Oreste Scalzone contre la montre [intégral]

L’Italie dans les années 70 : La naissance d’un mouvement insurrectionnel de masse et son écrasement. Entretiens.

paru dans lundimatin#66, le 22 juin 2016

77 n’a pas été comme 68. 68 a été contestataire, 77 a été radicalement alternatif. Pour cette raison, la version “officielle” présente 68 comme le bon et 77 comme le méchant ; en fait, 68 a été récupéré alors que 77 a été anéanti. Pour cette raison, 77 ne pourra jamais, à la différence de 68, être un objet de célébration facile.
Nanni Balestrini, Primo Moroni, L’orda d’oro

La nouvelle d’une situation insurrectionnelle en Italie, situation qui dura plus de dix ans et à laquelle ON ne put mettre un terme qu’en arrêtant en une nuit plus de 4 000 personnes, menaça à plusieurs reprises de parvenir jusqu’en France dans les années 70.
Il y eut d’abord les grèves sauvages de l’Automne Chaud (1969) que l’Empire vainquit par le massacre à la bombe de Piazza Fontana. Les Français, chez qui « la classe ouvrière (ne) saisit des mains fragiles des étudiants le drapeau rouge de la révolution
prolétarienne » que pour signer les accords de Grenelle, ne purent alors croire qu’un mouvement parti des universités ait pu mûrir jusqu’à atteindre les usines. Avec toute l’amertume de leur rapport abstrait à la classe ouvrière, ils se sentaient piqués au vif ; leur Mai en aurait terni. Aussi donnèrent-ils à la situation italienne le nom de “mai rampant".
TIQQUN 2, Ceci n’est pas un programme, 2001

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L’histoire est écrite par les vainqueurs, c’est un fait entendu. Ce n’est pas un hasard que l’on ne sache rien, ou presque, en France, de ce qui s’est déroulé pendant plus d’une décennie de l’autre côté des Alpes : la naissance d’un mouvement insurrectionnel de masse et son écrasement.

L’Italie, dans les années 70, c’est avant tout l’explosion de toutes les formes classiques de la politique. Dans son excellent livre Autonomie !, Marcello Tari désigne un communisme « impur, qui réunit Marx et l’antipsychiatrie, la Commune de Paris et la contre-culture américaine, le dadaïsme et l’insurrectionnalisme, l’opéraïsme et le féminisme ». L’autonomie fut un mouvement de refus de masse dans la jeunesse. Refus de l’État et du capitalisme autant que des syndicats et de la gauche parlementaire. Refus de la représentation, du travail et de la distribution des subjectivités. Ce fut une guerre civile de basse intensité autant qu’une décennie d’expérimentations politiques, affectives et révolutionnaires.

Oreste Scalzone fut, entre autres choses, l’un des dirigeants de Potere Operaio, une organisation née en 1969. Trois axiomes politiques sont privilégiés : le refus du travail, la construction d’un parti de l’insurrection et la conflictualité permanente. La carrière politique de M. Scalzone lui valu les honneurs de la justice italienne qui l’arrêta en 1979 afin de le poursuivre pour association subversive terroriste et « tentative d’insurrection armée contre le pouvoir de l’État ». Il parvint à fuir l’Italie et à se réfugier en France.

Lundimatin a choisi de demander l’impossible à M. Scalzone : raconter dix années en dix dates à raison de dix minutes par date. Un feuilleton forcément lacunaire, une bataille contre la montre. Comme vous le verrez au fil des épisodes, le vainqueur ne fut pas la montre.

Introduction

I. Juillet 1960

En 1960, le président démocrate-chrétien du conseil italien, Tambroni, souhaite intégrer des membres du parti fasciste MSI dans son gouvernement. Organisant un meeting politique à Gênes, ville historique de la Résistance, il est accueilli par une manifestation qui vire à l’émeute populaire. Tandis que les dockers manifestent au cri de “Azet 36, fascista dove sei ?” [Clé à molette de taille 36, où es-tu fasciste ?], la jeunesse rebelle en “tee-shirts rayés” à la mode de l’époque s’affronte avec les flics au cours d’une révolte généralisée. Des anciens partisans préparent les armes qu’ils n’ont jamais rendues et établissent de véritables plans de bataille... Finalement, le meeting sera annulé, le PCI et les syndicats hurleront aux provocateurs contre les jeunes voyous et le gouvernement présentera ses excuses à la ville de Gênes.

