Poèmes pour Noël

Max Air - Tous mes meilleurs suicides réunis dans un best of exceptionnel

paru dans lundimatin#171, le 29 décembre 2018

J’ai écrit ça avec la rage en écoutant de la musique de mule, putain chaque fois que je voulais me jeter du haut d’un pont, putain chaque fois que je voulais brûler cette putain de société économique, royaume des gros bâtards, j’ai fait une poésie.

Suicide 1

Une arme à feu ça reste pas mal pour en finir. J’aimerais juste pas souffrir. Juste finir et pas souffrir. Dans un trou du sol qui se trouve dans une forêt qui a poussé dans un trou au milieu du tas d’ordures qu’il y a quelque part dans un pays plus moite. Du sang qui coule de la poubelle avec le sang des poules et des bovins et les épluchures de fruit. Là où le monde pourrit, l’ombre fume, là dans le vert où creuse le ver, où s’épanouit, l’ombre épaisse d’une feuille sur l’œil inerte, la fin d’une route bleue dans la montagne rouge, la montagne étranglée par la route à lacets. Chauffe au soleil, sent la poubelle, mon corps pourri. Pue le porc, les centaines de McDonalds avalés, les conservateurs conservent mon sourire. Pendant trois mois le morceau de miroir cassé reflète ce sourire dont les dents tombent que les souris emportent.

Suicide 2

Une coupole et des tubes de métal transparent comme le verre des lunettes les plus modernes et les plus chères qui laissent voir tous les détails du nez veineux du docteur en charge du centre suisse d’assistance à la mort choisie, le 24 décembre de 2020, il fait soleil sur l’herbe verte sous la coupole de verre du centre étanche aux changements de saisons, tellement que par le verre on voit qu’il neige sur les sapins.

Mes parents ont accepté de me léguer dix-mille euros pour que je meure sans que les voisins soient au courant, le professeur dit, malgré que ses dents soient faussement blanches grâce au laser et ultrasons cumulés d’une machine japonaise fabriquée en Roumanie et actionnée au Luxembourg dont chaque déclenchement est facturé à la maison mère par une holding de Jersey, que, comme nous en avions convenu et selon la juridiction en vigueur dans l’espace Schengen, la finition sera cancer des intestins.

C’est ma mère qui a choisi car je l’ai toujours fait chier et mon père a dit que si ça se trouve ils n’auront pas de retraite.

Suicide 3

En gilet jaune je marche les yeux fermés devant des hommes en bleu.

Suicide 4

Je n’ai pas utilisé le fusil commandé sur Internet pour me tuer j’ai été à la soirée de cette journaliste que je connais, j’ai fait forte impression, j’ai sauté sur la musique des années quatre-vingt-dix, l’autre journaliste qui est connue a apporté un humoriste noir, ils ont fait des allusions à la taille de son sexe et j’ai bien rigolé, ils m’ont dit qu’ils m’invitaient à la prochaine fête et j’y ai été. Il y avait ce journaliste politique que tout le monde connaît et je lui ai donné de ma drogue parce qu’il voulait savoir ce que ça fait. Il m’a dit « frère » et « gros » pour m’appeler après qu’il a eu pris la troisième trace. Il avait un t-shirt moulant sans cravate, c’était immonde de le voir sans cravate et il m’a dit qu’il faisait une soirée surperprivée dans un bar qui n’était pas un bar sous la cale d’un bateau qui a coulé au fond de la Seine, il y aura un mot de passe, il y aura un bathyscaphe, il me faudra un costume de néoprène fait sur-mesure à cette adresse où j’ai été le lendemain et j’ai demandé qu’il couse une poche en forme de fusil dans le costume de néoprène et je l’ai mis et j’ai été à la Cité de la mode, il y avait un SDF il fallait que je lui dise « Que pensez-vous de la dette et du poids qu’elle fait peser sur les générations futures ? » et je l’ai dit et il s’est déplacé et je suis entré dans un trou avec le costume de néoprène et le fusil dans la poche en forme de fusil et je suis arrivé au bathyscaphe et je suis arrivé à la soirée et il y avait le journaliste qui avait un t-shirt de maille rose sous son costume croisé de néoprène à boutons de plastique jaune comme les bouteilles du commandant Cousteau. Là il y avait le ministre de la mort et le premier secrétaire d’état aux fleurs et son lion de fonction et il y avait des fleurs articulées en matériaux issus de la nano-écologie durable qui projetaient de la lumière et la ministre de la concertation nationale disait « quelles belles lampes, quelles belles lampes, quelles belles lampes, Gérard, quelles belles lampes ! » et Gérard, l’acteur de la série comique qu’il était obligatoire de regarder en riant dans le capteur à rire du ministère du développement personnel, disait « Oui elles sont belles, oui elles sont belles, oui elles sont belles » et faisait « aïe » parce qu’elle tirait sur la laisse pénienne attachée à son pénis et qu’elle disait « Viens, viens Gérard, il y a d’autres lampes qui ont l’air belles, viens Gérard » et au milieu, devant l’écran bleu octogonal extrêmement défini qui le représentait lui-même en habit de fonction, se tenait le Président qui était nu, portant seulement son collier de fonction et des chaussures en peau de femme. Je lui ai dit « tu es beau, Ô tu es beau » et j’ai appuyé sur le bouton de taffetas prévu à cette effet sous ma cravate de néoprène et le fusil est sorti de son logement, pile dans mes mains, et j’ai tué ce sale bâtard et je suis mort.

