Nos nuits n’ont plus besoin d’étoiles pour briller

« Nous parlons du plus grand dispositif répressif mis en place dans une métropole allemande depuis trente ans, et de son échec cuisant. Nous parlons d’un bordel sans nom, de ciel noirci par les incendies et de marée humaine ingérable. »

paru dans lundimatin#114, le 24 septembre 2017

De fidèles lecteurs nous ont signalé cet intéressant compte-rendu des évènements de Hambourg paru en toute discrétion dans un recoin du Dark Web germanique.

« L’Enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’Enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux manières de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’Enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’Enfer n’est pas l’Enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »
Italo Calvino

« On peut aimer une ville, on peut reconnaître les maisons, les rues dans sa plus lointaine et sa plus tendre mémoire ; mais c’est seulement à l’heure de la révolte qu’on appréhende vraiment la ville comme sa ville : elle est en même temps sa propre ville et celle des ’autres’ ; parce qu’elle est champ de bataille choisi par soi et par la collectivité ; parce qu’elle est un espace circonscrit dans lequel le temps historique est suspendu et dans lequel chaque acte vaut pour lui-même, dans ses conséquences absolument immédiates. On s’approprie davantage une ville en la fuyant ou en s’y exposant qu’en jouant, enfant, dans ses rues ou qu’en s’y promenant plus tard avec une fille. A l’heure de la révolte on n’est plus seul dans la ville. »
Furio Jesi

« Un jour viendra où ces avaleurs de feu que nous sommes se mettront à le cracher, et notre plus belle création sera l’œuvre des incendies que nous aurons ainsi allumés. »
Romain Gary

Vendredi soir
Chaud, estival
Des milliers de gens dans les rues
Des milliers de keufs aussi.
Des barricades flambent,
Depuis son appartement, un habitant balance du son
On danse en bas,
Et on y affronte les flics,
Pendant des heures.
Plus loin, on boit des bières, on discute, tranquillement
Supermarchés et magasins pillés.
L’une ou l’autre grand-mère et quelques jeunes masqués, les bras remplis...
Du chocolat et des MacBook pour tous !
Une banque est incendiée
sous l’oeil panoramique et impuissant des hélicoptères
Certains engueulent les manifestants cagoulés, d’autres les défendent et les remercient.
Ca en vient parfois aux mains, entre voisins.
Un couple survolté baise au troisième étage d’un échafaudage.
Dessous, un magasin de spiritueux aux vitres étoilées, le tenancier offre le vin aux passants –
« Il y a vingt ans j’aurais fait la même ».
A l’autre bout de SchanzenStrasse, une camionnette de flics et ses cinq occupants sont chassés par une douzaine d’émeutiers.
La peur a changé de camp.

Nous vivrons dans la mémoire des hommes qui n’en ont pas...

Depuis une semaine, dans tous les médias, journalistes, politiciens et militants responsables ne parlent que de ça, ne reculant devant aucune ignominie sémantique : « L’Alep allemand », la « terreur gauchiste », le chaos. L’inacceptable tient moins aux dizaines de millions d’euros de dégâts, aux images post-apocalyptiques, aux milliers de pavés et bouteilles jetés sur les flics, qu’à la situation elle-même : la présence simultanée dans les rues de milliers d’habitants d’Hambourg, d’émeutiers aguerris ou néophytes, de jeunes immigrés, de badauds et de protestataires de tous les horizons. Un moment quasi insurrectionnel dans une métropole allemande en 2017, cela ne peut qu’être condamné et étouffé à tout prix, ce n’est pas pour rien que certains ministres nous comparent aux nazis et aux terroristes de l’État islamique.

