple (de droite) en masse, François Fillon, s’est défendu, avec sa hargne habituelle, en décrivant son « affaire » (Pénélopegate) comme un détail sans importance.
Sans importance relativement à l’espérance pétainiste dont il est l’envoyé.
François-le-pratiquant est sans (aucun) doute un « voleur ».
Mais un « voleur légal ».
Comme tous les délinquants en col blanc cravate.
Un « politicien véreux », comme il y a tant de « banquiers véreux ». Tant de piliers de l’ordre, fraudeurs.
Un délinquant d’exception, cependant, puisqu’il est membre actif d’une onorata societa où il est loisible de s’autoamnistier, en « faisant la loi », comme de vulgaires gangsters.
Où il est possible de faire (bon) usage d’un état d’exception courant, l’immunité juridique, pour cacher sa corruption.
Où il est possible d’éructer sur « la séparation des pouvoirs » : les petits juges n’ont pas à enquêter sur les actes des hommes politiques, il n’y aura jamais de commission « mains propres » en France, où il est possible de cracher cette séparation comme un bouclier protecteur de toutes les turpitudes !
Alors que cette division a été inventée pour limiter et contrôler (justement) les actes législatifs et de gouvernement, pour instaurer des contre-pouvoirs, rétablir des équilibres, elle devient l’alibi des petits mafieux locaux se voulant intouchables.

Mais au-delà du feuilleton édifiant des mœurs de Chicago-sur-Seine, une grande leçon peut être tirée de la petite histoire.

Revenons sur le cri du cœur du voleur immunitaire : ce n’est qu’un détail sans importance, regardez la grandeur de l’œuvre pour laquelle j’officie.
Regardez la splendeur de l’office. L’œuvre rend toute chose et les plus basses actions impeccables.

Que signifie cette hiérarchie métaphysique entre l’essence (la grandeur, la splendeur, l’opus dei) et l’accident (la magouille familialiste) ?

Donnons d’abord une réponse directe et malotrue, que nous expliciterons après :
L’hôtel de passe de Vichy, le tripot gouvernemental, est la métonymie du pouvoir ou de son ordre.

Notre voleur légal, protégé par sa maison mafieuse, avec morgue peut vomir :
Du point de vue des hauteurs où je suis installé, ce que vous nommez « délinquance en col blanc cravate », tout un bestiaire, vol, corruption, abus de pouvoir, qui se résume en abus de biens sociaux et combien d’autres « passe-droits », tout cela, bien simplement, n’existe pas.
Consultez mes avocats.
Et ce n’est qu’un infime détail, au reste si commun, sans importance, dont le souvenir s’effacera dans l’éblouissement du soleil levant.

Anarchiste couronné, illégaliste légal, ou chef de bande avec sa dure loi de clan, à l’intérieur, sans souci de la légalité, à l’extérieur, le voleur légal qui exige, comme le plus saint office, de contrôler toute action et toute dépense, s’exonère, lui, de tout contrôle, légalement, « en faisant la loi ».
Non pas un pouvoir d’exception avec son paradoxe d’être nécessairement hors-la-loi (de suspendre la loi) pour défendre la loi, mais plutôt la normalité durable du pouvoir oligarchique, de ce gris qui génère la splendeur si colorée.
La loi ou le contrôle sont faits pour diriger les administrés ou les gouvernés. Mais le législateur, lui, n’a pas de comptes à rendre ni de loi à subir, puisqu’il peut la corriger « selon son bon vouloir ».
L’amour de l’ordre, l’amour de la loi, l’amour du législateur, l’amour du chef et des chefferies, le charismatique, l’acclamation, suffisent à perpétuer la délinquance cachée sous l’immunité.
L’ordre royal et souverain, sa hauteur divine et ses neiges immaculées, ne connaît, ne veut connaître, que l’intégrité, la pureté, l’innocence, et réclame pour ses basses œuvres une présomption d’innocence illimitée.
Système ou fonctionnement innocent, car « tout rationnel », une immaculée institution, dont les règles s’imposent impeccablement, et dont l’officier corrompu (ripoux) n’est que le fonctionnaire, lui-même parfait, irréprochable.
Les deux corps de l’officier !
Dure est la loi. Dur est son exécuteur.
Puritain sans doute. Élu protégé du divin.
Mais (grand) puritain (petit) voleur.

Il n’existe pas de système TOTALEMENT intégratif et immunitaire.
La subsomption réelle et intégrale n’existe que dans le discours des hauteurs dominantes.
Mais ces hauteurs sont béantes.
Comme la loi est plus que faillible, faillie, par un envers permanent d’illégalité.
Comme la force de l’ordre procède sans se soucier de la loi ; exigeant même, comme pour le législateur protecteur, de « faire la loi ».
Même les mafias les plus autoritaires sont fracturées par des guerres intestines, des conflits violents de territoires ou pour le partage du butin.
Tout ordre est fracturé, failli, clivé.
Même si le clivage n’est composé que de réseaux infimes de fissures, de failles minoritaires, de minuscules cavités (ou zones), de grottes inconnues, ce sont des trouées, des éclaircies.