Suicide 5

Plus personne veut m’enculer et j’encule plus personne, je fais des photos de lieux mythiques que j’envoie à mes deux seuls amis que je ne vois jamais mais on a un groupe sur les réseaux sociaux qui s’appelle « les copains » suivi d’un cœur et d’un smiley qui a des yeux en forme de cœur. Les copains ne me répondent plus et je suis sur une île qui a un nom en « os » et des falaises en os et je voudrais qu’un mec m’encule avec une bite dure comme un os et je lui dirai « je peux mourir », j’espère que tu as le SIDA, j’espère que tu voudras bien me jeter du haut de la falaise, je veux avoir des anémones de mer à la place des poils sur le pubis de mon squelette sous la mer bleue.

Suicide 6

Passer par la machine qui transporte la matière molle vers le mécanisme de broyage principal, la machine s’accède ainsi : la jambe qui traîne s’épluche d’abord dans le mouvement hélicoïdal de la vis et les os cassent à intervalles réguliers. Les organes vitaux explosent comme les tomates jetées par la foule à l’acteur nul. Le crâne sourit à celui qui le retrouve quand tout ce qui allait avec avait fini de fermenter que c’était bon à être embouteillé.

Suicide 7

Penser à ma solitude et pleurer, oh oui pleurer car ma solitude est la plus triste des choses et je ne pourrai jamais assez pleurer et vous n’êtes pas d’accord, vous n’êtes pas d’accord pour reconnaître que c’est la chose la plus triste que je sois seul et que je pleure, vous dites qu’il faut aller d’l’avant et se reprendre car c’est ainsi qu’on fait, on se reprend, on va d’l’avant et si ma solitude n’est pas laissée là derrière moi, « Accélérez ! » dit l’homme aux habits lisses, continuez, sur votre droite, vous verrez des clochards, c’est-à-dire des cauchemars, ils ne pleurent pas, ils fondent, ils sont vêtus d’habits plissés comme mes paupières après que j’ai pleuré sur moi. J’essaie de me reprendre, je remonte la pente avec des flageolets dans l’estomac, je booste mon cardio, je vais d’l’avant, j’évite les clochards qui veulent répandre sur mes mains leur matière noire, je leur dis « non ! », je leur souris et je rigole et eux me remercient. Ils miment l’élégance en faisant des courbettes, ils ont des ombres veules, ils ouvrent la bouche et les clochardes ouvrent leurs vulves car ce sont leurs rubis, les clochards miment, ils ont tellement pleuré que leurs extérieurs se sont séchés et forment des croutes sur leurs intérieurs rouges frais, ce qui explique qu’on ne peut pas savoir leur âge. Ils disent « merci » et ils sont nus malgré leurs vêtements qui ne sont pas des vêtements mais des peaux cuites. Mais j’ai pas pu m’en empêcher, j’ai repleuré sur ma solitude en m’arrêtant pour faire pipi à l’aire d’Aire-Sur-Adour, je n’ai pas fait exprès mais le temps que je le voie, la voiture était partie et ma femme écrivait à ses amis de ne plus me regarder et de me parler seulement si je leur devais des dettes ou si la police les obligeait. Je suis revenu dans le métro à pied et je pleurais toujours et mon manteau est devenu marron comme une feuille morte. A la station Belleville, une femme montrait ses fesses blanches au milieu de ses habits de clocharde qui étaient écartés comme un œil de dinosaure dont le blanc aurait été ses fesses et la pupille son anus. Les autres clochards m’ont dit « tu pleures plus mec, tu pleures plus, mec, tu veux une bière ? » J’avais les doigts et les yeux secs et mes doigts étaient gros et sales comme des saucisses au barbecue, dedans il y avait la canette de Maximator, c’est l’huile alcoolisée parfumée à la bière pour les clochards, je me parfume avec et je la bois et je la verse sur mes yeux quand je suis seul, vu que je ne pleure plus. A la fin, je suis entré dans le tunnel du métro qui n’était pas encore passé, j’ai regardé les graffitis qui disaient « TIKO NIK TRO LA BAC » et autre chose que je ne voyais pas, c’était trop loin et trop sombre dans le tunnel, la lumière a augmenté à cause du métro qui était à la station, alors j’ai vu que l’autre tag disait : « maintenant pleure, pleure une dernière fois, pleure car t’es seul » et ça continuait et j’ai pleuré et j’ai pensé à ma femme qui pleurait à la télé pour une marque d’oignons et le métro est arrivé.