Les médias peuvent regorger d’histoires de gens traumatisés, par l’incendie de leur voiture, la destruction de leur vitrine ou la présence de leurs enfants d’un côté ou l’autre des barricades. Mais tous ceux qui ont participé de près ou de loin à ces moments savent ce qui nous a traversé ; ces joies, ces peurs et ces intensités, qui nous ont rendu tellement plus vivants que le cours normal de nos existences en régime capitaliste. Nous avons parlé avec de nombreux inconnus qui participaient pour la première fois de leur vie à un moment politique, et nous avons senti leurs enthousiasmes et leurs énergies. Tout le travail de propagande catastrophiste des médias vise précisément à conjurer cette joie et cette puissance qui ont été massivement partagées, instiller la peur de la situation hors-norme, rendre indésirable la perte de contrôle de l’État. Tous les journalistes d’Allemagne peuvent aussi bien se tuer à la tâche, rien n’empêchera que les participants aux jours et aux nuits d’Hambourg en garderont le souvenir réel, dans leur corps.

Il y a dans l’émeute une incandescence de la présence à soi et aux autres, une fraternité lucide que l’État est bien incapable de susciter. L’émeute organisée est à même de produire ce que cette société est incapable d’engendrer : des liens, vivants et irréversibles.

Ceux qui s’arrêtent aux images de la violence ratent tout ce qui se joue dans le fait de prendre ensemble le risque de casser, de taguer, d’affronter les flics. Nous y expérimentons la création et l’affirmation d’amitiés, configuration franche du monde, possibilités d’agir nettes, moyens à portée de main. La situation a une forme et l’on peut s’y mouvoir… Si l’émeute est désirable, c’est notamment comme moment de vérité.

L’art de l’esquive, ou comment une intervention de police produit plus de désordre qu’elle ne rétablit l’ordre...

Nous retiendrons que si les flics n’ont pas pu intervenir dans le quartier de Schanzenviertel pendant près de six heures, n’entrant qu’au milieu de la nuit, dans un nuage de lacrymo et derrière des unités anti-terroristes mitrailleuses à la main, c’est moins en raison de la lutte acharnée de quelques centaines d’enragés, militants ou pas, qu’en raison de la présence autour d’eux de milliers d’Hambourgeois. Comment distinguer les « bons citoyens », dont certains ne rechignaient pas à ralentir nonchalamment les convois de flics, voire à lancer l’une ou l’autre pierre, des émeutiers qui viennent d’enlever leurs vêtements noirs pour la cinquième fois de la journée ?

Si tous les habitants d’Hambourg ne supportaient pas les affrontements avec les flics, les pillages et les voitures incendiées, tous sentaient le caractère exceptionnel de la situation. Une situation à la mesure de l’État d’exception qui leur a été imposé pendant des semaines, et particulièrement les derniers jours :

19.000 policiers déployés, trente canons à eau, des véhicules blindés et des vedettes maritimes ; le bruit permanent, jour et nuit, des hélicoptères et des sirènes ; aux frontières, l’espace Schengen suspendu...

Dès lors, comment la police allemande, si organisée et efficace, a-t-elle pu à ce point perdre le contrôle de la situation ? On peut pointer les rues labyrinthiques d’Hambourg, la présence massive des habitants dans les rues, la détermination des émeutiers. Stratégiquement, on retiendra que les flics allemands peuvent défoncer brutalement un black bloc combatif de 1.500 personnes en dix minutes (« Welcome to hell »), lorsqu’ils choisissent le lieu et le moment de l’attaque. Mais lorsque l’on sort de ce cadre planifié et connu, lorsque des milliers de personnes commencent à se disperser dans les rues et à agir spontanément, ou simplement lorsque l’on sort du cadre urbain (pensons aux actions contre les transports de déchets radioactifs dans le Wendland), la belle machine se grippe et court dans tous les sens, comme un poulet sans tête.

