Montpellier : Un doyen envoie ses nervis attaquer les étudiants grevistes

Des occupants racontent ce qu’il s’est passé ce 22 mars

paru dans lundimatin#139, le 26 mars 2018

Un 22 mars de 48 heures

La manifestation fut belle. Il faisait beau et nous étions beaux. Joyeux et important cortège que celui qui s’est introduit dans les sinueuses rues montpelliéraines afin d’arriver à la faculté de droit et de science politique. L’Amphi A fut rempli par une immense foule et une AG à moitié improvisée a commencé à se tenir. Il y avait du bonheur, et des échanges, certes parfois vigoureux - comme chaque fois que des idées contradictoires s’affirment en public. Et puis, on ne pouvait faire autrement avec cette quinzaine d’excités qui jouaient aux molosses et campaient au fond de l’amphithéâtre, à l’extrême droite. « On est chez nous ! », « c’est NOTRE fac ! », ils nous traitaient comme des « envahisseurs ». Ils méprisaient le caractère public de l’édifice universitaire et se considéraient comme plus légitimes que l’assemblée générale du mouvement, prévue par l’intersyndicale et composée de personnels administratifs, de lycéens, de professeurs, d’étudiants (de toutes les facs dont celle-ci), d’avocats et de magistrats en grève et d’autres secteurs en lutte.

Qui étaient-ils ces tristes sires qui voulaient nous virer ? Des doctorants, chargés de cours, en particulier des membres fondateurs de la dite Association Montpelliéraine des Jeunes Historiens du Droit (l’AMJHD), mais aussi un professeur du droit de la santé, notamment membre du comité local d’éthique du CHU de Montpellier, et une poignée de prétentieux étudiants aux cheveux gominés. Ils ont troublé l’assemblée toute l’après-midi, et n’ont pas lésiné sur les provocations et les menaces. « Dormez d’un œil ». L’idée fut bien émise plusieurs fois de les mettre à la porte, mais nous ne l’avons fait que plus tard, suite à une altercation physique qu’ils avaient provoqué. Et nous les avons ensuite de nouveau laissé rentrer. Nous les avons laissé tranquilles, nous profiler, alors qu’ils organisaient en secret notre évacuation. Il faut le dire, nous avons été trop gentils. Nous n’imaginions pas ce qui allait arriver.

Nous avons même invité le doyen, Philippe Pétel, qui formait bande avec eux, à parler à l’assemblée afin qu’il nous explique son point de vue et nous renseigne sur une possible intervention policière. Nous lui avons demandé s’il oserait sans vergogne nous faire gazer et matraquer. Il nous a répondu qu’on ne serait pas évacué « au napalm » et nous a demandé dans quel pays on se croyait. « En France, monsieur ». La suite nous prouvera tout le cynisme de sa démarche.
Selon la version des faits qu’il a présentée, la préfecture ne lui a pas donné l’intervention policière dont il rêvait, malgré ses vives et longues réclamations. Dans le hall, il a passé bien du temps au téléphone et ce toute la soirée. Sans doute avec le préfet, sans doute avec d’autres aussi.

Et quelle soirée ! Au caractère parfois ubuesque : des anticapitalistes discutant avec des nostalgiques de l’Ancien Régime, un chargé de cours d’extrême droite, payé par le public, affirmant sans sourciller que la séparation des pouvoirs est un des grands problèmes de notre société (il sera heureux de la réforme de la justice), de joyeuses engueulades, France 3 qui s’invite à la fête, des types en cravate choqués par un instrument aussi sauvage que le tambour sicilien, deux mondes inconciliables qui se sont longuement côtoyé : des fanatiques coincés du cul et nous, aussi charmant.e.s que désinvoltes.

La sécurité incendie avait pour ordre de nous bloquer l’accès aux toilettes, et ce depuis le début de l’après-midi. Ils avaient privatisé l’accès hygiénique. Nous aurions pu sans soucis les ouvrir de force, nous étions plus nombreux, mais nous sommes restés calmes, encore une fois, bien gentils. Nous n’avons pas même uriné dans la faculté – « allez pisser dehors comme des chiens » nous a dit le doyen. Nous n’avons même pas fait un seul graffiti dans l’amphithéâtre occupé. Du coup, il est resté aussi triste qu’avant.
Nous aurions sans doute dû nous demander un peu plus pourquoi cette bande restait dans la faculté avec nous … Nous avons ensuite compris, mais trop tard.