Suicide 8

Je voudrais, bonjour, je voudrais, congelez-moi, je n’ai pas les papiers, oui, prenez tout, oui… prenez, c’est le cœur de ma femme, prenez, c’est le foie de mon fils, oui, non je n’ai pas de certification, vous avez besoin d’une photo ? Tenez, c’est une photo de mon frère, je n’ai pas… j’ai pris « vingt ans » ; oui, ils sont tous morts, pour les sauver… Vous voulez l’or ? Vous voulez l’or ? Il reste la dent de ma mère je l’avais gardée dans ma poche, voilà, non, oui, non j’ai pas mangé, oui, douze heures oui, j’ai pris le produit, des deux côtés, vingt ans d’accord ? Je me mets sur la croix ? Oui ? Je mets la main là, ok. Oui j’ai complètement vidé les comptes, je n’ai plus rien dedans, c’est bon ? Vous me donnez ça ? D’accord je le mets sous la langue, ok, c’est bon, go, vingt ans.

Suicide 9

Vous voyez comme c’est exactement la même couleur ? N’est-ce pas ? Il est extrêmement musclé, c’est tellement dur qu’il peut rester comme ça des heures, là sur la roche volcanique, il ne bouge pas et personne ne le repère. Il doit tenir jusqu’à la nuit. Il a dit à son patron : « si je dois continuer à travailler, moi je préfère me suicider », peu après il a dit à sa mère : « si tu continues à m’appeler, moi je préfère me suicider. » Nous avons développé une technologie de repérage, le technicien a frappé à sa porte et lui a dit « voulez-vous devenir riche ? » et il a dit que s’il devenait riche, il pourrait vivre, il pourrait cesser de travailler et sa mère irait dans un hospice de luxe sans téléphone, il pourrait avoir des fellations chaque fois que nécessaire, il a dit « que faut-il faire ? » Nous avons développé une technologie de dialogue, le technicien a dit « le jeu en vaut la chandelle » ensuite, un peu plus tard, il a dit « vous n’avez rien à perdre » et lui, a répété « mais carrément, je n’ai plus rien à perdre ! », le technicien lui a demandé s’il voulait la formule de douze mois renouvelables sans engagement et il a dit « évidemment. » Il est arrivé au centre il y a onze mois, regardez comme il est prêt, il a exactement les muscles et la couleur adéquats pour s’en sortir. Nous avons développé des technologies en ce sens et il en a bénéficié. Maintenant il doit tenir, c’est la chance de sa vie, il a très peu de chances de s’en tirer. Les armes sont réglées sur ses mouvements et la couleur de sa bouche, il fait soixante degrés, il a très peu de chances de s’en tirer.

Suicide 10

Tombe amoureuse de moi, tombe amoureuse et je te quitte, appelle-moi la nuit et je te réponds une fois sur deux (quand je réponds), je te dis que tu es bien comme ta mère que je connais d’une photo que tu as dans ton portefeuille, que tu n’es pas faite pour moi, je te dis que je renvoie ton cadeau par la poste, (mais en fait je le fais pas), j’ai raccroché et je touche le câble de fibre optique qui est chaud et j’appuie dessus car tu es restée dedans, j’appuie fort entre le pouce et l’index et tu t’en vas du câble et j’ouvre la fenêtre et j’entends que tu pleures dans les nuages, tu es bien amoureuse et le nuage pleut, ils disent que les inondations sont responsables de la rupture de l’Internet et tous les réfugiés sont amoureux de moi parce que tu leur pleures sur la tête, tes larmes sur leurs cheveux et leurs yeux secs, tu es venue me voir chez moi, (chez moi !) Tu tords tes mains pour que je comprenne que tu es triste, je tape sur ton épaule depuis ma chambre, depuis mon lit, je ne suis pas levé, tu restes à la porte et tu essaies de remonter jusqu’à la chambre en grimpant à mon bras mais la maison bascule et tu es nulle en sport, mais tu es amoureuse de moi. La maison rebascule et tu cries dans la chambre et je t’entends un peu, depuis le fond du lit qui est obscur à six-cent soixante-sept mètres de profondeur et tu pleures de plus belle et tes larmes sont acides parce que la nourriture est polluée et tu me tues parce que je fonds et puis me noie.

