Le MINOTAURE et son LABYRINTHE

Le Sauveur de la Grèce apparaîtra-t-il dans l’habit éblouissant de « la meilleure économie » ?

paru dans lundimatin#10, le 8 février 2015

Un lecteur assidu de LundiMatin nous a fait parvenir son analyse de la situation grecque.

En Grèce, la dictature austéritaire européenne vient d’être contestée, par un processus électoral, indiscutable du point de vue parlementariste.
Acclamons ce résultat réjouissant.

Comme nous pouvions, déjà, acclamer la victoire du NON au référendum de 2005.
Mais ce précédent, la victoire électorale du NON de 2005, et la manière dont les partis parlementaristes, unis pour le défense de l’Europe oligarchique, l’ont rapidement réduit à l’état de chiffon de papier, cette manière autoritaire de jouer de la légalité doit nous amener à exprimer des doutes quant à la suite du fameux “bras de fer” annoncé par les trompettes de la propagande. Bras de fer entre des chevaliers de l’économie (libérale vs keynésienne) pour le « sauvetage » de la Grèce colonisée.

Nous allons, ici, illustrer la thèse luthérienne 28 : la rébellion produit de l’énergie récupérable, sauf si elle est rébellion contre l’économie.

Exposons alors ces doutes.

Néanmoins, et pour anticiper l’exposé systématique, disons que ces doutes proviennent d’une observation massive.
Le rejet électoral de la dictature austéritaire, tant en 2005 qu’aujourd’hui en Grèce, et peut-être demain en Espagne, rejet bien ordonné, suivant les voies légales, ce rejet est le résultat d’un processus vertical.
Processus de dépossession typiquement économique : il s’agit d’un compte sur des agents atomisés, agents dont la seule existence tient en une « représentation » par des machines de concentration autorisées (les partis habilités). Le processus électoral étant un processus comptable, élément de l’économie, il devient inévitable que les débats (le “bras de fer”) soient enfermés dans l’espace de l’économie.
Processus vertical, hiérarchique, religieux (de foi et de transfert de confiance), électoral, parlementaire, activé par une machinerie de parti très traditionnelle.
Parti lui-même constitué dans l’espace nostalgique du RETOUR, pour ne pas dire réactionnaire, au moins patrimonial.
Ici, RETOUR du keynésianisme national du Golden Age, même si « la nation » peut être maintenant l’Europe (les États-Unis d’Europe, agglomérés en totalité solidaire néo-nationale).
Parti cultivant, donc, le culte des autorités, des tribuns, sinon des personnalités.
Le culte de la compétence.
Le culte de l’économie, même « radicale ».
Un nouveau parti social-démocrate fait RETOUR.
Les autres partis, autrefois ainsi nommés « socialistes », du PS au PASOK, ou se prétendant encore tels (mais jusqu’à quand ?), étant depuis longtemps devenus “démocrates” à l’américaine, voire carrément néolibéraux et officines des banques d’affaires, cas du PS français.
RETOUR à la social-démocratie des années 1950/1960, peut-on parfois lire.
Déploiement de l’eurocommunisme des années 1970, lit-on ailleurs.
Justifiant et conservant la forme parti autoritaire (machine de concentration), arc boutée sur les résultats électoraux et les décomptes locaux, sur les alliances d’appareil, sur les compromis tardifs des réunions au sommet.
L’éloignement du peuple par la machinerie parlementaire, compromise par sa collusion avec l’oligarchie financière, se conjuguant avec le surplomb des calculs économiques, des programmes économiques alternatifs (du RETOUR à Keynes ou au New Deal – comme si de l’arasement économique, néolibéral, ne pouvait surgir, au mieux, qu’un Roosevelt sorti du coma profond), des montages financiers que seuls des banquiers d’affaires (“socialistes”) maîtrisent.
Bref l’opposition de Sa Majesté l’économie.
Reconstituée en parti réformiste modéré.
Mais dont les annonces “réalistes” font l’effet de bombes, tellement le despotisme européen, sûr de lui, était devenu autiste.

