Les collégiens de la Sarthe courent-ils plus vite que les autres ?

Des bracelets connectés pour améliorer la performance des enfants

paru dans lundimatin#355, le 17 octobre 2022

« T’as bien ton carnet de correspondance, ta carte de cantine et ton stylo quatre-couleurs ? » les collégiens de la Sarthe devront bientôt penser à ne pas oublier leur « bracelet connectés ». En effet, le conseil départemental a décidé de mener une expérience sur les élèves : les équiper d’un dispositif cybernétique mesurant leur performances afin de les motiver à « améliorer leur forme ». Des parents, quelque peu inquiets de voir leurs enfants servir de cobayes et leur existence quotidienne transformée en données numériques s’organisent contre le projet. Ils nous ont transmis cette lettre ouverte au président du conseil départemental de la Sarthe.

Monsieur Dominique Le Mèner
Président du Conseil Départemental de la Sarthe

Hôtel du Département
Place Aristide Briand
72072 Le Mans

Objet : Opposition à l’expérimentation de bracelets électroniques par le Conseil départemental de la Sarthe

Monsieur le président du Conseil Départemental de la Sarthe,

Votre annonce, le 23 juin 2022, ayant pour objet d’équiper à la rentrée de septembre, 8 000 puis à terme 30 000 collégiens et collégiennes en Sarthe de ’bracelets connectés’ dans le cadre d’un programme éducatif de ’promotion de l’activité physique’ et de ’l’éducation à la nutrition’, a suscité notre indignation. Au-delà de la collecte de données, le-dit objet serait, selon vous, aussi utilisé pour motiver les élèves à améliorer leur forme et les inciter au challenge sportif. Si le bracelet connecté de juin s’est transformé, dans votre communication, en « montre sport santé », nous l’appelons bracelet électronique, pour signifier son caractère dangereux, à la fois pour nos libertés, le développement psychosocial des enfants et pour l’environnement.

Tout d’abord, nous dénonçons le risque pour nos libertés fondamentales par la surveillance des corps qu’induirait le port de ces bracelets, l’illusion de maîtrise qui serait créée par ces flux de données froides et trompeuses. Il risque également d’amplifier, ’une habituation à une ingénierie numérique et sociale’ [1].

Ensuite, nous sommes très inquiètes et inquiets des conséquences psychosociales entraînées par l’incitation à l’esprit de compétition entre les élèves, ce qui n’a aucune place dans un établissement scolaire garantissant l’égalité des chances à toutes et tous. Puis sur le plan environnemental, la pollution engendrée par le numérique est considérable. D’après le journaliste Guillaume Pitron, auteur du livre ’L’enfer numérique’, l’industrie numérique mondiale consomme tant d’eau, de matériaux et d’énergie que son empreinte est le triple de celle d’un pays comme la France ou l’Angleterre. Les technologies numériques mobilisent aujourd’hui 10% de l’électricité produite dans le monde et rejetteraient près de 4% des émissions globales de CO2, soit un peu moins du double du secteur civil aérien mondial. Ceci sans parler des conditions de travail dans lesquelles sont extraites les matières premières nécessaires à la production de ces objets ainsi qu’à leur fabrication [2]. Notre première démarche a été de tenter de nous informer, en dépit de votre communication floue et évolutive, à l’aide des informations parues dans la presse.

À ce titre, nous exigeons des réponses aux questions suivantes, afin d’éclairer, d’informer citoyennes et citoyens, parentes et parents, inquiètes et inquiets à l’idée de ce type de projet :

  • ➢ Démocratiquement d’abord, qui a proposé ce projet ? Quand et comment le Conseil départemental a-t-il pris la décision de cette expérimentation ?
  • ➢ Pourquoi l’absence de débat, relatée par un groupe d’opposition au sein du Conseil départemental ? Comment se fait-il que vous envisagiez la généralisation de ce projet sans avoir effectué d’études en amont de cette expérimentation ? Si études il y a, merci de nous les faire parvenir.
  • ➢ Financièrement ensuite, combien va coûter l’achat de ces bracelets ? Comment vont-ils être financés ? Avez-vous pensé aux coûts supplémentaires inhérents à la mise en place de cette expérimentation (matériel subsidiaire à fournir aux professeures et professeurs, formation des enseignantes et enseignants...) ?
  • ➢ Avez-vous pris en compte l’empreinte écologique (la fabrication des objets, la conservation et l’exploitation des données) d’une telle mesure, alors que le journaliste Guillaume Pitron indique dans ’L’enfer numérique’ qu’il est extrêmement difficile de la mesurer ?
  • ➢ Outre le coût écologique des données, nous nous interrogeons sur leur conformité au Règlement général sur la protection des données (RGPD) : qui est le responsable de traitement ?
  • ➢ La CNIL a-t-elle été sollicitée ? Si oui, à quelle date et pour quel type de données ?
  • ➢ Quelles sont les finalités de ce traitement de données et leur durée de conservation ?
  • ➢ Quelles sont les modalités de recueil des données ?
  • ➢ Comment prenez vous en compte les données de santé, qui exigent une protection et une cyber sécurité renforcée, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants ?
  • ➢ Comment allez-vous garantir l’anonymisation des données, recueillies lors du diagnostic de forme des élèves, qui seront saisies sur l’application "tous en forme" ? Pouvez-vous détailler la nature du partenariat envisagé avec l’Université de Paris ?
  • ➢ Quand et comment les parents, parentes et les associations d’élèves ont-ils/elles été informés/informées de cette expérimentation ?

Fermement opposés/opposées à ce projet de bracelet électronique, nous souhaitons contribuer au débat public qui, nous l’espérons, sera lancé à votre initiative afin de trouver des solutions élaborées collectivement. Il nous faut remédier (élues/élus, corps enseignant, parents/parentes, élèves, citoyennes/citoyens...) aux causes réelles de la sédentarité provoquée, entre autres, par le numérique plutôt que de penser trouver des solutions par toujours plus de numérique. En l’absence de réponses à nos questions et de débat initié au sujet de cette expérimentation que nous pensons dangereuse, nous l’empêcherons par une diversité d’actions manifestantes, juridiques et médiatiques. Pour reprendre les termes de M. Anthony Trifaut dans l’article du journal Ouest France du lundi 26 septembre : nous irons jusqu’au bout de l’action pour faire du lien, sans ces bracelets !

Le collectif « Du lien, pas des bracelets » Contact : dulienpasdesbracelets@riseup.net |

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