Outrage et rébellion

[Poésie]

paru dans lundimatin#181, le 4 mars 2019

Reposons-nous en silence
Entre les interstices meurtris
De cette routine meurtrière
Car pour nous demain étant un autre hier
L’avenir n’existe que dans la rupture.
L’eau froide dans une baignoire
Le plafond se craquèle
Ils méprisent notre présent
Nous détruirons leur avenir.

Outrage et rébellion.

***

J’ai les pieds qui nagent dans les chaussures de sécurité
La clope fumée sur le parking
Des casiers sans cadenas
Equipe de nuit
Equipe de jour

Outrage et rébellion.

***

Au service de l’attente
Ils attendent mon service
Ils rongent avec les yeux
Les clients

Ils attendent un besoin
Ils ont besoin de mon attente
Ils aiment avec les ongles
Les clients

J’attends l’heure de sortie
J’attends l’heure de sortie
Ils s’impatientent avec les dents
Les clients.

Outrage et rébellion.

***

On supporte les grandes souffrances
On supporte les petites blessures
On supporte tout un vécu
Et même les simples violences
On supporte la pluie derrière la vitre
On supporte la suie comme dernier arbitre
On supporte le bruit de l’aspirateur
Et même les ordres des employeurs
On supporte les mauvaises chansons
On supporte les parfums trop forts
On supporte la lumière de la lune
Et celle du soleil
On supporte les chaussures trop petites
On supporte la tête sur les épaules
On supporte les tortures au tarif
Et de perdre le fil de l’époque
On supporte l’attente et l’ennui
On supporte la guerre pour la paix
On supporte l’argent et l’agent
Et même l’injonction au pacifisme
On supporte la République et l’Etat
On supporte la rue et ses poussières
On supporte les boulots sous écrous
Et même l’avenir d’une carrière
On supporte mensonges et gouvernements
On supporte petits chefs et contremaitres
On supporte les semonces de ses parents
Et même la vérité la plus vraie
On supporte la vie sans aspérités
On supporte la mouche dans le potage
On supporte l’autre sans altérité
Et même une prise d’otage
On supporte être femme ou être homme
On supporte être amoureux ou seul
On supporte être jeune être vieux
On supporte leur Singe et leur Dieu
On supporte la pluie derrière la vitre
On supporte la pluie derrière la vitre
On supporte la pluie derrière la vitre
On ne supporte juste pas
Le fait
De supporter.

Outrage et rébellion.

***

La vitre est sale
Le soleil à peine s’y bloque
Etale des insomnies
Jalousie d’époque
A celle qui dort le moins
A celui qui bois le plus
A celle qui chante bien
Réciproquement
Inversement nananana

On connaît le registre
Saleté de journée de merde
Il fait jour et je suis bloqué
La gueule trop pâteuse
Apathique
Apathie, empathie
Réciproquement
Inversement nananana

Une bière dans le chomâge
Une bouée à l’eau
Boum
Elle perce
Macron supprime l’impôt sur la fortune
Et les travailleurs aidés
Guerre sociale

A celui qui gueulera le plus fort
Qui criera le plus loin
Et inversement Réciproquement nananana

J’en ai marre la vitre est sale
Et le soleil à peine s’y bloque
Bloqué

Outrage et rébellion.

***

« Bon allez, moi, je vais faire un petit tour »

Je promène mon costume trop large
Entre les rayons de lait, d’œufs et de ketchup
Une illusion
Il n’est pas taillé pour les patrouilles, ce costume,
Trop large
Et je suis un patrouilleur.
Flic contre moi-même
Entre les tomates et les clients
Vigile des supermarchés
Vigie bon marché, qui coule,
Dans un monde qui fond
Entre l’huile et la viande
Intérim de la banquise
Je glisse sur les clients.
Voleur de chaque instant
Parce qu’inutile mais bien là
Donc je vole des bribes de récit
En glissant sur les clients
Entre la farine et les cosmétiques
J’accuse ceux de mon espèce
Ceux des costumes trop larges
Mal taillés
Qui flottent entre les spots et l’alcool
Ceux des costumes trop larges
Qui deviennent écume et vapeur
Au lieu de prendre forme ;
Je glisse sur les clients
Qui eux glissent usés et abimés
Entre les rayons et les caisses

Outrage et rébellion.

***

Partir
Pour défaire ce qui nous a fait
C’est l’apanage de ceux qui sont déjà quelque chose.
Nous, ombres titubantes,
D’ici et de là mais pourtant bien d’ici
Même le bistrot du coin
Refuse notre prénom.
On essaie d’exister
Par la force de nos pieds
Par la force de nos choix
Mais la nuit est bien trop froide
Et le soleil le jour prend toute la place

Gelé avant d’être
Humain avant astre
Nous collons

Nous collons
Comme une table de bière
Où s’est répandu la cendre
Et des rires trop lourds
Nous collons trop

Nous collons trop
Et les mouches ne parlent pas
Elles zigzaguent

Outrage et rébellion

***

Un peu aigrie
D’avoir tant douté
J’écris un peu
Sans tout écourter.
Le bruit des trains
Ou celui des voitures
L’étreinte d’une cuite
Aux soirs de rupture.
Bref, le putain de boucan
Cambouis ordinaire des jours
Qui s’enfilent en goutte-à-goutte
Chapelet de chapelure en croûte
J’ai longtemps douté
D’un potentiel espoir
Qui longuement s’éclipse
Pour alourdir l’essentiel :
Pas de doute possible
C’est une vie de chien
Parce que le bruit y est permanent
Une société marchande.