Suicide 11

Vous écartez les lobes du cortex supérieur, vous enfoncez l’index d’un demi-centimètre, vous sentez un objet dur, c’est de l’acier médical, c’est un interrupteur, vous pressez une seule fois. Je l’ai fait installer, je vais pas continuer à supporter des trucs comme ça, la police me montre des noirs en laisse à la télé, je n’ai pas la télé mais ma mère l’a, elle m’a dit « tant pis pour toi, on t’avait dit avec ton père, on ne fait pas c’qu’on veut, bien sûr, on est des cons, Monsieur-je-sais-tout-sait tout mieux que tout l’monde » J’ai répondu que oui, j’irai chercher la drogue à Pôle emploi, je mettrai à jour mes infos personnelles, je ne peux pas rien faire et laisser le travail aux gens honnêtes qui me demandent si je me crois meilleur parce que je n’ai pas de télé, ils disent que la police a laissé trois messages sur ma télé, si je refuse de l’installer, au bout de quatre mails, je suis radié, les messages passent sur ma télé seulement dans une bannière, par exemple le message dit que de plus en plus de gens regardent la télé et qu’il y aurait bien besoin de faire du sport et de manger des légumes, il dit que des groupes de musulmans présumés sont suspectés d’être liés à moi étant donné que je ne consulte pas mes messages et que je n’ai pas d’emploi, s’il était avéré que ce soit vrai, la police me condamnerait à un procès, la publicité dit qu’Avocapp est disponible sur mon smartphone, mieux et moins cher qu’un avocat étant donné qu’elle est dotée d’intelligence artificielle sociale. Cela équivaut à dix puissance sept avocats. Si j’accepte de mettre en relation différents entrepreneurs et que nous nous accordons sur un partenariat pour me subventionner, j’ai de bonnes chances d’obtenir cette mission, l’annonce stipule que les profils Bac+8 quadrilingues sont appréciés, les clients russes sont plus exigeants que les clients occidentaux, l’entreprise attend de nous d’avoir des prédispositions à la chaleur humaine. Ma mère s’est endettée et j’ai fait une cagnotte, je prie dans une église imprimée en 3d qu’une levée de fond place mon projet parmi les premiers résultats pour le mots clé « skilled manager » Vous voyez, j’ai bien compris que dans la vie, il y a ceux qui se bougent. J’ai obtenu un poste partner chez la plus grosse boîte dans le secteur des assurances pour animaux, j’ai performé pendant dix ans, j’ai lancé le cercueil recyclable pour félidés, j’ai acheté une femme sur Internet qui attendait dans mon appartement que je veuille d’elle, tous les jours, la police venait dans mon bureau, elle amenait un mendiant noir ou une femme mendiante violée, ils me faisaient sentir à l’intérieur de leurs habits, ils disaient « tu vas voir ! », le chef à deux prénoms de mon secteur me disait de rajouter des objectifs pour obtenir le seizième mois, il disait que j’avais de bons graphiques mais qu’il fallait varier le reporting, il disait qu’à trente-cinq ans j’avais un trend baissier, c’était le cap, il était passé par là, il avait performé, il m’a dit « viens dans mon bureau », il y avait trois têtes de types français à coiffures fixes, elles étaient sur le mur, il a dit « je te présente Jean-Yves, Pierre-Marie et Pierre-Emmanuel, tu vois ce qu’il te reste à faire », il m’a montré sa Festina, il m’a dit que tous ceux qui performent auront la même, j’ai dit que j’avais hâte et j’ai regardé mon compte en banque, il y avait assez d’argent, j’ai pris des vacances consacrées au trekking avec ma femme, pendant qu’elle faisait sa journée spa, je suis allé à l’hôpital spécialisé de l’hôtel, le type a dit « oui, je coupe sur le côté, au niveau de la raie », il a posé l’interrupteur.