A Hambourg, la stratégie policière de tolérance zéro a doublement échoué. Tout d’abord, en interdisant un grand camp en périphérie, elle a disséminé les milliers d’activistes au coeur de la ville, dans une multitude de petits campements impossible à surveiller. Ensuite, en attaquant d’entrée de jeu la manif du jeudi, au lieu de la laisser aller et de la canaliser, elle a repoussé des milliers de manifestants de manière désordonnée dans la ville, leur ouvrant ainsi un nouveau terrain de jeu, et a donné, dès le premier jour, un aperçu de la violence qui serait assumée par l’État.

Ce dont nous avons été témoins à Hambourg, ce fut la transformation forcée, et assez rare, des tactiques de la police allemande : depuis le combat rapproché, les nasses de milliers de personnes et la saturation de l’espace public, vers des affrontements à distance, des points de fixation, l’utilisation de gaz lacrymogènes, des charges ne cherchant plus les arrestations, mais seulement à frapper et blesser. Des situations qui rappellent plus la « gestion de l’ordre » en vigueur dans le Sud de l’Europe ou d’autres parties du monde. Une chose est sûre : l’honneur de la police allemande, sa réputation, mondialement affirmée, de discipline et d’efficacité est bonne à foutre à la poubelle.

Nous ne parlons pas du scandale des deux cents keufs berlinois qui se sont saoulés à mort, ont baisé et pissé partout et fait n’importe quoi avec leurs armes de service, à un tel point que leur hiérarchie a dû les renvoyer à domicile avant même la première manif (see you next time guys !). Nous ne parlons pas non plus de leur frustration à passer des heures et des heures à tenir des positions absurdes, suant sous leur armure, à se perdre à chaque carrefour, à rentrer et sortir de leurs camions, le temps de comprendre que, encore une fois, ils ne sont pas au bon endroit au bon moment.

Nous parlons du plus grand dispositif répressif mis en place dans une métropole allemande depuis trente ans, et de son échec cuisant. Nous parlons d’un bordel sans nom, de ciel noirci par les incendies et de marée humaine ingérable, là où ne devaient prendre place que des photos de winners souriants et sûrs d’eux sur fond de musique philharmonique. Nous parlons surtout d’une pratique de l’esquive, d’une capacité généralisée à éviter le contrôle omniprésent et à passer à l’offensive. Nous parlons d’une intelligence collective qui a montré aux yeux du monde entier que l’empire peut être défait, sur son propre terrain.

D’une présence océanique...

Vendredi 7h30, depuis trente minutes, les blocages, plus ou moins pacifiques, ont commencé aux quatre coins de la ville, attirant les flics comme des mouches.
Dans le sud d’Altona, deux cents black blocs, équipés, masqués et déterminés, surgissent des fourrés.
Une irruption...
Arrêts de bus, agences immobilières, bureaux, banques, hôtel de ville et centre commercial…
La beauté du mouvement de tout un corps, prolongé de métal, se projetant à travers une vitrine…
Des poubelles, du matériel de chantier, des terrasses de café, balancés au milieu des rues.
Un fumigène sur le pneu, ou jeté à travers une vitre éclatée…
1, 2, 3, 10, 15, 25 voitures s’embrasent.
La première bagnole de flics fait demi-tour avant tout contact.
Quelques combis stationnés devant la gare sont allumés au molotov, départ enflammé sur les chapeaux de roue.
Quinze minutes, tout le monde disparaît...
Ne reste que des cendres et du verre pilé,
Quelques regards citoyens et hébétés...
Le dispositif policier se referme dans le vide.
Tandis qu’ailleurs cela continue et recommence...

Les molotovs et la casse sauvage peuvent affaiblir un mouvement autant qu’ils peuvent ouvrir des possibles. A Hambourg, cet élan matinal a assumé le niveau de conflit qui semblait légitime et nécessaire à beaucoup, comme l’ont montré les heures et la nuit qui ont suivi : un degré d’offensivité repris et partagé par des milliers d’anonymes.

Une violence légitime et nécessaire en réaction à la militarisation de la ville, et pour accueillir dignement les vingt salopards qui se réunissaient ici en tant que maîtres du monde, en tant que maîtres de ce monde...

