Marche pour le climat : les petits pas, ça ne suffit pas

Récit de la manifestation parisienne du 13 octobre

paru dans lundimatin#161, le 16 octobre 2018

Samedi 13 octobre, des lecteurs de lundimatin se sont rendus à la manifestation parisienne pour le climat, ils racontent.

Jamais la catastrophe n’a été plus évidente que sous son aspect écologique. Hélas, les marches pour le climat et la mobilisation écolo en restent pour l’instant à des formes de lutte tout à fait respectueuses de ce qui ravage quotidiennement la planète, c’est-à-dire l’économie, les multinationales et les gouvernements qui soutiennent leurs activités. Pourtant, Nicolas Hulot a lui-même efficacement diagnostiqué le problème : « On s’évertue à maintenir ou à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces maux ». Force est de constater que le mouvement écologique dominant ne s’évertue aucunement à supprimer ou à mettre hors d’état de nuire ce « modèle économique marchand » qui lui cause bien du souci. Puisque néanmoins toute sorte d’esprits inquiétés par cette situation ont choisi de se rassembler à l’occasion de « marches pour le climat » mensuelles, nous nous sommes rendus à celle du 13 octobre et nous vous livrons quelques impressions.

A l’appel de plusieurs organisations, parmi lesquelles Alternatiba, les Amis de la terre, ANV COP21, etc. se tenait le 13 octobre en France et dans le monde plusieurs manifestations pour le climat : rassemblements, villages d’ateliers, marches. A Paris, nombre de collectifs citoyens appelaient ce jour-là à une deuxième « marche pour le climat », après l’engouement qu’avait suscité la première marche, le 8 septembre, à la suite de la démission fracassante du ministre de l’Ecologie, Nicolas Hulot. Ce dernier indiquait alors au micro de France Inter que le gouvernement de Macron poursuivait des objectifs clairement contradictoires, entre le maintien d’un « modèle économique marchand » et l’ambition ridiculement incompatible d’être le champion du climat. De la déception vis-à-vis des choix politiques du gouvernement naissait donc l’idée d’appeler à une marche et de la renouveler chaque mois, afin de faire pression sur les décideurs.

Comme la première, qui avait rassemblé 50 000 personnes, la deuxième "marche pour le climat" du 13 octobre devait donc être "citoyenne", "ambiance bon enfant" et "zéro déchet". Afin d’éviter toute récupération politique, les organisateurs avaient précisé un ordre pour le défilé, d’Opéra à République : d’abord les citoyens, ensuite les associations, les syndicats, et enfin, les partis. La réalité sur place fut très différente de ce tableau théorique fort réjouissant. Le cirque a commencé avec les militants France Insoumise qui, fidèles à leur réputation de "forceurs", ont tenté une subtile manœuvre d’infiltration à l’avant de la manifestation. Par l’effet d’une généreuse distribution de milliers de pancartes bleues "Agissons pour le climat", le logo de la FI a fini, mine de rien, par recouvrir tout l’avant du cortège, avant même que celui-ci ait démarré. Les organisateurs de la marche, mécontents, ont signalé entre deux chansons dansantes qu’il serait bon de faire disparaître ces affreuses pancartes, car il avait été convenu que les partis manifesteraient à l’arrière. Ce qui ne fut qu’à moitié obéi.