Nos ennemis considèrent notre bonne humeur et notre côté sympa, deux de nos plus grandes forces, comme un signe de faiblesse à exploiter. Nous n’avons pas les mêmes conceptions ni de la vie, ni de l’amitié. Ce sont ces forces là qu’ils voulaient mettre à bas. C’est pour nous terroriser, nous choquer, nous fracasser, que le commando qui s’élança par la suite dans l’amphi va faire couler le sang. Mais c’est là qu’ils se trompent aussi. Nous continuons de considérer comme forces ce qu’ils voient comme des faiblesses, et ils nous ont plus uni que jamais.

Après l’expulsion, on se retrouve dans la rue, à côté de la faculté, désormais bloquée par la police. Ils ont des chiens, agressifs qui nous aboient dessus. On les interpelle. Ils nous méprisent. « C’est votre version des faits », « Vous n’avez rien à faire là », « si tu t’approches trop de moi, je vais te défoncer la gueule ». Certains d’entre eux caressent leurs matraques. Frustrés de ne pas avoir pu participer à la répression ?

Quand les « anti-bloqueurs » nous traitent de fainéants, ils n’imaginent peut-être pas les courtes nuits que l’on peut passer. Au choc et à l’incrédulité succède la juste colère. Il fallait travailler, raconter ce qu’il s’était passé, diffuser les vidéos. Sans ces dernières, il est d’ailleurs à noter qu’on nous aurait sans doute traité de menteurs. Leur paroles contre la nôtre.

Deux thèses, celle des occupants et celle de l’administration. Deux récits antithétiques et incompatibles. Pour la première, une milice fasciste a attaqué brutalement et sans raison les paisibles occupants de l’Amphi A. Pour la seconde, les occupants étaient violents, agressifs et ils ont eux-mêmes provoqué l’altercation avec des « étudiants de droit » qui ne voulaient que protéger « leur » fac. Seulement, l’existence des vidéos vient balayer sans concession cette dernière thèse et le doyen, aussi ingénu qu’ordurier, ayant oublié que les smartphones existent, se prend les pieds dans le tapis. Face à la caméra de la télé publique, il ment sans sourciller et se dit même « fier » de ses « étudiants », c’est-à-dire de la milice pour laquelle il a fait office de petit chef. Puis, ébloui par sa propre bêtise, il brille en lâcheté et tente de faire porter le chapeau à un autre salaud, hiérarchiquement inférieur, un prof d’extrême droite alors présent. Mais il n’y a plus rien à faire, il se fait logiquement démissionner moins de 24 heures après les faits, affirme qu’il n’est pas coupable et celui qui a été piégé par ses propres mensonges dénonce une campagne de calomnie le visant …

Il faut dire que le matin même, il était clairement dénoncé lors de l’important rassemblement qui a eu lieu devant la faculté de droit. « Nous demandons la mise en examen de Philippe Pétel, doyen de la faculté de droit de Montpellier, pour association de malfaiteurs ». Beaucoup de personnes ne voulaient d’abord pas y croire. Il leur faudra entendre nos nombreux témoignages. Pétel a quelques soutiens étudiants qui parlent de diffamation, mais ils décident finalement de quitter une assemblée dans laquelle ils n’ont rien à faire. Il est d’ailleurs à noter qu’une des personnes menaçantes de la veille a même le culot de venir se pointer là, tout comme – plus tard – le même néofasciste et d’autres de ses comparses tourneront autour du rassemblement ayant lieu devant la préfecture, malgré la présence du dispositif policier.

Avant cela, notre cortège. Étonnant et improbable cocktail. Du personnel administratif, des syndicats, des étudiant.e.s de droit (nombre d’entre eux ne s’étaient jamais mobilisés, certains ne se disent même pas contre les réformes en cours), des antifascistes, des capuches noires, des lycéens, … On entonne en cœur dans le centre-ville : « Tout le monde déteste les fascistes », « Pétel démission ».

Mais, lors de l’AG devant la préfecture, c’est aussi une autre question qui se pose. La veille, des policiers étaient aussi présents sur les lieux : pourquoi ont-ils laissé fuir les malfaiteurs sans même un contrôle ?

Cette question, les autorités vont tout faire pour éviter qu’on continue de se la poser. Il tenteront de détourner l’attention. « Réduire » ce qu’il s’est passé. C’est la question de ce qu’ont fait, ou plutôt n’ont pas fait, les policiers qu’il va leur falloir contourner. Le préfet a beau avoir reçu une délégation et affirmé un prétendu soutien, cela nous laisse perplexes.