II. Juillet 1962 Piazza Statuto

Comment les ouvriers de Fiat ravagèrent Turin et le siège du Syndicat Italien de l’Automobile. Comment Agnelli exportait ses méthodes de productions vers l’URSS. Comment les fondateurs de la revue Quaderni Rossi furent traités de meneurs et de voyous par le parti communiste. Comment la plus fameuse bande de braqueurs de banques devint un symbole pour la jeunesse politisée.

III. La Bataille de Valle Giulia - 1er mars 1968

En février 1968, l’université de Rome avait été l’objet de nombreuses initiatives politiques, certaines coordonnées par des enseignants de la même faculté et qui s’étaient joints à l’occupation des locaux des étudiants. Le 29 février, les locaux furent évacués par la police à la demande du recteur Pietro Agostino D’Avack. La police resta sur place.

Le 1er mars 1968, approximativement 4 000 personnes se rassemblèrent Piazza di Spagna. De là, le cortège se sépara en deux : une partie se rendit vers la cité universitaire tandis que la majorité des étudiants se dirigea vers Valle Giulia avec l’intention d’occuper la faculté que la police avait investie. Arrivés sur place, les étudiants affrontèrent un imposant cordon de forces de l’ordre. Un petit groupe de policiers se sépara du cordon, ils capturèrent un étudiant et le frappèrent provoquant une réaction immédiate des étudiants qui lancèrent des pierres et d’autres objets.

Les affrontements dégénérèrent rapidement sur tout le campus et, étonnamment, les étudiants s’avérèrent être en mesure de résister aux charges de la police, contrairement à ce qui s’était passé lors des affrontements des mois précédents.

IV. 16 mars 1968 - Assaut contre les fascistes à l’université de Rome

V. 3 Juillet 1969 - Les ouvriers de la fiat embrasent Turin

1968 se termine sur les chapeaux de roue. Le 7 décembre, alors que toute la bourgeoisie milanaise se rend à la première de la Scala, des centaines de manifestants sont là pour les lapider d’oeufs et de condiments. Préhistoire de l’entartage. En écho à Pise, le 31 décembre, des étudiants décident d’aller gâter le réveillon des milliardaires qui a lieu à la Bussola. La police tire dans le dos d’un étudiant, deux jours d’émeutes.

Il est prévu qu’à l’automne 1969, les grands contrats collectifs de travail soient rediscutés. Préventivement, la mouvance opéraïste « qui n’avait pas fait le choix de la longue marche dans les institutions et dans le PCI » fonce dans les usines pour radicaliser les ouvriers. Le mot d’ordre est d’anticiper la renégociation des contrats de travail et d’inciter à débrayer sans s’en référer aux syndicats. Le 28 mai 1969 les ouvriers de la Fiat de Turin débrayent.

À cette période, Fiat embauche 15 000 ouvriers, c’est à dire 60 000 personnes qui débarquent à Turin. La question du logement explose. Le 3 juillet 1969, les ouvriers prennent la rue, brûlent les voitures sur les camions qui les transportent : sabotages, dévastations et charges des carabiniers. S’ensuivent 2 nuits et 3 jours d’émeutes insurrectionnelles.

VI. Mars 1971 - Occupation du quartier Casal Bruciato à Milan



En novembre 1969, une grève générale pour le logement est décidée. Lors de la manifestation à Milan, des étudiants démontent un échafaudage pour s’en servir de projectiles contre la police. Un fourgon de policiers se renverse et son chauffeur meurt. Le mouvement est alors directement pris pour cible par le Premier ministre qui promet une répression féroce. Afin de répondre à l’intimidation, une nouvelle manifestation est organisée. Les intellectuels de gauche sont invités à faire montre de leur respectabilité en tête du cortège. Mais malgré cela, la police attaque et manifestation repart dans le sens inverse pour parcourir tout Milan.
À cette période, les premières actions clandestines voient le jour. La police est sur les dents. Le célèbre éditeur Giangiacomo Feltrinelli annonce dans une lettre ouverte à la presse qu’il passe à la clandestinité et fonde le Groupe Armé Partisan.
La lutte autour du logement prend de plus en plus d’ampleur. Les ouvriers occupent massivement et illégalement les HLM vides.

Fin mars 1971, le quartier de Casal Bruciato est pris d’assaut par des dizaines de familles. La police intervient pour expulser ces centaines d’habitants soudains...