Il faut dire que, tout au long de la marche, les organisateurs étaient animés par une étonnante passion de l’ordre, malgré leur discours sur le caractère "citoyen" et "spontané" des marches pour le climat (lancées par des citoyens sur les réseaux sociaux, faisant appel aux initiatives individuelles et collectives, les associations n’étant que là pour "soutenir" et "aider", etc.). Le dispositif de sécurité de la manifestation était en réalité organisé pour empêcher toute formation d’un cortège ou d’actions réellement "spontanés" à l’avant de la manifestation. Une trentaine de personnes en gilet fluo estampillé "ANV COP 21" avait ingénieusement déployé un cordon pour éviter tout débordement de la consensuelle banderole de tête « Changeons le système, pas le climat ». Devant ce cordon, deux animateurs survoltés, réalisant une prodigieuse synthèse du permanent syndical et de Mickael Jackson, mettaient toutes leurs ressources en danse, en sauts, pirouettes et en « suggestion » de slogans pour chauffer une foule plutôt molle. Par conséquent, aucun slogan n’émanait "spontanément" des milliers de "citoyens" présents derrière la banderole, et la scène ressemblait plutôt à un concert où l’on essaie de faire participer la foule, ou à une laborieuse chorale d’école primaire ("Allez plus fort derrière ! On vous entend pas !"). Les manifestants se contentaient d’être ventriloqués par les deux maîtres de cérémonies, de taper dans les mains ou de bouger quand on leur demandait. La colonie de vacances ! Quand les "animateurs" se taisaient enfin, les enceintes du camion guidant la manif balançaient de la soupe musicale "bonne ambiance", mais surtout assourdissante, pour combler le vide d’initiative de l’autre côté de la banderole.

Il a heureusement paru à certaines personnes sur place que l’urgence de la situation appelait autre chose qu’un défilé récréatif derrière le camion d’ANV COP21, à exécuter les ordres des organisateurs. Une première tentative de passer devant le cordon des gilets fluo a été faite dès le début de la marche par quelques militants âgés portant une banderole anti-nucléaire. Au bout de quelques secondes, le service d’ordre, contacté par talkie-walkie, fondait sur eux pour leur demander - poliment - de regagner l’arrière de la manifestation. Ce qu’ils firent sans trop broncher. Une petite demi-heure plus tard, alors qu’on avait bien avancé depuis Opéra, une bande de jeunes affublés de bandanas verts ont à leur tour jugé bon de se soustraire au spectacle écologique "bon enfant" et de se poster devant le camion. Plus convaincus de leur coup, ils appliquèrent à la lettre leur banderole "Désobéissons" : malgré les demandes pressantes des gilets fluo d’ANV COP21, rien ne put les ramener à la raison.

Les écolos en bandana vert se sont entêtés à ne pas comprendre pourquoi on ne pourrait pas mettre sa banderole où l’on voulait, et chanter les slogans que l’on voulait, dans une manifestation supposée être "citoyenne" et "spontanée". Il y eut plusieurs tentatives du service d’ordre pour les refouler sur les côtés (notamment une épique accélération du camion et des animateurs), mais les bandanas verts tinrent bons. Leur débordement étant acquis, une petite foule sympathique se forma derrière eux et marcha jusqu’à République à un rythme soutenu, rassemblant une centaine de personnes, sous une pancarte « Écologie libérale, mensonge du capital ». On entendit même un chaleureux « anti, anticapitaliste ! ».

Lorsqu’on les interroge, les manifestants qui ont pris la tête de la marche parisienne (le « Green Block », comme ils se nomment) déplorent que la participation à la marche soit de l’ordre de la supplication au gouvernement, selon la logique du « plus on est nombreux, plus on peut peser sur les politiques publiques » (citation d’une manifestante reprise dans les publications Le Monde / Le Figaro sur la marche). Au contraire, il leur semble qu’il n’y a guère à attendre d’un gouvernement qui ratifie chaque jour la continuation de la catastrophe. Pour eux, il est temps que l’on prenne en main la situation par nous-mêmes.Ils appellent donc à tout le moins, dans un tract que nous avons jugé utile de recopier, à des actions de « désobéissance civile » :

« Face à l’urgence climatique, la diversité des tactiques de luttes et leur complémentarité nous semblent nécessaires pour gagner des batailles dans le combat pour une transition écologique : actions en justice, pétitions, engagement associatif, campagnes d’information, ZAD, blocages, actions médiatiques, création de modes de vie locaux et alternatifs…

La désobéissance civile recouvre les actions directes, publiques, assumant d’être illégales au regard de la justice, et refusant un certain niveau de violence. Ces paramètres dépendent des valeurs et représentations de chacun : certaines personnes trouveront acceptables d’agir sur des biens matériels (tags, faucher des OGM, briser des vitrines), alors que d’autres trouveront cela trop violent. Certaines actions sont faites à visage découvert alors que d’autres privilégieront la protection par l’anonymat.