L’austérité est la norme, des milliards pour les banques, des miettes pour les autres.
Fini les archaïsmes comme la sécurité sociale, l’assurance maladie et les pensions, le progrès est en marche !
Il a déjà atteint les pays du Sud aux temps bénis des colonies.
Aujourd’hui le Sud est chaque année plus au Nord...
Les barbelés, les uniformes et les camps de l’Europe-forteresse traquent, humilient et assassinent des centaines de milliers d’hommes, femmes et enfants.
Le racisme n’est plus caché, c’est une affaire rentable et respectable, parfois un sport national.
Pour les « nationaux », misère existentielle et affective,
Le travail et les psychotropes comme échappatoire,
La routine comme antidote.
A la vie.
Au loin, les guerres s’enlisent, les industries de l’armement s’engraissent
Croissance économique à base de cadavres basanés.
La police et l’armée sont dans les rues, avec armes, caméras, drones et hélicoptères.
Violence débridée et bavures assumées.
Le contrôle est partout, dans la puce d’une carte d’identité, ou dans un fichier ADN pour les privilégiés.
Les lois terroristes organisent et légitiment la répression. Les résistances ne doivent en aucun cas se déployer.
Les médias maintiennent le couvercle de la marmite : des jeux, des shows, des rêves, et encore des jeux.
Les agences de communication font de leur mieux pour augmenter le niveau de consommation,
pendant que nous nous battons chaque fin de mois.
Le serpent se mange la queue.
Des milliers de tonnes de pétrole gaspillées dans les océans, des millions de sacs plastiques décorant les paysages, Ibiza au Pôle Nord et Fukushima mon amour.
Les espèces en voie d’extinction montrent le chemin à nos futurs enfants...

Pleurer les dizaines de voitures incendiées, les centaines de vitres brisées, les pauvres policiers blessés.
Vous êtes sérieux !?
Emprisonner les émeutiers, expulser le Rote Flora, raser St Pauli...
Oublier…
Continuer comme si rien ne s’était passé…
L’indécence d’une civilisation mortifère, à bout de souffle.
Ou la violence d’un système qui refuse qu’on le confronte à ses crimes...

Qu’ont-ils cru ?

Se réunir dans une métropole, à cinq cents mètres d’un des rares quartiers se réclamant d’une identité et d’une histoire politiques… Une arrogance sans limites, une provocation trop grosse pour ne pas essayer de ruiner leur fête par tous les moyens possibles.

« Par tous les moyens », nous ne nous enfermons pas dans une vérité et une modalité uniques : nous avons été enthousiastes devant les milliers de lycéens manifestant (relativement) calmement ; nous nous sommes mêlés aux pacifistes qui bloquaient les convois de limousines officielles ; nous avons ri en entendant les mères de St Pauli insulter les flics qui foutaient le bordel dans leur quartier ; et nous avons aimé danser jusqu’aux petites heures sur la Repperbahn avec des centaines d’inconnus qui, pour beaucoup, n’avaient même pas conscience de participer à une action de blocage. Simplement, nous savons aussi comment brûler des voitures, éclater des vitrines et affronter les flics, et c’est ce que nous avons fait. Nous voulions que l’image restant de ce G20 ne soit pas la poignée de main entre ces bâtards de Trump et Poutine. Et nous avons atteint ce but !

La lumière crée le peuple, la nuit enfante la plèbe

Nous sommes donc les « terroristes » qui ont brûlé des voitures et pillé des supermarchés. Nous sommes les « meurtriers en puissance » qui ont affronté les flics pendant deux jours et deux nuits. Nous sommes employés, ouvriers et chômeurs, à temps partiels. Nous sommes des enfants d’immigrés et des enfants des classes moyennes, qui n’accéderont jamais au confort de leurs parents. Nous sommes analphabètes et poètes, taggeurs et nettoyeurs de rue. Nous sommes étudiants et lycéens, avec ou sans argent. Nous sommes la jeunesse nourrie aux codes consuméristes de ce monde et les femmes qui s’opposent aux comportements sexistes qu’elles subissent. Nous sommes la génération qui sait ce que cette époque lui réserve. Nous n’avons pas de futur, mais des rêves, qui émergent de la fumée de nos joints ou de nos barricades enflammées.