VII. 11 mars 1972 - Attaque du congrès du MSI à Milan

Au printemps 1971, Potere Operaio tient un congrès à Rome. Refusant autant toute forme de réformisme que d’être acculé à la clandestinité, les milliers de partisans de l’organisation appellent à « construire le parti de l’insurrection ».

Il ne s’agit pas de tomber dans le piège évident de « l’insurrection dans un seul pays » mais plutôt de donner un « caractère, une qualité insurrectionnelle, aux luttes ».

« Le passage entre le pouvoir constituant et le pouvoir constitué ayant été la tragédie de toute révolution, peut-être pourrait on essayer une puissance destituante ».

C’est aussi à cette période qu’apparaissent les premières tentatives de lutte armée.
Il y a les GAP de l’éditeur Feltrinelli qui attaquent ou sabotent les chantiers sur lesquels des ouvriers sont morts. Leur première action est signéé GAP Brigade Valentino Canossi du nom d’un ouvrier du bâtiment mort dans un accident du travail.

Il y a aussi le Collectif politique métropolitain qui plus tard, débouchera sur la création des Brigades Rouges. Sa composition est très hétérogène : des universitaires, des figures des comités de base de lutte dans les grandes usines, des étudiants travailleurs du soir, des ouvriers, des occupants de quartiers squattés. Un « prisme composite entre un maoïsme plus ou moins imaginaire et la contre culture américaine ». Dans l’année, ils adoptent le nom de Sinistra Operaia (la gauche prolétarienne) et sont en contacts avec les premiers noyaux de la RAF en Allemagne et des Nouvelles Résistances Populaires en France.

Le 3 février 1972, Idalgo Macchiarini, dirigeant de Siemens est enlevé par Sinistra Operaia. Le 8 mars, ce sont les Nouvelles Résistances Populaires, groupe armé affilié à la Gauche Prolétarienne, qui enlèvent Robert Nogrette, cadre de Renault. Le 21 mars, Ejército Revolucionario del Pueblo en Argentine, enlèvent Oberdan Salustro, directeur de l’antenne locale de la Fiat.
Le 14 mars, Feltrinelli meurt dans un accident alors qu’il était en train d’installer un détonateur au pied d’un pilonne émetteur de télévision.

VIII. 1973-1974 : Intermède

IX. Avril 1975 - Deux manifestants tués ; trois journées d’émeutes.

X. Italie 1976 - Jambisations, séquestrations et crèches auto-financées

Dans cette épisode, Oreste Scalzone raconte la tragédie des Noyaux Armés Prolétariens. Lorsqu’on s’en prend à la prison, l’État ne pardonne pas. Parallèlement, les luttes contre les restructurations commencent à paraître de plus en plus défensive et un peu vaines. Il s’agit de trouver de nouveaux terrains. Les actions clandestines et semi-clandestines quant à elles, s’intensifient. Oreste raconte les autoréductions de masse : un groupe armé se déploie autour d’un supermarché pour qu’à l’intérieur, tout le monde puisse partir gratuitement avec la marchandise ; des gens cagoulés pénêtrent dans les bureaux des pourvoyeurs de gaz et d’électricité et détruisent tous les ordinateurs contenant la comptabilité à l’acide, s’ensuit la gratuité de l’énergie pendant des mois ; un industriel de la viande est enlevé puis séquestré, sa libération est conditionnée à la distribution gratuite et hebdomadaire de viande dans les quartiers, etc.

Dans l’usine Marelli, quatre délégués du personnel autonomes sont licenciés du fait de leurs activités subversives. Peu de temps après, ils sont arrêtés par la police alors qu’ils s’entraînaient au tir. Ils commentent alors « la police est armée, les fascistes sont armés, les prolétaires seraient-ils les seuls cons à rester désarmer ? ». À peine sortis de prison ils sont réélus délégués du personnel dans l’usine. Au bout du rouleau, la direction leur propose 25 millions de lires chacun pour qu’ils abandonnent leur poste. Les quatre de Marelli acceptent l’argent mais l’utilisent afin d’ouvrir une crèche, ce que la direction s’était toujours refusée à faire.

XI. 1977 - L’insurrection

XII. 16 mars 1978, l’enlèvement d’Aldo Moro

Dans cette épisode, Oreste Scalzone revient sur l’enlèvement d’Aldo Moro et sur ce que cela a produit sur et à l’intérieur du mouvement.

XIII. Épilogue... à poursuivre

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