Suicide 12

Je traquerai les capitalistes jusque dans les spas, je m’oindrai de crème hydratante de marque Shiseido à 337 euros pour qu’il trouvent que ma peau douce est éclatante, je travaillerai chacun de mes muscles individuellement dans un vélo aquatique qui sera dans une vitrine où tout le monde verra que je progresse, mon corps sera façonné de creux et de saillies comme un pneu neige. Mes chemises Dior à mémoire de forme seront réglées, de même que le reste, avec le salaire que me verse Pôle emploi, y compris le Glock 19M que j’ai acheté grâce à ma licence en stand de tir sous une fausse identité, grâce à la fausse carte d’identité que j’ai achetée à Naples pour 1000 euros.

Suicide 13

A l’exposition, les papiers collés, les images de personnes pauvres, les polygones de béton et les textes signalétiques, les fesses des jeunes femmes diplômées dépassent des minishorts, des ceintures rendent leurs tailles plus fines que le poignet du vigile africain dont les jambes se promènent dans la zone d’exposition, entre les groupes. A la fin c’est concert punk, les cheveux sont rasés, les bijoux sont plantés dans les visages de manière inadéquate, les tatouages sont petits, j’ai ma chemise dans mon pantalon et mon corps gros est mal-agile, je bois toutes les bières que les gens boivent et je crie pas. Je regarde par la vitre qui constitue l’ensemble du mur suite à la réhabilitation de l’usine en musée, je regarde les jeunes qui patinent, ils prennent des drogues pas encore interdites, je pleure tout seul parce que je pense à mon enfance, j’ai réécrit mes souvenirs qui ressemblent à mes rêves, j’ai effacé ma sœur, les feuillages de mon enfance sont verts comme les plantes de plastique qui décorent l’exposition et la chemise de mon ex-petite-amie, je pleure et mes larmes sont en plastique et rebondissent sur mes genoux, les gens me voient et ramassent mes larmes dans l’herbe de plastique et disent que ça vaut cher, je tire ma langue de plastique, l’exposition a reçu le prix des habitants du cœur de ville, les habitants sont musulmans, ils sont gris comme des sacs de pomme de terre, ils produisent de la poussière dans les trains et les bureaux, ils sont à l’origine de ce qui motive les réformes et le maire de la ville décerne un prix dans un esprit de conciliation. Je vais devant la scène et je crie la même chose que crient les autres mais le fais mal, ils remarquent que je suis une baltringue et les femmes se pincent le nez et parlent dans les oreilles des hommes qui passent leur bras sur leurs épaules et les rassurent et ils sourient et me regardent pour que je parte, je pars, je vais au bar des habitants du cœur d’îlot, je bois de la Pelforth et je parle avec les alcooliques musulmans qui sont là, ils m’aiment, ils m’emportent dans leurs appartements orange, ils me donnent de la drogue qui a le goût de vieille drogue et ils adorent l’Afrique, ils chantent en cercle et ils oublient qu’ils sont ensemble et mettent des coups de pieds aux animaux, je vais aux toilettes pour m’échapper et je pleure dans mon coude en courant près du canal et je rentre chez mes parents et là mes yeux, ma bouche s’ouvrent et des parties internes inférieures de mon organisme sortent pendant que le fusil tire que mon gros orteil déclenche que tout s’affiche sur le mur de mon garage que le maire inaugure en grande pompe pour la biennale du Street-Art.

Suicide 14

Sous l’aile de l’avion que filme un téléphone, sous la tablette repliée sur le siège du véhicule de transport collectif, sous la moquette de l’hôtel, sous la notice explicative, sous le chien du clochard, sous l’ombre de l’arbre qui tourne toute la journée, sous l’étiquette sur le sein droit de l’hôtesse remplaçante, sous la couche de CSS, sous le bavoir de ce bébé et de cet homme qui déguste des crustacés, sous le tapis de sol sous cette vieille femme en extension pour avoir les fesses fermes, sous les dalles de lino imitation parquet, sous la totalité de ma perception que je traverse en tombant une dernière fois, se trouve peut-être une ombre de famille, l’ombre de moi au milieu d’eux, ma barbe blanche, les nappes de pique-niques d’une vie potentiellement jamais possible.

