Manu Militari

« Manu n’a pas de point de vue, il n’a que des scénarios pour un Plan, un Plan de destruction créatrice auto-entreprise, d’auto-entreprises d’auto-entreprises, d’auto-entreprises d’auto-entreprises d’auto-entreprises »

paru dans lundimatin#152, le 26 juillet 2018

Manu assume. Manu blague, Manu ironise, Manu a été trahi, Manu pourfend la rumeur, dissipe la rumeur, tue la rumeur en tueur distingué, Manu veut tourner la page, Manu reconnaît la bavure du traître, mais surtout sa bravoure avant le forfait, Manu ignore souverainement, Manu méprise royalement la jeune fille et le jeune homme violentés Place de la Contre-escarpe, Manu n’en dit rien, Manu seul responsable ne s’excusera jamais devant eux, Manu n’en dit rien parce qu’ils ne sont rien, parce qu’ils n’ont pas notoirement réussi, sinon ça se saurait, ils n’auraient pas été là au mauvais endroit au mauvais moment en mauvais sujets, Manu agite sa main de Grand Jupiter Cynique dans un gant de velours, Manu défend sa force, soutient sa force, qui le défend et le soutient, Manu protège la force qui le protège, Manu trahi nettoie la force, sa force, plus qu’il ne la punit, Manu lave plus bleu, plus blanc, plus rouge, Manu promeut sa République du courant alternatif en prise directe, sans fusibles, Manu gouvernance, transparence, Manu avance toujours, s’avance, n’a peur de rien, Manu porte Sa France propre, sa propre France appropriée dans le propre, Manu tient un pressing sur les Champs, s’y connaît en lessiveuse, Manu tient la tenue, la correction exigée, Manu manie le K2R, efface la tache sur son veston, Manu se rase de près tous les matins, pas une tache de sang sur le col de sa chemise, pas de barbe de 8 jours, entretenue tous les 8 jours y compris le dimanche, la barbe qui ne chôme pas comme chez Castaner et Philippe et Crase et, Manu rase gratis mais ne promet rien, Manu promet la réussite à qui réussit la promesse, le fric à qui a du fric, le rien à qui n’a rien.

Manu assume les coups assénés en pleine gueule, en plein bide, dans les jambes, le dos, les couilles des manifestant(e)s, Manu connaît la violence, sa violence légitime, l’envers brutal de son veston, Manu connaît la défense violente de sa République, Manu connaît ses classiques, ne flanchera pas, gardera le sourire devant les gardés à vue, les tabassés, les riens amochés, mutilés, les anomalies, Manu n’a pas de point de vue, il n’a que des scénarios pour un Plan, un Plan de destruction créatrice auto-entreprise, d’auto-entreprises d’auto-entreprises, d’auto-entreprises d’auto-entreprises d’auto-entreprises, Manu n’a pas de point de vue, seulement un point de mire, Manu est l’œil du Cyclope, Manu n’a qu’un seul point de vie – la mort lente ou brutale ou la relégation de toutes celles, tous ceux qui ne réussissent pas ou s’en foutent de réussir, Manu reste droit dans son slip, Manu dévale les Champs en courant souriant avec son Benalla, ses Benalla, tous les Benalla de toute la flicaille, rapprochée ou à distance, Benalla BAC, Benalla GIGN, Benalla CRS, Benalla gendarmerie, Benalla police municipale, Manu est jeune et souple, flexible et inflexible, Manu est l’effigie dynamique, dynamise l’effigie, Manu mouille sa chemise blanche, remonte ses manches, desserre son col s’il le faut, quand il faut, Manu s’entoure de ses collabos, rateurs, ratons de la ratonade, il les joint, rejoint, disjoint, les éjecte, les repêche, les compose, décompose et recompose, Manu n’aime pas du tout qu’on l’appelle Manu, rappelle l’adolescent à l’ordre, le républicanise, le nationalise, le moralise, Manu ne supporte pas la souveraineté du regard de l’ado qui le fixe droit dans les yeux, ne supporte pas sa déprise, son refus assumé de tomber dans le panneau du Président, Manu ne supporte pas d’autre souverain, le peuple souverain sans chef ni Etat.

Manu renvoie la patate chaude aux tâcherons du gouvernement, aux mercenaires bureaucrates distingués de l’Etat, chargés d’enquêter auprès des tueurs distingués de sa protection officielle, de leur protection officielle, Manu est au dessus de ça, de ses mauvais acteurs de la fausse transparence, de l’auto-légitimation des rouages de la Machine, de la Commission des lois et des troubles parlementaires, Manu laisse les tâcherons tâcheroner, donner le change, vanter à tous les badauds la vertu de la grande lessiveuse, Manu les laisse merder, Manu ne parle pas comme eux, de cette langue d’acier rouillé, avec ce ton et cette odeur de cadavre dans la bouche, Manu a le verbe plus haut, plus ferme, plus mesuré mais plus offensif, Manu est un oxymore à lui tout seul, Manu laisse la défensive à la ligne de défense, grouiller les crabes dans leur panier, Manu supervise tout ce qu’il peut, Manu seul savait et ne savait pas, seul savait comment il allait s’en sortir, quand tous les spectres de l’Administration du Désastre d’Etat ignoraient, ignoraient qu’ils savaient, savaient qu’il ignoreraient, ignoraient qu’ils auraient à jouer les niais publiquement, Manu et ses sbires pensaient qu’aucune trace ne révèlerait « le scandale », que jamais on ne saurait ce que tout le monde sait.

