Nuit Debout : le chateau commun et sa destruction [vidéo]

« Notre manière d’aborder la guerre en cours, c’est de courir vite, de reconstruire, de se protéger, d’inventer, de peindre, de recommencer. »

paru dans lundimatin#59, le 3 mai 2016

Cela avait été largement annoncé : jeudi 28 avril, la « commission construction » de Nuit Debout lancerait des travaux d’aménagement de la place de la République afin qu’elle soit plus durablement et confortablement habitable. En début de soirée, plusieurs camions livraient divers matériaux à quelques dizaines de constructeurs outillés. Cet article raconte la suite. Tout d’abord, une vidéo de nos amis de Doc du réel puis un article que nous a envoyé l’une des bâtisseuse.

DUR DE CONSTRUIRE

Réflexions sur le château commun et sa répression

Bâtir un château

Les badauds questionnent souvent le geste de composer un habitat dont le matériau premier est la palette, dont la fonction est inconnue, dont la solidité est faible. À vrai dire, je n’ai pas compris et ne comprend toujours pas comment peut-on penser le nouveau monde sous un barnum, sans inventer ni créer de formes nouvelles. En l’inutilité première du château, nous pouvons projeter toutes les questions existentielles de l’art. Nous retrouvons du coup cette attitude qui montre que l’artiste ou le citoyen bricoleur n’a rien à envier à l’intellectuel de lettres : tisser le linceul du vieux monde, ce peut être rapide, spontané, instinctif et parfois incompréhensible.

La construction libre et autonome de châteaux sur la place de la république, devenue place de la commune pour beaucoup d’entre nous, suppose des évidences. Par exemple, les structures, à chaque fois un peu plus grandes, dépassent largement la superficie de nos appartements franciliens. Nous sommes carrément frustrés de ne pas pouvoir inviter nos potes à la maison, faute de place, et c’est une bonne raison de se retrouver massivement dans les rues malgré les interdictions. À cela s’ajoute l’arnaque complète du prix des loyers, indécents évidemment, et l’urbanisme souvent massif et froid, subi évidemment. Cerner les conditions de vie en Paris et sa banlieue, notamment des jeunes, c’est aussi comprendre la joie que l’on trouve à créer des espaces de gratuité et à les modeler soi-même.

Parler juste

La maire de Paris, Anne Hidalgo, a fustigé le mouvement « nuit debout » brandissant la « privatisation » qu’il impliquait. En fait, il faut le dire, ce mouvement emmerde les riches riverains et commerçants du coin, et c’est peut-être de ça dont elle voulait parler. De cela, d’ailleurs, je me réjouis. Les châteaux communs construits sur la place ont tous eu cette capacité à s’ouvrir sur les autres, d’abord parce qu’ils étaient la source de remarques et de questionnements, ensuite parce qu’ils sont destinés à qui veut. Ainsi, selon ses habitants, le château devenait un dortoir, une infirmerie, une cantine, une salle de concert, et deviendra peut-être une école, une ferme, une salle de boxe. Au lieu d’être privatisée, la place voit émerger cette forme de réappropriation collective et publique et ceci au cœur d’un monde privatisé : fast-foods, grandes enseignes et banques cernent la place, les kiosques à journaux, les velibs et les abribus sont gérés par le groupe JC Decaux, les autolibs sont gérées par le groupe Bolloré.

Le mouvement contre la loi travail s’étend évidemment à des positions anticapitalistes, antiautoritaires, antipublicitaires. C’est un monde qui est combattu, c’est une infinité de mondes proposée en alternative. Dans ce monde combattu, Anne Hidalgo n’a pas la palme de l’hypocrisie sémantique. Je l’attribuerais à Michel Cadot, préfet de police à Paris. Depuis l’épisode de la COP21, j’ai noté l’utilisation plus ou moins régulière des expressions « tirs de mortier » et « exactions » pour désigner respectivement dans le cadre de manifestations les jets de pétards et feux d’artifices ainsi que les violences à l’encontre des forces de l’ordre. La définition d’exaction est simplement « l’action d’exiger ce qui n’est pas dû » et dans le vocabulaire journalistique, il s’agit des violences envers des populations, notamment par des groupes armés. L’ironie de ce jeu de langage est sordide dans ce climat ultra-répressif.

Tenir bon

Au début du mois, un appel à construire proposait « de faire une ville à l’image de ce qu’on veut faire de nous ; précaires et voués à la destruction par les CRS. » Dans la nuit debout du 28 au 29 avril, pourtant calme mais durement évacuée et réprimée, Michel Cadot fait état d’aucun blessé. Ce manipulateur apprendra en lisant ceci que, rien que parmi mes proches, deux ont été hospitalisés plusieurs heures. Les coups de matraques ont distribué à l’un huit jours de soin et à l’autre six semaines de plâtre. S’il portait l’uniforme, mon ami, dont le corps était couvert de sang suite à une blessure au crâne, aurait certainement été placé en « urgence absolue ». La préfecture justifie cette brutalité policière par la présence de « constructions en dur » illégales, hors je ne considère pas qu’un édifice pouvant être détruit par la force des bras est une « construction en dur », je considère par contre le château fort comme la métaphore d’une nécessité défensive, collective et déterminée pour survivre.

Déployant un blocus, empêchant l’apport de matériaux, cautionnant le vol de nos outils, tabassant les occupants, la préfecture exprime bien plus justement son envie de nous détruire que dans ses communiqués. Dans cette même nuit du 28 au 29, dans cette époque où le ministère de la culture explique que l’art peut servir à canaliser les colères de banlieue ou même à être un « facteur de citoyenneté », les policiers ont mis à la poubelle une demi-douzaine de toiles peintes par des étudiants, ont démontré que l’État méprise définitivement les artistes.

La nasse de la république menace la place du château d’eau, du château fort, du château commun. Si nous perdons, il est vrai, beaucoup de batailles dans la rue, nous tenons bon et agissons à la manière des trois petits cochons. Notre manière d’aborder la guerre en cours, c’est de courir vite, de reconstruire, de se protéger, d’inventer, de peindre, de recommencer.

Louise Noir, bâtisseuse du château commun

PS :

Par ailleurs ce communiqué avait déjà été publié sur facebook.

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