Le corps d’en Haut - Patrick Condé

« Sur la tête, du corps d’en Haut,
la grimace retenue,
à l’encolure, cravatée,
sous le masque lisse »

paru dans lundimatin#186, le 9 avril 2019

Le corps d’en Haut se place, en bleu,
se place, au centre,
toujours en bleu, au centre,

Le regard se place, au centre, en bleu

Derrière le regard, souffle,
le vent, froid, courants d’air, froids,
où s’engouffrent, les fumées,
opaques, de l’industrie,
primaire, secondaire,
tertiaire, quaternaire,
toute entière

Derrière le regard, les vapeurs tièdes,
les nappes grises, cloaques nuageux,
blancheurs jaunies, de l’industrie,
envahissent

Le regard se place, au centre, en bleu,
ça, qui produit et se produit,
nous regarde,
en bleu, d’épouvante, de clameurs, d’industrie,
clameurs bleues, étouffées, de travail

Ca, qui produit et se produit,
nous regarde,
calme épouvante,
par le fleuve infesté, par la terre infestée, par le ciel infesté,
les yeux morts, de l’industrie,
toute entière

Le regard se place, au centre,
en bleu, de l’abîme,
traversé, par l’abîme, sans retenue,
le regard se place, au cœur ouvert
de l’abîme, en bleu, déferlant

La cravate se place, au centre,
resserre, en noir, le bleu, déferlant,
du froid, de l’industrie

La cravate, resserrée, au centre,
calibre l’étroitesse, du col
blanc, comme neige

Le froid, de la parole, cravatée,
resserrée, au centre,
glace l’écoute, de ce regard aveugle,
traversé, d’un vent glacial

Ciel glauque, clameurs incessantes,
fumées incessantes, d’industrie,
s’engouffrent dans l’abîme,
du regard, placé au centre,
dans le bleu glacial, de l’Enfer

Centre partout,
circonférence nulle part

Guirlandes de cravates, attachées,
les unes aux autres, par petits, par grands bouts,
comme les mains se donnent,
données les mains, petites et grandes,
blanches ou blanchies,
à la ronde, tout autour de la terre,
de la Zone terre, à détruire

Les mains, le long du corps d’en Haut,
placé au centre, en bleu,
les mains détachées, pendantes,
blanches ou blanchies,
en attente, de serrer d’autres mains,
détachées, pendantes,
mains de personne, les mains du contrat,
serrées, contractuelles, blanches ou blanchies,
dans le dos, sur la tête,
des hommes libres,
librement soumis, contractés

Les mains, posées à plat,
sur l’autel somptueux, de gouvernance,
rituel d’or, et de souffre,
dans le bleu, d’acier trempé,
ruissellement, d’or et d’argent,
fleuve bleu, d’acier trempé,
pour la guerre,
langue bleue, d’acier trempé,
dans la Loi

Les mains, sur l’autel,
s’agitent, poupées animées,
sous escorte, gardées,
sauvegardées, regardées,
le bâton, l’avant-bras,
du bateleur, argumentent,
font danser
le mensonge

Sous l’autel, entre,
une rangée de flics, à genoux,
décapités, casqués,
et le Pape, sur son pot, de chambre,
une paire de souliers, bien cirés,
agités,
une assiette, mal saucée,
des arrêtes, recrachées,
un œil mort, de poisson

Sur la tête, du corps d’en Haut,
la grimace retenue,
à l’encolure, cravatée,
sous le masque lisse

En coulisse, explose,
l’éclat de foi, éclat de fou, rire,
du salaud sincère, fanatique

Sur la lunette, des latrines d’or,
le Roi nu, placé au centre,
le regard bleu, abîmé au centre,
en prière :
« Prenez et mangez en tous, ceci est… ».

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