Que nous montre « l’affaire », après tant d’autres, avant tant d’autres, sans fin :
De quoi Pénélope est-elle la porte ?
Elle est l’ouverture par où se manifeste le chaos.
Elle montre que l’ordre contient sa négation.
Tout ordre est une tourbière ou une crapaudière, avec des « voies sécurisées », toujours menacées par les glissements du désir.
Tout ordre est un palud qui dépense une énorme énergie pour diffuser un brouillage, un camouflage, pour paraître impeccable, immaculé, innocent.
Dévoué au service du bien public.
Pénélope montre que l’anarchie, la fracturation immunitaire du socle de la réalité, est PARTOUT.
Le système totalisant se vautre dans une anarchie sinistre.
Et tout l’art de gouverner tient dans la capacité à effacer, à dénier, à forclore cette intime anarchie.
À réussir à présenter le système comme parfait et intégral.
Travail religieux remontant à la plus haute antiquité de la civilisation.
Et formulé philosophiquement : pourquoi y a-t-il de l’ordre plutôt que du chaos ?

Et maintenant que nous savons que nous sommes happés par la tourbière, maintenant que nous sommes dessalés, comment définir une éthique ?
Comment ne pas devenir un cynique immunitaire ?
L’indifférenciation, religieuse ou mafieuse, du légal et de l’illégal, du saint (sain) et du pervers, du bien et du mal finalement,
Non pas simplement faire le mal POUR mieux arriver au bien,
Mais la réciprocité radicale de l’illégal et du légal, selon les circonstances, selon les niveaux,
Cette indifférenciation ou réciprocité OUVRE à la plus grande liberté,
En indiquant qu’il est un DEHORS de l’ordre.
Voilà où conduit la porte de Pénélope, là où elle ne voudrait pas aller, mais où elle est poussée.

La loi de la police n’est qu’une loi perverse, faillie, qui cache la violence la plus constante.
Son envers illégal, « les bavures », autres détails de l’histoire, peut être retourné en lutte contre les SCÉLÉRATS – les scélérats sont des rats, rational actors, fonctionnant à l’immunité.
L’anarchisme des policiers ripoux, comme celui des politiciens véreux, peut être retourné en anarchisme combattant.
L’illégalisme pour promouvoir la loi contre le légalisme agissant pour l’illégalité.

Fillon l’anarchiste, Fillon le curé – faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais –, Fillon le filou, l’anarchiste filochard, le hors-la-loi, Fillon le Laval ou l’avatar de Laval, voilà des qualifications extra-juridiques de Fillon l’innocent, de Fillon l’impeccable.
Voilà des termes contradictoires qui désignent les déchirures de l’habit ecclésiastique, les trous et les béances qui cassent l’œuvre.
Derrière, sous, au-delà de la supposée rigueur, de la supposée totalisation intégrale, de la dureté de la loi et de la rationalité du système, il y a la trouée, l’éclaircie, la RÉVOLTE qui gronde, le refus des illégalités légales ou des violences organisatrices des gouvernements et de leurs polices, il y a la SORTIE de la loi aussi bien que de la loi morale professée pour une éthique, enfin, plus haute.
Il y a la RÉVOLTE de la liberté.

Alors ?
Fillon, l’anarchiste filochard, dans la rue avec les révoltés ?
Impossible !
Car sa morale étriquée de gangster, son conformisme autoritaire ébloui par l’argent, sa dépendance à la fortune, tout cela le rend tordu, contorsionné, croqué en une figure à la Picasso, l’œil perpendiculaire à la bouche, tout ce ressentiment explique qu’il soit l’avatar de Laval.
Fillon est cassé (en deux) par son anarchisme de loubard. Non pas libéré par lui.
Son existence repose sur la dénégation de la pulsion qui l’entraîne.
En dérivent le ressentiment noir, la vengeance en bandoulière, la revanche comme motif.

Amis révoltés, regardez ce que Fillon vous apporte : la démonstration de la réversibilité de la loi et de l’illégalité, l’affirmation que l’ordre stable, mais scélérat, de la police, sera retourné, que le policier, force de la loi dans l’illégalité, sera renversé.
Qu’il ne peut exister de « donneur de leçons », ni puritain, ni pétainiste ;
Que seule la révolte est logique et « rigoureuse », contre la rigueur mensongère des prêtres coupeurs de bourses.

Amis révoltés, votre éthique des rues ouvertes, inventive et créative, est la justesse, contre la justice des murs perpendiculaires.

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