Poser la question est déjà un scandale en soi, et sera traité comme tel. Les gouvernants vont parler d’accusation infondée, de calomnie, de thèses complotistes, ce qui sera aussi dérangeant qu’hilarant parce qu’il ne s’agit que d’une simple question qu’ont déjà en tête, ceux qui y étaient bien sûr, mais aussi, suite aux nombreux témoignages, tout observateur suivant l’affaire avec un minimum d’objectivité.

L’enquête administrative abordera les violences commises tout autant que les modalités de l’intrusion de la milice. Ayant été témoins de ce qu’il s’est passé, nous en savons déjà bien assez sur ces questions. Mais cette nuit-là, les miliciens ne sont pas que rentrés. À moins qu’ils aient décidé de dormir dans la faculté à notre place, ils sont aussi sortis.

Ils nous ont mis dehors, fermant même la grille sur les jambes d’une d’entre nous. Eux étaient encore à l’intérieur. La police, qui était toute proche, aux alentours, est arrivée sur les lieux à peine quelques minutes après les méfaits : elle était présente devant et derrière le bâtiment. Elle aurait pu alors arrêter les malfaiteurs sur le moment, évitant ainsi les longues procédures d’enquête à venir.

De scandale civique, c’est donc une bien étrange affaire qui pourrait se dessiner.

Il est notable que Philippe Pétel appartient à la bourgeoisie montpelliéraine. Ce qui a été expulsé de l’amphithéâtre A, c’est le mouvement social. Dans les faits, le commando d’extrême droite a juste remplacé la police. D’une certaine manière, Pétel s’est fait sabre pour le goupillon Macron. Il a suppléé le ministère de l’intérieur. Ce n’était pas à proprement de la violence « gratuite » : ce dont il s’agissait, c’était de casser une occupation inter-luttes qui sortait de l’ordinaire et qui avait pris pour siège l’amphi d’une des seules facultés restées au centre-ville de Montpellier. Tout un symbole : les autres facultés ayant été écartées il y a bien longtemps dans des campus plus lointains, parce que les étudiants n’étaient pas un peuple assez docile.

Ce qui était magnifique ce jour, c’était le débordement, la spontanéité, la manifestation, la folle AG (où nous avons dans l’enthousiasme voté beaucoup trop de choses), le repas improvisé et partagé, cet amphi vivant dans lequel on discutait tant : dans la soirée, il s’y passait encore quelque chose.

Le lendemain, de nombreuses personnes qui n’étaient pas là la veille condamnaient, à juste titre, les violences néofascistes. Mais l’on craignait déjà cette « union sacrée » contre la violence. Il ne faudrait pas que ce discours serve à l’avenir à désarmer le mouvement, et il faudra donc aussi insister sur les niveaux de violence. De la peinture sur un mur par un.e camarade en capuche ne peut en aucun cas être assimilé à un coup de latte tranchante dans le crâne ou à un tir de taser. De même, considérant que c’est le mouvement social qui fut attaqué en tant que tel, que cette nuit là, la milice n’a pas lutté pour « sa » fac mais contre ceux qui manifestent contre l’austérité macronienne, il nous faut éviter le risque de détournement : ne pas transformer une agitation sociale en simple combat entre antifascistes et néofascistes. Un peu comme quand Pétel pensait que sa version de rixe entre étudiants allait passer. On peut lire cela comme autant de manières de « dévier » le mouvement.

Paradoxalement, c’est plutôt une nouvelle brèche qui s’est ouverte autour de la faculté de droit. Une intersection. La fameuse convergence des luttes peut s’en retrouver impulsée. Ils ont pris nos forces pour des faiblesses.

Lors de son intervention à l’AG, Pétel qui n’a pas eu de chance quand ses parents l’ont appelé Philippe, nous avait déclaré qu’ils ne laissaient même pas les étudiants de droit organiser des soirées dans la faculté, et que ce serait donc injuste d’autoriser les manifestants à le faire. Si cela est vrai, nous trouvons effectivement injuste que ce monsieur ait toujours empêché ses étudiants d’organiser des concerts ou autre dans les locaux de l’université publique. Maintenant qu’il a démissionné, ce serait peut-être une chose à penser …

À quand un gala de la fac de droit et de sciences politiques de Montpellier contre la réforme de la justice et en soutien financier au mouvement ?

Nous sommes prêts à fournir les petits toasts.

Des (ex)occupant.e.s de la faculté de droit et de sciences politiques de Montpellier

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