Le concubinage notoire du christianisme institué et du despotisme économique [5/9]

Par Jacques Fradin [vidéo]

paru dans lundimatin#129, le 15 janvier 2018

Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme. Il y a presque trois ans, nous avions publié une série de vidéo intitulées Qu’est-ce que l’économie, cette nouvelle salve en est la suite logique, dans le sens d’un approfondissement. Le propos est rapide, dense et complexe tout autant qu’il est érudit, précieux et indispensable. Enregistrées à l’hiver 2016, ces 9 vidéos demandent de la patience et de la concentration, qualités nécessaires à tout bon lecteur de lundimatin. Cinquième épisode : Le concubinage notoire du christianisme institué et du despotisme économique

Deuxième Série

La fusion économique du christianisme autoritaire

Épisode B : Le concubinage notoire du christianisme institué et du despotisme économique

Résurgence du christianisme politique de type franquiste.
Que peut signifier la définition de l’Europe par sa tradition chrétienne, lorsque l’Europe est un régime politique de despotisme économique ?
Le concubinage notoire du christianisme institué et du despotisme.

L’affirmation « simple » que l’économie est un système de contrôle des comportements, qu’il y a donc possibilité d’aliénation (possibilité de modification de la personnalité ou de fabrication de rôles sociaux, etc.), que l’économie déploie un ordre moral (du Travail par exemple), et que c’est cet ordre des comportements (déterminés, définis, normés) qui est essentiel (comme en témoigne la nécessaire « restauration » régulière de l’ordre moral), cette affirmation selon laquelle l’être humain n’est pas « naturellement » une « conscience pleine impénétrable » (thèse de la philosophie de la conscience, pensée comme indispensable pour assurer la liberté) cette affirmation est l’objet d’une guerre, guerre idéologique signalant bien l’enjeu religieux du contrôle des croyances.
De manière simpliste, il suffit de critiquer le mythème de « liberté du commerce » (où cette liberté normée, encadrée, est confondue machiavéliquement avec la « création démocratique » — il s’agit de la restriction des Droits Humains au seul droit de propriété et à la sécurité associée) pour retrouver le centre actif de l’économie : la surveillance, la sécurité, la propriété défendue militairement, l’autorité & l’obéissance, le despotisme économique (simple question de mise en jambes : pourquoi ne pas étendre aux entreprises la structure statutaire et parlementariste des universités, mais plutôt étendre aux universités le despotisme de la fabrique ?).

Sitôt, donc, que l’on comprend : éco-Nomie = fabrication des comportements disciplinés, réguliers — comme le Travail, l’objet de l’économie est la fabrication d’un type humain, le Travailleur discipliné, zélé, performant, etc. — nous pouvons comprendre que l’économie est fondée sur une morale autoritaire, constitue un ordre moral (de la mise au Travail, de la réaffirmation violente, sans cesse reprise, de la « valeur (du) Travail »).
Un ordre moral : ce qu’est évidemment une religion instituée en ordre politique.

Nous pouvons alors répondre facilement à la question : comment se fait-il qu’il y ait des régularités économiques, des régularités transformées idéologiquement en « lois naturelles », alors qu’il s’agit de régularités contingentes, aléatoires, statistiques, de « lois de répartition » ? Simplement parce qu’il y a des comportements disciplinés, surveillés, que les comportements sont rendus prévisibles, obéissants. Mais il n’y a pas de « lois » en soi, seulement des apparences de « lois » (lois statistiques exclusivement) qui sont les expressions (aléatoires) de la police des comportements.
C’est bien cela qui définit l’économie comme une religion : la prévisibilité moutonnière des habitudes conformées, le grand conformisme. Et, à l’envers, toute rupture de l’ordre régulier est anti-commerciale !

L’économie est la religion d’arrière tâche.
Son régime despotique quasi-théocratique a toujours cherché à piller les traditions les plus autoritaires des religions installées. Comme le christianisme patronal et de patronage.
Il s’agit toujours de conformer, de discipliner, de policer.
L’Europe se prétend une union de tradition chrétienne.
Et l’appel répété à cette tradition, le rappel de sa fonction normative, conformatrice et conservatrice, cet appel réprime, refoule et tente de forclore le plus grand conflit qui a clivé cette tradition (finalement non unitaire) et mené aux pires exactions.

Il n’y a pas une tradition chrétienne, mais, au moins, deux.
L’une mène du conservatisme au despotisme économique, le christianisme patronal de type franquiste. Et sert même à ressusciter ce fascisme glauque de type espagnol ; un “caudillisme” appuyé sur le christianisme noir.
L’autre prépare, depuis les origines gnostiques, au communisme.
Il est bien connu que le communisme est une possibilité révolutionnaire d’un certain christianisme ; et peut-être même un christianisme plus originaire.
Nommons cette forme : gnostique.
Le communisme gnostique (chrétien) est en guerre perpétuelle contre l’autoritarisme conservateur, l’autre christianisme des inquisiteurs et des redresseurs d’insensés (non rationnels).
Il n’y a pas de tradition chrétienne unique sur laquelle se fonder.
Puisqu’il y a, au moins, deux voies chrétiennes.
Deux voies hostiles et conflictuelles.
La grande guerre civile européenne est, encore, une guerre de religions : l’économie contre le communisme.
Nouvel aspect qui explique la violence de l’économie.
Violence à la limite armée et fasciste.
Lorsque l’Europe se revendique « de tradition chrétienne » (comme le Juncker “démocrate-chrétien” gouverneur d’un paradis fiscal), il s’agit évidemment de la pire tradition, celle des chasseurs d’hérétiques, celle des chasseurs de têtes, celle des chasseurs d’esclaves.
Et lorsque l’économie devient la religion, l’introjection du christianisme autoritaire, l’opposition à l’économie devient une hérésie, une désertion intolérable.
Hérésie, gnostique ou communiste, qu’il est nécessaire d’éradiquer en excommuniant puis exécutant les réfractaires, les scissionnistes.
Car il en va du bon fonctionnement, régulier et ronronnant, de l’économie.

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