Suicide 15

Je fais tout ça pour que l’on m’aime.
A la fin vous m’aimerez,
Comme un poisson dans l’aquarium où vous rangez vos livres. Vous verrez à travers moi, vous verrez mon cœur qui bat, vous verrez par la fenêtre un nuage qui me ressemble, vous verrez que ce nuage provient d’une cheminée
plantée dans une usine où travaillent vos enfants. Vous me dessinerez machinalement sur un post-it en parlant de vos problèmes à un écran. Je serai, obscur les yeux brûlants, caché dans le point blanc du reflet du soleil sur cet écran. Vous pleurerez mes larmes qui n’auront pas le goût de vos larmes et vous le sentirez sur votre langue où je vivrai,
dans votre bouche qui sera pour moi comme le ventre d’une baleine. Vous pleurerez même si vous ne m’aurez jamais connu. Oui, vous pleurerez
devant les yeux d’une caméra.

Suicide 16

La mort sur mon épaule comme un perroquet regarde ce que j’écris, la mort est à côté, elle est dans mon oreille, c’est un petit squelette qui danse à l’intérieur, la mort morte, la mort morte dans les feuilles mortes, l’insecte blanc qui s’échappe de sous la pierre, j’écris sinon je meurs, sinon la mort prendra mon corps assis devant l’ordinateur, elle prendra mon corps dans la baignoire, mon corps qui pleure tout savonné, qui meurt propre, qui s’habille et se parfume pour assister à la mer, sur la falaise dans un costume, sur une chaise enrubannée, mange un gâteau empoisonné.

Suicide 17

E subito,
E subito vengono i ragazzi
Non hanno paura
Ancora.
E subito me ne vado
Vecchio.

Suicide 19

Fils de pute, fils de pute, pourquoi je pense à toi je pense « fils de pute », je pense sale bâtard, fils de pute, c’est le plus violent que je pense, fils de pute. C’est dégueulasse. Comme si ta mère c’était sa faute si tu veux tuer les autres, tu les tues légalement avec tes dents usinées pour découper les choses compliquées, les lois, les filets de fil de fer, les liasses de contrats, tu as des yeux ironiques, une bouche ironique, ta mère tu la regardais déjà comme ça, tu lui disais « j’t’emmerde » tu lui claquais la porte, tu arrachais ses cheveux, tu lui disais « j’me casse », tu les tues légalement avec l’ironie légale, avec la saignée légale, le poison légal, tu légalises le monopole du meurtre en petits caractères dans les documents légaux de ta fonction légale, tu interdis qu’ils meurent avant d’avoir fini leur job et tu dis « pensez à vos enfants », certains disent « fils de pute » de loin dans la rue pleine de police, ils jettent des objets, ils ratent, tu souris, les écrans font un gros plan sur ta bouche ironique, tous les écrans disent « oui, oui, quelle bouche parfaite, ohlala, oui, elle est parfaite » et ta bouche ironique, parfaite, hurle « pensez à vos enfants ! », certains, désespérés, se brûlent le corps, se coupent le corps sur la police qui court dans la rue, ils se brûlent surtout eux-mêmes, ils pensent à leur mère quand ils brûlent et qu’ils saignent, « maudite Maman ! » pensent-ils et ils se crient à eux-mêmes « FILS DE PUTE ! »

Et puis ils meurent.

Suicide 20

Au bout de la route, la porte fermée s’ouvre tu l’ouvres, tu l’ouvres avec les clés tu les as récupérées sous le paillasson dans la boîte aux lettres, la porte est métallique pour effrayer, tu pourrais aussi bien renoncer à la franchir, tu as fait la route, la route n’existait pas, t’as fait un plan avec Google, t’as dit OK, OK, OK, t’as envoyé.
Tu es parti vers là, c’était loué pour deux semaines, la route s’est déroulée t’étais tranquille, la route volait dans les nuages, par l’aéroport Google te montrait déjà la porte de fer, tu voyais pas qu’elle était là, tu voyais des plantes grasses et tu t’es dit « que c’est charmant ! »
La route s’est déroulée, il y avait deux autres véhicules anecdotiques, n’en parlons pas, la porte s’est ouverte par la clé, l’escalier tombait par terre, les murs sur l’escalier, il n’y avait rien d’écrit, à chaque étage les portes ouvertes criaient « Viens-là le chien ! », « Viens-là mon fils ! », tu as trouvé l’appartement, il était décoré avec une clim’ et un gibet.

