Marseille : lettres de la Plaine

Un mur de béton de 2m50 protège désormais le chantier tant contesté.
« Ce mur Gérard, il tombera. »

paru dans lundimatin#164, le 8 novembre 2018

Depuis le 11 octobre, le quartier de la plaine à Marseille est engagé dans une séquence décisive de sa bataille pour un quartier vivant et populaire. Une bataille contre la soleam (société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine) qui veut s’approprier la place. La plus grande place de la ville. Dans le projet de la soleam la place sera tissée de caméras de vidéosurveillance et de commerces pour une autre population que celle du quartier. C’est que la soleam rêve d’une autre ville avec d’autres habitants.

[Alors que nous nous apprêtions à boucler l’édition de ce lundi, on nous informait qu’enfin, le mur infâme avait commencé à s’effondrer, le mistral aidant. Nous vous invitons donc à lire cette dernière lettre aux élus publiée in extremis. Pour davantage de contextualisation sur la lutte en cours autour du quartier de la Plaine, relire notre article du 15 octobre : Le vol noir des corbeaux sur la Plaine et écouter les lettres précédentes de la Plaine ici et .]

[Photos : Patxi Beltzaiz]
[On nous signale à l’instant que deux soirées de soutien à la Plaine sont annoncées à Montreuil, à 19h lundi 5 novembre à La Parole Errante et mercredi 7 novembre à 20h à Dar Lamifa à Marseille.]

Déjà des immeubles ont été rachetés en vue de la nouvelle place. A Marseille, la soleam est la machine par laquelle se réalise la dépossession des vies et l’accumulation du capital. Elle est ce par quoi le capitalisme se relance. À Marseille un capitalisme du tourisme, un copié-collé de Barcelone. La requalification de cette place s’inscrit dans la reconquête du centre ville voulue par la mairie à coup de millions d’euros et en coordination avec Euroméditerranée qui à déjà démontré sa capacité à s’approprier des quartiers entiers. Déjà la plaine a perdu son marché, le plus grand marché de la ville, qui faisait venir au quartier une population des quatre coins de Marseille. Déjà la plaine a perdu des arbres. Certains abattus par erreur, tous abattus par bêtise. Pour être remplacés. De même que les gens. Abattus alors que sains ou malades. Mais là, existants. Existants avant le projet, n’entrant pas dans la dite requalification de la place. Existant bien plus que la maquette d’une place nouvelle et en cela certainement, intolérables pour les Jean-Louis (Knidel) et les Gérard (Chenoz). Intolérables pour tout ceux qui refusent de voir ce qui est, ne veulent voir que ce qu’ils planifient. Et broient et détruisent selon leur volonté.

Débordée par la résistance au chantier, la soléam aidée de CRS installent le 30 octobre un mur de Béton de 2m50 de haut tout autour de la place. Le mur du Mépris. Mais ce faisant, elle ne fait que démontrer sa défense des intérêts financiers de quelques uns, elle rapproche la ville de Marseille des régimes autoritaires, et elle entraînera dans sa chute bien plus qu’elle même. Car il faut le redire encore, ce chantier est impossible. Des soutiens, chaque jour plus nombreux et multiples se manifestent y compris de la part d’urbanistes et d’architectes qui rejettent cette manière autoritaire de faire la ville. Et ailleurs dans d’autres villes, d’autres soleam sont confrontées au même refus. Le refus du couple aménageur-promoteur qui privatise les villes, et chasse les plus pauvres.

L’enjeu de cette bataille de la Plaine est double : l’arrêt définitif des travaux voulus par la soleam et la mise en place d’un processus réellement collectif avec tou·te·s celles·eux qui vivent cette place, pour imaginer une autre rénovation. Le message adressé par la bataille de la plaine contre la soleam peut se dire ainsi : désormais chaque mètre carré sera défendu ici comme ailleurs.

La Soleam = LE MUR from primitivi on Vimeo.


Lundi 29 oct 2018, à l’occasion d’une conférence de presse, Gérard Chenoz, président de la SOLEAM annonce la construction d’un mur de 2m50 tout autour de la place.

30 octobre, lettre à Gérard

Gérard Chenoz, Adjoint au Maire délégué aux Grands Projets d’Attractivité / Vice-Président du Territoire Marseille-Provence délégué à l’Economie / Président de la Soléam / Président du Groupe « Réussir la Métropole » Aix-Marseille Provence

Cher Gérard,

On voulait t’écrire un petit mot, juste pour te dire que ton mur, ton mur de béton, ce mur que tu fais installer tout autour de la place avec l’aide de tes amis les policiers. Ce mur Gérard, Il tombera.

Tu sais Gérard, les histoires, il faut les lire jusqu’au bout. A ton âge c’est peut-être difficile, mais tu devrais. A la fin, les murs, ils tombent.

Dis, combien d’argent es tu prêt à perdre, pour construire ta place ? Trois cent quatre vingt dix mille euros pour couper des arbres en catimini, c’est pas rien. Tu dois avoir un sacré problème, en tout cas tu as besoin de nous cacher des choses.
Hier par exemple, tu nous as caché que c’était ton anniversaire. Soixante dix ans.
Peut-être as-tu senti la vie courte d’un coup, que le temps allait te manquer. Tu sais, on préfère te le dire tout de suite. Oui, le temps va te manquer.
Cette place Gérard, cette place que tu veux toi, pour tes amis, tu ne la verras jamais. C’est comme ça.

En tout cas, ce mur, c’est un bel atout pour attirer les touristes, tu sais y faire. ça va donner de joli photos à ramener à la maison. Pour la com’, tu peux compter sur nous, on va t’aider. On a déjà commencé. On est aussi impatients de connaître le nom des artistes que tu as invité pour décorer ton mur. Décidément tu as vraiment besoin de cacher ce que tu fais. Cacher ton chantier, cacher le mur. As-tu songé à cacher tes amis les policiers ? On te propose de diffuser de la musique la prochaine fois que tu sortiras les tronçonneuses.
Tu vois Gérard, depuis le début on sentait bien qu’il y avait quelque chose de caché dans ton projet. Tu devrais assumer quand même, donner l’exemple.
C’était pas très glorieux hier ta conférence avec ton ami Olivier de la préfecture. On avais l’impression que tu étais un peu honteux de nous annoncer ton mur. On peut comprendre. Se dévoiler comme ça, être obligé d’avouer qu’il y a une vrai résistance à ton chantier. Annoncer publiquement que tu vas faire un chantier planqué. Ça a dû te faire tout drôle. Ne t’inquiète pas, on va tout faire pour alléger le dispositif Gérard, on a bien vu que tu n’étais pas tranquille.
Tu sais ton mur, on l’a déjà vu à Bure. On l’a vu tomber. Là bas ils chantent des chansons aussi. Il y en avait une pour Gérard, ton ami qui était au ministère de l’intérieur. On va la chanter pour toi.

Gérard Chenoz c’est dégeulasse - Ad libitum

29 octobre, message de soutiens à la Plaine, par Quentin

Bonus

Le 1er novembre, une marche funèbre s’est élancée autour de la Plaine, voir la vidéo de Primitivi.

cortège_funèbre from primitivi on Vimeo.

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