Outrage et rébellion.

***

Un réveil décalé
Chaque idée vient en retard
Marcher avec deux chaussures attachées
Lacets tacites autour des chevilles
Gestes entravés
Car les gens sont des menottes.
Encore une journée si belle
Souffretante qu’un souffle balaie
Dès que le camion poubelle emporte les soirées en bouteilles
Dès qu’une grève s’arrête
Dès qu’un con dit quelque chose
Réaction décalée
Éclipse permanente
Des humeurs enchâssés
Un châssis trop près du sol
Que chaque dos d’âne arrache,
Embûches quotidiennes
Du dentifrice pâteux et dégeulasse
À la pâte à tarte périmée
Qu’on mange tout de même parce qu’on a faim.

Une journée décalée
On baisse la tête pour éviter la matraque
Alors qu’on se douche chez soi…
On répond oui alors qu’on pense non…
On se justifie sans personne pour attaquer…
Les autres sont des menottes
Les autres sont des flingues braqués sur nos tempes
Le temps qu’on s’y habitue
On est déjà mort
Comme le temps de comprendre un poème violent
Un cercueil décalé
Parce que beaucoup rêvent d’une tombe en marbre
Mais elles sont beaucoup trop chères.

Outrage et rébellion.

***

Toujours peur d’être pris en photo
Par le portable de quelqu’un
En face
Sourire sur ma face débile
Bile ridicule
Dans ma gorge
J’ai pas la bonne tête
J’ai pas de belles fringues
Moche
Des boutons
Arrêtez de me regarder.

Outrage et rébellion.

***

Ça sent la fumée
Dès qu’on ouvre la fenêtre
Du bitume ancien
Sous du béton neuf
Des graviers accrochés aux pupilles
Qui nous piquent
Jusqu’à l’oreiller.

Dormir
Pour quoi faire ?

Si demain est brutal
Si le rêve est éventré 
Pourquoi dormir ?

Alerte à la pub
Étalée, crue,
Étalée sur notre plus bel espoir
Bon
À quoi ça sert
De se faire pousser les ongles
Pour être belle
Si demain est sécateur ?

Outrage et rébellion

***

C’est mon premier jour et je pisse blanc
Comme avant de jouer une coupe du monde
Au vestiaire

Les urinoirs sont bouchés
Mais pas question de les nettoyer
Je ne toucherai pas à la peur distillée des autres.

Dire qu’hier je tenais la rue
Face à la police :
Parmi les émeutiers,
Combien sont rentrés en transpalette ?

Outrage et rébellion.

***

Une nouvelle semaine commence
Ou serait-ce déjà un nouveau mois ?
Simplement une heure de plus ?
Il paraît que la répétition signe la récidive :
Je suis coupable
Une nouvelle fois
Nous sommes coupables
Des récidivistes multiples
Des éclipses d’ennui qui solticent vos étalages
Entre équipe de nuit et équipe de midi
Des saisons infertiles aux secondes infinies
Intérimaire épineux
Hérissons des grandes surfaces
Comme eux
Nous mastiquons brutalement nos viandes les gencives au sol
Une fois que la lumière a déserté vos journées.

Outrage et rébellion.

***

Le son des sirènes imprimé dans le crâne
J’écoute la chute de mon automne
Tombé en cendres du ciel enfumé
Des bouts de barricades qui se consument
La rage ronge les mains
De tous ces gens qui pourrissent
Comme des pommes oubliées au pied des arbres
Les pierres volent et dérapent
Les voitures brûlent ou détalent
Débris de verre
L’hiver s’annonce chaud
Tant mieux

Outrage et rébellion.

***

Un poème à létalité réduite
Incapable parce qu’incapacitant
Les deux mains derrière la tête
A genou sur le sol meuble de l’époque
Où nos brosses à dent numériques surveillent notre salive

Sensations de brûlures au niveau des glandes lacrymales et des voies respiratoires
Pronostique impatient
Comparution immédiate
Pour nous faire dire

  • La violence sociale est un mythe.

Les blindés sortent du brouillard
Le pacte est rompu
Pourquoi personne ne se soulève plus souvent ?

Présent de dernière instance
L’avenir à létalité augmentée
Fourrière de l’imprévu
Des projectiles dotés d’une énergie importante
Poème sublétal
Inaperçu
Avant que le sang ne se répande
Partout sur tes tempes.

Outrage et rébellion.

Winca

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