Les propositions de l’économiste keynésien Yanis VAROUFAKIS, sa demande à l’Allemagne « d’exercer son hégémonie » (de manière bienveillante ? ou, identiquement, rationnelle ?) en impulsant un (New) New Deal européen, sont symptomatiques de la manière dont l’analyse économique critique, lorsque cette analyse critique reste analyse économique (anti-économique), à prétention académique, se transforme en recette « critique » de gestion.
Recommandons la lecture de The Global Minotaur, de Yanis Varoufakis, ou la lecture de Modern Political Economics, de Yanis Varoufakis, Joseph Halevi and Nicholas Theocarakis, pour juger sur pièces.
L’économie critique (anti-économique) se transmuant en gestion supérieure, en meilleure économie.
Dont les “recettes” peuvent être approuvées par l’ultra libéral The Economist !

Bien entendu, tel est le noyau des doutes déployés, il existe un lien serré entre la verticalité parlementariste, ses machinations de dépossession, et le réalisme breveté de la gestion critique.
C’est le cadre même du despotisme économique qui est conservé, magnifié : une économie alternative, surtout EN RETOUR, n’offre aucune alternative, aucune perspective de « sauvetage ».
Aucune place n’est donnée à un quelconque processus horizontal, sinon comme force d’appoint, claque militante bien encadrée.
L’économie critique et son parti, l’économie alternative et son gouvernement, ne font aucunement avancer vers l’émancipation (de l’économie, du despotisme, de l’oligarchie, de l’inégalité radicale que renforce l’austérité).
Les perspectives émancipatrices que l’effondrement de l’économie recelait, par la dispersion des pôles d’organisation, ces perspectives sont de nouveau verrouillées, canalisées vers la Nouvelle Donne (plutôt ancienne).
En jouant de tous les leviers étatiques surannés, le Nouvel État (nouveau) keynésien avance par des promesses, aussi bien que par des menaces, et conserve le monopole des décisions stratégiques.
La technocratie économique est ainsi sauvée ; bien qu’il ne soit pas sûr que ce « sauvetage » s’étende de l’économie (si sauvetage il y a) aux collectifs nés de l’effondrement de cette économie.

La comparaison de la Grèce et de l’Argentine serait instructive.
Dans les deux cas, des forces politiques créatives, mais hors de toute organisation en termes de partis parlementaires, des forces d’émancipation s’opposent à des pouvoirs réalistes ou des regroupements de compromission, concentrations efficaces qui ne pensent qu’en termes de compromis praticables.
Dans les deux ces, le nouveau gouvernement « radical », mandaté pour lutter contre la dictature austéritaire, mais acceptant d’être lié par des règles économiques (modifiables à la marge grâce aux spécialistes de la finance, comme Lazare), va se retourner contre “son peuple”, réintégrant la cour impériale.

Nous pouvons alors formaliser les doutes que nous avons laissé venir.

Les politiques économiques européistes ont conduit à la crise de l’Europe. Et, dans le cas grec, à l’effondrement de l’économie.
Dans cet effondrement naissent des économies parallèles, des économies noires, que les libéraux théorisent comme « économie informelle », considérée comme la plus libre des économies et, peut-être, l’avenir libertarien de la société économique.

Face à l’effondrement, TROIS voies sont envisageables.

