Lorenzo, 18 ans, mort d’un ouvrier

Gioacchino Criaco

paru dans lundimatin#324, le 31 janvier 2022

Lorenzo Parelli, 18 ans, était, comme beaucoup de jeunes italiens de son âge, dans le circuit de la formation alternée, un pied à l’école et un autre dans le monde du travail. Elève du Centre de formation professionnelle de Bearzi, près d’Udine, il n’aura pas connu la vie d’ouvrier à laquelle il se destinait, mais la mort, oui.

La chute d’une poutrelle du laminoir sur lequel il avait travaillé dans une usine métallurgique de Lauzacco, près de Udine, l’a tué. Le tuteur qui aurait dû s’occuper de lui était en congé maladie, il était à son dernier jour de stage, seul dans une zone à risque. En réaction à cette mort et contre un système de formation entièrement calé sur les besoins des entreprises, des manifestations de la jeunesse se sont déroulées dans toute l’Italie, de Turin à Naples en passant par Milan et Rome, accompagnées de heurts avec la police. A Milan, celle-ci a reçu de la peinture rouge et à Naples, c’est le siège local du patronat qui a été re-décoré. L’écrivain calabrais Gioacchino Criaco réagit à l’événement dans le texte ci-après, qui élargit la focale au destin de la jeunesse laborieuse en Italie et ailleurs.

S.Q.

Les jeunes de 18 ans prennent des coups

Des coups de matraque, ils en ont pris à Turin, de la police. Ils y ont eu droit aussi à Naples, par les carabiniers. Comme ça, pour l’équité. Ils demandent justice pour Lorenzo, le jeune mort à Lauzacco. Ils demandent des éclaircissements. Ils demandent un système scolaire différent. Des jeunes, de 18 ans, un peu moins. Ils sont dans la rue pour protester, Turin, Naples, Consenza, dans une vingtaine de villes, ils sont quelques milliers d’élèves, et d’ouvriers venus prêter main-forte, à se reconnaître dans un drame commun. Ils se disent opposés à un modèle d’école « d’entreprise », qui préparerait à être des instruments, à être exploités. Le système allonge la vie, fait mieux manger, prend soin de la santé. Puis il vous confie à une usine pour une cinquantaine d’années. On vit plus pour travailler plus. On mange plus pour besogner plus. Ça va mieux, du point de vue des ouvriers, si on voit comment ils ont été : objets du travail. Et le concept d’ouvrier s’élargit, réunit toujours plus de personnes. La disparition des ouvriers était une feinte, pour dire qu’il n’y a pas de raison pour le socialisme, le communisme. Lorenzo, le garçon de 18 ans mort, était fils d’un cadre et d’une enseignante, dans ce qui fut, autrefois, la classe moyenne. Classe ouvrière, désormais. Ingénieurs, professeurs, cadres divers. Toujours plus ouvriers. Toujours, tous, plus ouvriers. Et il n’y a rien de mal à être ouvriers. Evidemment. Le mal est dans les conditions où on enferme les salariés. Le mal est dans la prédétermination du destin de chacun. Et la vie est étrange, trompeuse : les départs ne correspondent jamais aux arrivées. L’école allume l’intelligence, fournit des instruments pour poursuivre. Ce n’est pas une usine à ouvriers. Et les jeunes sont pleins de vie, surtout quand l’un d’eux meurt. Les coups de trique aident à comprendre le sens de la vie, à savourer la bonté du système. Ils fortifient, diraient les enseignants sévères. Mieux vaut le comprendre tout de suite, l’avenir des cinquante prochaines années.

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