Suicide 21

Ils m’ont dit « reste assis à travailler bordel de merde les jeunes font chier merde » ils se sont montrés des livres en papier en souriant, leurs profils m’ignorent, ils se sourient, ils me montrent leurs faces, elles grimacent, elles inspirent et elles expirent en disant « quelle patience… » je dis, je voudrais faire une pause, je vais me faire pipi dessus, ils montrent des livres de papier au bout de leurs bras, ils disent « tu connais pas ! », ils crient « tu connais rien ! », ils se regardent, ils disent « de toute façon, moi je m’en fous » J’ai fait pipi, je travaille, il y a du pipi sur mon pantalon et sur la chaise, je travaille à cliquer, je fabrique un personnage qui sauve les gens, là je fabrique son épée technique qui brûle le laboratoire contre la paix, ils disent « non », ils se regardent, ils disent « c’est pas possible », ils déplorent en regardant leurs chaussures, ils regardent mon travail et ils déplorent, ils montrent mon pantalon et ils montrent ma chaise et rient, ils crient « QU’EST-CE QUE T’AS FAIT ! T’AS FAIT PIPI ? », les autres ont fait pipi aussi mais c’est tout sec déjà chez eux ils crient tous « PIPI », ils les regardent, ils montrent leurs pantalons secs, leurs fauteuils secs. Je dis « OK… », je cours dans les toilettes et je choisis « liquidation du personnel »

Suicide 22

Le petit garçon au t-shirt rouge suit le tour de la fontaine ovale dans le château, le doigt sur la bordure, il suit l’ovale, la mère l’appelle, le garçon souffle, le garçon s’ennuie de cette vie interminable, les pigeons boivent dans la fontaine, les pigeons vivent une vie interminable, ils sont indifférents, identiques, quand un d’eux meurt, un autre prend sa place, boit l’eau de la fontaine, personne ne se rend compte, les pigeons ne changent pas, ils se comportent comme des pigeons jusqu’à la mort que les pigeons ne remarquent pas, le garçon tourne, la fontaine ovale ne change pas, le garçon change, la mère l’appelle, une autre mère, un garçon différent, elle dit « vieni », le garçon souffle, les pigeons boivent, depuis le XVIIIe siècle, dans le château, la fontaine ne change pas, le marbre neuf, la mère nettoie le marbre, le garçon tourne, les pigeons boivent, meurent, ne sont pas remarqués, rien change, garçon, fontaine, mère, pigeons.

Lui voit, change, supporte pas, le balcon, le parapet, le sol, la mère nettoie, le garçon, les pigeons boivent

Le sang.

Suicide 23

Personne n’a de petite cuiller assez grande
pour te ramasser.

Suicide 24

Quand les femmes se déploient toutes d’un même tenant, qu’elles sont chacune une plissure d’un éventail,
Et que ce qui les tient,
C’est ton manque d’amour.

Suicide 25

Ton œil si bleu me mange le visage alors j’y plonge comme dans la mer, j’ai informé mes assistants que je m’absente pour deux semaines. Et puis ils m’ont réduit. Passé dans la machine j’ai la taille d’un acarien quand je franchis le sphincter de ton œil droit. Ton cerveau est un delta plein de virages où je recherche tes intentions. En temps normal chaque heure dans ton cerveau vaut une minute dans tes bras. J’ai un temps fou. J’ai un cérébroscaphe mais je ne trouve pas ce que je cherche, j’ai beau errer dans les sillons de ton cortex, je ne sais pas ce que tu veux.

Il y’a dix ans que je suis là, je ne supporte plus ce monde sans horizon sauf les hublots de tes yeux. Je campe sur ton lobe frontal, soupe d’un ragout de neurones morts. Tes intentions m’échappent toujours, j’espère les débusquer derrière toujours le prochain horizon de matière grise. Mais non. Je me souviens de l’extérieur, il y’avait d’autres femmes. Pourquoi te voulais-je toi ? On m’avait dit que tu m’étais promise. Quelqu’un. Un mage. Un ennemi peut-être qui me connaissait trop.

Il y’a cent ans que je suis là, j’ai échoué et j’ai trouvé le monde ignoble de ton point de vue. J’ai traversé tes sinus et je me trouve maintenant à l’aplomb de ta bouche, prêt à plonger dans une mer de sucs gastriques.

