Le préfet veut-il la guerre sociale ?

« Après une heure de distribution, deux escadrons de voltigeurs ont encerclé la place »

paru dans lundimatin#241, le 4 mai 2020

Depuis le début de la crise du Covid il est de bon ton de saluer la « solidarité ». Cela passe par des reportages journalistiques recensant les élans spontanés d’entraide (prétextes aussi à ressortir de bons vieux poncifs anti-pauvres cf. « Dans le 93, solidarité en bande organisée »). Ou par des mots d’ordres gouvernementaux (appels à alimenter des cagnottes, ou à la « solidarité européenne », ou encore à « ne pas oublier l’Afrique »). La solidarité a bon dos, puisqu’elle permet notamment de masquer l’impréparation du gouvernement autant que le démantèlement organisé de l’hôpital public. Mais il faut ajouter que cette solidarité « doit » bien entendu rester apolitique, et ne pas porter en creux une quelconque critique du pouvoir.

Quelques « solidaires » l’ont appris à leur dépend, eux/elles qui ont eu la « mauvaise idée » d’organiser une distribution gratuite du nourriture ce 1er Mai à Montreuil. Il faut dire que, alors que Macron regrettait publiquement les 1er-mai « chamailleurs », le préfet Lallement s’était visiblement préparé à ce que des manifestants bravent les interdictions de rassemblement. Ainsi la place de la République à Paris était occupée par des escadrons de CRS (qui ont procédé à des arrestations) et les BRAV-M (ces unités mobiles à motos misent en place pour museler les GJs) étaient mobilisés pour dissoudre d’éventuels rassemblements. Désoeuvrés, ils se sont affairés à mettre fin cette distribution de légumes, qu’on aurait pourtant cru « solidaire ».

Le préfet veut-il la guerre sociale ?

Mercredi 22 avril, le Canard enchaîné révélait que M. Georges-François Leclerc, préfet de Seine- Saint-Denis, redoutait des « émeutes de la faim  » dans son département. C’est la formule qu’il employait dans un mail au préfet de région. Quelques jours plus tard, Le Figaro, organe de presse que l’on peinerait pourtant à doubler sur sa droite, se faisait l’écho de cette information, révélant que la police du département avait des craintes similaires [1]. Plus précisément, l’organe historique de la presse de droite citait un confrère citant sur Twitter une source policière – il ne faudrait pas non plus que Le Figaro enquête en Seine-Saint-Denis... BFM et autres communicants habituels du régime ont ensuite relayé l’information, précisant que le doigt mouillé du préfet estimait qu’entre « 15 000 et 20 000  » personnes « vont avoir du mal à se nourrir ».

Ce vendredi 1er mai, nous étions une cinquantaine de personnes arborant masques et gants de rigueur sur la place du marché de Croix-de-Chavaux, à Montreuil, pour y tenir un marché gratuit. Des fruits et légumes frais récupérés aux entrepôts de Rungis étaient distribués gratuitement aux habitant.e.s qui le souhaitaient. Le mètre de distance de rigueur était scrupuleusement respecté, les gens ne s’attardant que pour savoir quand aurait lieu la prochaine distribution de ce type. Nos caisses de citrons, piments, prunes, tomates, céleris sont vite parties. Une fois n’est pas coutume, on en venait à croire que le préfet avait raison : le confinement pousse beaucoup de gens dans une misère sans nom.

C’est alors qu’après environ une heure de distribution, deux escadrons de voltigeurs (ou BRAV-M, qui restent des assassins malgré les changements de sigle) ont encerclé la place, suivis d’autres véhicules de police. Encerclée, la cinquantaine de personne présente s’est vue signifier des contraventions, après contrôles d’identité et, selon les dires d’un policier « inscription au fichier  ». Lequel, de fichier ?

Le (tout jeune) commissaire présent sur place nous a signifié l’objet de notre contravention « participation à une manifestation interdite par arrêté municipal - et en plus vous enfreignez le confinement  ». Lui ayant fait remarquer que nous organisions une distribution de nourriture dans des temps difficiles, et pas une manifestation, il nous répondit que notre action était de nature « revendicatoire » (sic). La présence de quelques banderoles similaires à celles qui pendent aux fenêtres en solidarité aux personnels des hôpitaux suffit-il à qualifier notre crime ? Sanctionner les gens pour des activités politiques relèverait-il officiellement des missions de la police ? Alors, confinement peut-être, mais au moins les masques tombent.

Ce régime asphyxie les plus pauvres, et répriment ceux qui s’organisent au sein de bridages de solidarité populaire et ailleurs. Sa rhétorique martiale ne masque rien : il veut la guerre sociale.

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