Manu s’amuse, Manu veut changer tout ça pour que rien ne change, Manu accélère le moment venu, apparaît puis disparaît le moment venu, Manu exulte pour les bleus, fait la fête avec les bleus, des selfies avec les bleus après s’être bien lavé les dents, Manu connaît sa police qui les a escortés sur les Champs triomphants, Manu a confiance dans sa police comme dans les bleus, Manu veut que sa police gagne, que l’auto-entreprise policière d’Etat gagne, que ses mercenaires gagnent, Manu est impitoyable, jamais ne sera un pitoyable, Manu échouant, Manu défait, vaincu, Manu baissant la garde est impossible, Manu se retirera de lui-même, jamais sous la pression de l’insurrection, de la rue, du peuple, jamais la queue pendante entre les jambes, Manu ne connaît que la victoire, c’est sa bulle, c’est son idéal, c’est sa chanson, sa raison, sa passion, son délire, Manu ne regarde pas derrière lui, Manu n’est pas l’Ange de l’Histoire, Manu est la flèche du temps costard-cravatée, l’éternel présent de la fuite en avant, de l’après-moi-le-déluge.

Manu rêve qu’il m’entreprend, t’entreprend, l’entreprend, nous entreprend, vous entreprend, Manu tôt le matin au réveil milite son Economie, milite sa Diplomatie, milite sa Gouvernance, milite sa Police, milite sa Thérapie de choc à petites doses, à petites hautes doses, Manu milite, Manu macromilite, micromilite, Manu s’effondre-t-il en fait, Manu ne dort-il que sur une seule oreille, Manu insomnise-t-il, Manu est-il sur le point de craquer, Manu sent-il que le château craque et laisse les courants d’air s’infiltrer puis les rafales de vent, Manu s’enrhume-t-il, sourit-il jaune, Manu prépare-t-il inquiet sa rentrée des classes, de la classe affaire, des classes en lutte, Manu ne perçoit-il à l’horizon que des anomalies, des obstacles minimes, des gestes rétrogrades vite balayés, des broutilles, des bavures policières, celle d’un individu mais pas du Corps de police tout entier, pas de l’Etat voyons, Manu donne-t-il le LA ou chante-t-il faux la Marseillaise sans s’en apercevoir, Manu est-il si puissant ?

En attendant, Manu militari.

Et à l’intention des sympathiques Intermittents du désordre, un texte que je relis souvent, que Manu ne lit jamais, j’en suis sûr :

La galerie

Si quelque écuyère fragile et poitrinaire était poussée sans interruption pendant des mois autour du manège par la chambrière impitoyable de M. Loyal sur le cheval qui tangue en rond devant un public inlassable, si elle passait pendant des mois, sifflant comme une flèche sur sa bête, lançant des baisers, roulant des hanches, et que ce jeu se poursuivait, dans le rugissement incessant de l’orchestre et le vrombissement des ventilateurs, se poursuivit indéfiniment dans le futur gris qui ne cesserait de s’ouvrir devant son cheval, oui, si ce jeu se poursuivait accompagné des applaudissements comme de marteaux-pilons dont le bruit s’enfle et s’abaisse … , peut-être alors un jeune garçon descendrait-il du haut de la galerie du public, de banc en banc jusqu’au dernier, et lancerait-il enfin le « halte » dans les fanfares de l’orchestre à hauteur de toutes les situations.

Mais comme il n’en est pas ainsi, comme une belle dame blanche et rouge surgit au vol entre les deux rideaux que les fiers laquais en livrée ouvrent devant elle ; comme le directeur, cherchant des yeux ses yeux avec un air d’esclave abandonné, vient à ses devants comme une bête, la soulève pour la faire monter avec des prudences de grand-père pour une petite fille adorée qui entreprendrait un voyage périlleux ; n’arrive pas à se décider à donner le coup de fouet du départ, puis finalement, se faisant violence, fait claquer sa chambrière et court aux côtés du cheval, la bouche ouverte ; suit d’un oeil que rien ne distrait tous les bonds de la cavalière et ne parvient pas à comprendre une telle virtuosité ; essaye d’avertir l’écuyère par des exclamations anglaises ; rappelle à l’ordre d’un air furieux les palefreniers qui présentent les cerceaux s’ils n’accordent pas à leur travail l’attention la plus passionnée ; conjure - en levant les bras – l’orchestre de se taire, avant le grand saut périlleux ; et cueille enfin de ses propres mains la petite femme juchée sur le cheval frémissant, l’embrasse sur les deux joues et ne trouve suffisant nul hommage du public ; tandis que, soutenue par lui, l’écuyère, dressée sur la pointe des pieds et entourée de nuages de poussière, veut partager, les bras ouverts et sa petite tête renversée, son bonheur avec le public …, comme il en est ainsi, l’homme de la galerie couche sa tête sur l’accoudoir et s’enfonce dans la marche finale comme dans un rêve pesant, et il pleure sans s’en douter ».

Franz Kafka

Patrick Condé

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