Suicide 26

Je suis John Carpentier mais je fais pas de films d’horreur. Je fabrique des cercueils pour animaux de compagnie dans une usine de Mimizan. Je suis John Carpentier mais je suis pas américain. Mes parents sont fans de l’Amérique, ils dansent la country. Je suis cloueur. Il y a les assembleurs, les colleurs et les cloueurs. Ils m’ont appelé John car je suis né le jour de la Saint John. J’utilise une cloueuse pour enfoncer les clous dorés. Ma mère a eu un accident, elle ne peut plus danser. Hier j’ai cloué mon cent-millième cercueil, un Caliban pour chien moyen. Mon père m’a conseillé de postuler à l’émission. « Tu es beau, tu es musclé, tu t’appelles John ! » J’ai conduit jusqu’au portail et je l’ai vu qui diminuait. A mon appartement, il n’y avait plus rien de propre et sur la route il y avait des affiches pour McDonald’s. J’ai dépassé l’usine d’Animémoire et puis j’ai dépassé le McDonald’s. Avant d’entrer dans le platane j’ai envoyé un SMS :

Matador classe 3 pour Saint-Bernard, finition mate.

RESU


RREC


T


ION

^

Dans la chambre jaune j’étais, de la poussière sur la vaisselle, de l’eau collante dans le seau, de la poussière de corps,

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le monde peuplé de gens, d’animaux, de plantes, de robots, de nourriture pour nourriture, de meurtres, d’imbroglios.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le corps de corps agglomérés, les uns crient, tapent au plafond de leur balai, « ta gueule la musique ! », appellent la police.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans l’époque d’arrêt du temps, de bus qui remplacent tout, d’essence qui flambe, tellement les gens sont étonnés de ne rien faire avec leurs mains.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le véhicule flottant, roulant, volant, dans la fenêtre défile de gauche à droite, de haut en bas, d’autres fenêtres, des arbres, des bouches écarquillées.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans la musique de la machine, dans l’instrument, le membre endolori, la musique se décompose.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le futur, des fleurs sans la moindre trace de pollen, des lunettes à l’intérieur des yeux sentent à ma place ce que tu sens et je te l’offre.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le corps doux la mer, ma planche vivote et mes souvenir bougent jusqu’au plaisir de la reconnaissance.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans le livre se souviennent d’anciennes versions de moi qui me regardent depuis le ciel de feuilles écrites d’étoiles, de tâches de café, de sueur de leurs fronts.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans l’ultime pont, l’ultime nœud coulant, l’ultime cascade, l’espace ténu qui sépare une face de la lame de l’autre face.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans les raisonnements plaidant l’inexistence de la magie, les aliments lyophilisés, les édifices oubliés où le Christ n’est qu’une statue.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

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J’écarte les

Lèvres, les

Paupières, le

Soleil se trouve

Dedans

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Dans une vallée verte, une maison rouge se voit dans un lac bleu,
l’homme brun touche sa moustache blanche.

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La fusée, blanche comme un cachet

Se sépare d’elle-même

Et le ciel bleu l’oublie

Et le ciel bleu

Le ciel

Une trace de feu, noire comme un coup de crayon part d’un point A

Une fleur de feu, rouge et jaune en papier croit d’un point A

Hourrah ! le cosmonaute,

Hourrah, brandit le drapeau

Vers les secours A un point H.

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Dans une forêt verte, une maison brune se cache et se recache entre les arbres,
du train l’homme boit le vin rouge, se tache sa chemise bleue.

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Dans l’œil latéral de l’oiseau, du cheval, du sanglier, dans l’œil vertical de la flaque, de l’étang, de l’océan, dans l’œil lourd qui coule du volcan.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans les quatre sortes de rapports, les quatre états de la matière, les quatre branches de la croix.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans les facettes des bifaces, dans les animaux dépecés sur les parois à coup de crayon.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans les cylindres, les sphères, les cônes, les tétraèdres, les territoires, les centres, les réflexes anthropologiques, les migrations et les névroses.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

Dans les identités, dans les idées que l’on se fait, rodent des loups, des cavaliers.

Pourquoi mourir si je peux vivre ?

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Et qu’on a pas choisi

D’aller de haut en bas,

Mais on y va, on y va, on y va !

Même si on meurt.

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De la forêt verte sort un homme rouge, son jean bleu a la couleur du ciel, dans ses bras
le singe brun saigne.

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Dans le rituel, dans la mesure, dans la minute.

Dans la danse, dans la roue, dans la torture.

Dans la tombe, dans l’armoire, dans l’échauguette.

Dans le château, dans l’ombre, dans la fusée,

Dans l’objectif, dans l’œil, dans le reflet,

Dans l’être, dans l’air, dans la soirée,

Dans l’herbe grise sous la lune,

Au soleil indirect,

Je vis.

Max Air

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