Nous sommes la plèbe, des êtres dépossédés qui se trouvent et s’organisent pour affronter les causes de leur dépossession, au-delà de toute légalité, pour lutter contre ce qui les affaiblit, au-delà de toute légitimité, tentative infinie de faire émerger d’autres mondes...

Nous sommes désolés pour vous, mais vous allez devoir vous y faire…

Certains militants responsables nous accusent, du délit de silence, d’incohérence, d’atteinte à l’ordre moral, d’être infiltrés et utilisés, pour légitimer les lois liberticides. Il faut être aveugle et sourd à l’époque, à l’histoire pour nous prêter une telle importance. Nous ne sommes que les laissés pour compte de ce monde, les rebuts, l’armée de réserve, mais nous sommes innombrables.

Notre modalité de surgissement est simplement la réponse adéquate à un monde qui nous asphyxie, nous empoisonne et nous emprisonne. Nous ne nions pas être ingouvernables et ingérables, lorsque la situation s’y prête. Mais qu’espériez-vous ?

Vouloir que la révolution soit absolument vegan, antisexiste, écologiste, respectueuse de tous les faibles et de toutes les minorités, sans débordement aucun, vouloir en d’autres termes qu’elle soit encadrée, disciplinée, contrôlée, c’est en fait ne vouloir aucune révolution. Nous ne nions pas qu’il y ait eu des débordements malheureux lors de ces journées et ces nuits, et nous ne les avons pas accepté pour autant : il nous est arrivé de nous confronter, physiquement, les uns aux autres alors que nous venions de repousser ensemble une charge des flics. Mais mettre l’accent sur ces débordements, les utiliser pour séparer les bons émeutiers des mauvais, ou plus radicalement les utiliser pour se distancier des événements survenus à Hambourg, c’est rentrer dans une logique médiatique ou dogmatique, c’est surtout prendre position, de l’autre côté de la barricade.

Nous préférons retenir de toute cette fureur l’attention partagée, une attention aux opportunités de destruction, de pillage et d’affrontement avec les flics, mais aussi une attention bienveillante entre inconnus : se tenir ensemble, aider toute personne au sol, partager des savoirs, se parler, s’écouter.

Nombre de moralistes et gestionnaires des luttes critiquent la violence aveugle et apolitique des journées d’Hambourg. Au premier plan, nous aurions dévasté un de « nos » quartiers. Il est vrai que, si nous avons pu tenir aussi longtemps, c’est notamment parce que nous avons bénéficié du soutien implicite ou explicite de nombreux habitants, ravitaillement en projectiles ou simple présence dans les rues. Nous étions dans un terrain moins hostile qu’ailleurs. Mais ne soyons pas naïfs, qui peut assumer les loyers actuellement en vigueur dans Schanzenviertel, ou Kreuzberg, ou Friedrichshain ? Ces quartiers sont-ils libérés du contrôle étatique, de la domination marchande, de la présence policière ? Il s’agit là en réalité d’un champ de bataille comme un autre, juste un peu plus favorable ; les supermarchés et les magasins Apple ne changent pas de nature selon leur implantation géographique… Ensuite, on entend de nombreuses voix condamner l’incendie de voitures « bas de gamme ». L’État Allemand a également pris la mesure de cette terrible atteinte au droit fondamental de ses citoyens, le droit à la voiture pour tous. Quarante millions d’euros ont été débloqués pour les victimes de la violence « terroriste » d’Hambourg, à mettre en regard avec les neuf cent mille euros alloués aux familles des dix victimes de la NSU… Si nous préférons toujours cibler les voitures de luxe lors de nos actions, nous ne rentrerons pas dans une logique de dissociation. Cette violence partiellement aléatoire est inhérente à tous les moments politiques, que ce soit lors des émeutes de Londres, des contre-sommets de Strasbourg et Vichy, ou des révoltes des banlieues françaises ou suédoises.