Un mouvement collectif de désobéissance civile est nécessaire, en ce qu’il affirme en acte que nous sommes nombreux à nous engager personnellement pour nous opposer aux intérêts des entreprises néfastes pour le climat : industries polluantes, banques et investissements climaticides, émissions de l’automobile et de l’aviation.... L’effet médiatique des campagnes de désobéissance a déjà permis de gagner plusieurs batailles (contre la BNP et le Crédit Agricole, Apple, dans la forêt de Hambach, à Notre-Dame-des-Landes).

Le site https://ilestencoretemps.fr/ recense de nombreux moyens de lutter pour le climat, notamment les campagnes d’actions menées par ANV-COP21, Attac, Ende Gelände, 350.org. Il est aussi possible de s’organiser en groupes locaux, à l’échelle d’un quartier pour mener des actions directes. »

Et d’ajouter, à l’oral, qu’ils apprécieraient bien qu’un cortège réellement spontané de non affiliés se forme lors de la prochaine marche, prévue en novembre, pour donner corps à cette "diversité des tactiques de lutte" dans l’espace qui a été facilement libéré en tête de manifestation. Pour leur part, sans doute ne diraient-ils pas, suivant M. Lordon, que « pour agir avec l’urgence qui éviterait de tous griller, il va falloir passer sur le corps de certains gars ». Mais leur démarche avait le mérite clair de retourner leur slogan aux organisateurs de la manifestation : "les petits pas, ça ne suffit pas", même dans la rue, et surtout derrière un camion, un cordon et des gilets fluo. Au rythme où va le désastre climatique, il vaudrait mieux courir que marcher.

Nous nous contenterons pour terminer de citer les propos tenus récemment par des « lycéens » mis en cause suite à l’affaire Benalla, auxquels fait écho ce qui s’est passé aujourd’hui :

« Disons que nous sommes animés par un pressant sentiment d’urgence. La planète est en surchauffe avérée, les écosystèmes s’effondrent, les océans s’engorgent de plastique, les catastrophes « naturelles » se multiplient, les misères – toutes les misères – galopent, des populations en panique se jettent à la mer pour peut-être survivre. Le pouvoir politique, dans son ultime discrédit, échoit de plus en plus à des fous, et pendant ce temps les puissances capitalistes déchaînent leur rapacité de fin du monde plus sauvagement que jamais ; elles cherchent à gratter quelques années encore avant l’apocalypse annoncée, quelques années d’empoisonnement rentable de plus, quelques années de surexploitation supplémentaires. Nos gestes sont parfois maladroits, nos cris sont peut-être inaudibles, nos raisons généralement rendues incompréhensibles et bientôt, à coup sûr, répréhensibles. Mais si nous appelons au soulèvement, c’est que tout cela ne peut plus durer. C’est que nous avons l’impression que nos semblables se laissent endormir par les gouvernements d’un sommeil en forme de cercueil. C’est que toute cette façade gouvernementale faite de responsables de rien du tout n’est qu’un paravent de communication qui ne cherche qu’à gagner un peu de temps. C’est que, lorsque chacun se décide à reprendre en main les conditions d’une survie de plus en plus menacée en cessant de déléguer à ceux qui nous ont menés au désastre l’organisation de leur existence, cela porte un nom : cela s’appelle l’insurrection, qui n’est ni le chaos ni la promesse toujours déçue d’un meilleur gouvernement. Il faut arrêter la machine, de toute urgence. L’organisation présente de la vie ne recèle à l’évidence aucun avenir. Un cauchemar climatisé reste un cauchemar. Personne ne fera notre salut pour nous. »

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