Certes, nous n’avons pas réussi à défaire la répression, à tenir le territoire, à établir des zones libres, dans la durée. De la même manière que nous avons finalement échoué en décembre 2008 et dans les années suivantes en Grèce, lors de la commune de Oaxaca ou dans la séquence d’opposition à la loi travail en France. Autant de tentatives lumineuses et avortées… Nous n’avons pas de regrets, nous ne suivons pas un plan général ni un calendrier militant. Les possibles qu’ouvrent ces moments dépendent de l’intelligence collective qui y prend place, nous pouvons seulement les nourrir d’attention, de détermination, d’expériences...

Forcer la porte du présent.
Essayer. Rater. Essayer encore. Rater mieux.
S’acharner. Attaquer. Bâtir.
Vaincre peut-être.
En tout cas, surmonter.

L’avenir est ouvert…

De la nécropole au vertige de vivre

Hambourg, Paris, Le Caire, Francfort, Milan, Tunis, Londres, Athènes, Thessalonique, Rome, Istanbul, Nantes, Téhéran, Barcelone... Ces dix dernières années, toutes ces villes normalisées, neutralisées et souvent militarisées pour l’occasion, ont connu des situations hors de contrôle pendant plusieurs heures ou plusieurs jours. Quelle métropole peut aujourd’hui se prétendre à l’abri de ce type d’événement ?

Aucune.

Expérimenter encore et encore ces situations d’exception, les lier à nos vies, à nos êtres. Faire en sorte que ces intensités rejaillissent sur nos quotidiens, nous bouleversent, nous éclatent et nous multiplient. Y projeter nos rêves, nos joies et nos folies. Apprendre en conséquence, à se soigner, se mouvoir, s’émouvoir. S’organiser, pour que le retour à la normal soit toujours plus compliqué, jusqu’à devenir impossible.

Les attentats de Paris et la mise en place de l’État d’exception français ont été directement suivi par la séquence politique la plus longue et la plus conflictuelle des quarante dernières années. Personne ne peut prévoir un soulèvement, une insurrection ou une révolution. Nous ne savons ni où ni quand cela se passera, mais nous savons que nous y serons, et que nous serons des milliers.

« - Ce que je vous propose, c’est un monde dangereux, inconfortable et fou ! Un monde sans règles autres que celles que nous forgerons ! Un monde multiple, éclaté, bigarré, sans gouvernement parce que fait de maîtres ! Un monde de pionniers, de chercheurs, d’aventuriers ! Un monde d’inventeurs de nouvelles possibilités de jouir, de sentir et de voir qui n’aura pas peur d’essayer ou d’échouer ! Un monde où il faudra apprendre à respirer dans le vide, où il faudra savoir poser une brique sur une brique et faire pousser des tomates dans le sable !

  • Un monde où le couple ne sera plus la forme ultime et intouchable du carrelage social. Où l’amour sortira de prison ! Ne sera plus un bien, un droit ou un dû, juste une offre, un présent…
  • Un monde sans juge, sans flic, sans indicateur !
  • Un monde où les enfants pourront crier dans les rues à silence parce qu’il n’y aura pas de rues à silence !
  • Un monde lié et tissé, direct, sans média, sans publicité mais avec des espaces publics, des agoras partout où l’on pourra.
  • Ce monde sera ce que vous en ferez. Ni plus ni moins. Mais je sais qu’il sera beau parce qu’il sera fait à la main, et sentira le vertige de vivre... »

Parti imaginaire – Li.Ke. Commando

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