1- La tentative de reconstituer l’économie par le haut, en plaçant l’État au centre de cette résurrection.
Tentative désespérée de reformer l’État social keynésien (mais sous contraint néolibérale). Ce qui semble le projet du nouveau gouvernement grec « radical ».
Si l’effondrement de l’économie, l’accumulation des mesures d’austérité très violentes, la tentative d’un nouveau big bang à la Eltsine, si toutes ces offensives meurtrières se sont déroulées au nom du sauvetage de l’économie, la nouvelle social-démocratie réformiste keynésienne s’inscrit dans le même cadre (du sauvetage de l’économie) en proposant son nouveau (ancien) programme EN RETOUR, annoncé comme plus crédible.
Concurrence des Évangiles économistes.
Où seule « l’économie » réifiée, constituée comme strate autonome, indépendamment « des gens », est objet de la pensée et de l’action.
Non pas : comment permettre aux collectivités expulsées de l’économie de définir politiquement leur avenir ? Mais : comment revenir, aussi vite que possible, à l’état ancien des affaires ?
Il peut être intéressant de lire le tout petit opuscule de James Galbraith, Stuart Holland et Yanis Varoufakis, préfacé par Michel Rocard, Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro.
Plus que de la modestie, de la soumission, de l’acceptation résignée des « rapports de force ».
En conclusion : quatre solutions réalistes pour remplacer cinq fausses alternatives.
En résumé : le (New) New deal, un plan européen pour la relance économique, construit sur la base des institutions acceptées, la BCE (Banque Centrale Européenne) et une BEI (Banque Européenne d’Investissement) renouvelée.
Rien que de l’institutionnel.
Absence criante du peuple.
Plan, tentative qui ne saurait, donc, nous sortir de despotisme, de la technocratie, du régime politique de l’économie à la source de l’effondrement.
L’effondrement économique ne peut se résoudre de manière économique. Il contient la possibilité non d’une autre économie “meilleure”, mais d’un autre chemin, celui de la sortie de l’économie et de la création politique communale.

2- Arrive alors la tentative de reconstituer l’économie par le bas.
Dans l’urgence.
Encore une fois, en se référant à l’expérience de l’Argentine, peuvent fleurir des circuits économiques parallèles, locaux, mais encore économiques (des systèmes localisés d’échange et de production).
Il peut même apparaître une sorte de résurrection du « système minier » de la fin du 19e siècle et du début du 20e (ce système minier étant le noyau expérimental de l’État social). Autour d’une grande usine “récupérée” ou d’un gros conglomérat industriel “autogéré”, s’ordonne un ensemble de secteurs, des services associés (par une division du travail reconstituée).
La Russie post Eltsine, après le big bang ultra libéral, a connu de telles reconstitutions.
Non pas l’économie sociale (ni même solidaire), qui exige, pour tenir, le plein développement du capitalisme, mais plutôt des archipels de la débrouille.
Et nous l’avons dit, archipels noirs vénérés par le libéralisme de l’économie informelle et enchantés comme l’avenir de l’humanité libérée.
Nous savons que ce phantasme de l’informel, qui constitue même l’infrastructure de la jouissance de Serge Latouche, fait l’objet de thèses, de manuels, etc. Nous renvoyant à l’anarchisme économiste de Proudhon, à l’origine même (par les néoclassiques) de la technocratie néolibérale.
Cercle vicieux de la divinité économique.
En dehors de leur récupération dogmatique, ce qui caractérise ces tentatives (dans l’urgence) par le bas est la dislocation du système comptable (et donc du système monétaire – renvoi aux “inflations” dans l’Argentine et la Russie libérées).
Ces tentatives sont donc OUVERTES puisqu’instables.
Soit elles nous ramènent à la recomposition par le haut (exemple de l’Argentine ou de la Russie).
Soit elles nous amènent à la solution de l’instabilité et de l’effondrement par l’exploration d’un nouveau continent, celui de la sortie de l’économie.
3- La sortie de l’économie n’est pas une troisième voie !
Elle est d’abord la conséquence de l’effondrement de l’économie, une sorte de coup de force négatif ; Dès qu’il ne s’agit plus de penser au sauvetage de cette économie désatrée (par exemple en restructurant les systèmes comptables monétaires, toujours l’Argentine), dès qu’il ne s’agit plus de penser en termes de sauveur (suprême ou pas), dès qu’il s’agit de déployer politiquement les solidarités horizontales.
La pratique de la solidarité devient une stratégie politique, non plus un élément constituant d’une nouvelle économie « sauvée » par la solidarité.
Si l’on veut, il s’agit de penser l’économie politiquement, de dissoudre l’économie dans la vie, dans le flux nécessaire de l’énergie créatrice imposée par la situation.
Apparaissent alors des forces indistinctes, ni étatiques, ni territoriales, ni nationales, ni identitaires, ni marchandes, ni économiques, ni négristes, ni cognitives.
Car la sortie de l’économie est identiquement sortie de l’Europe et de toute structure territoriale néo-étatique. Est évidemment destruction de toute institution économique (exigeant la castration des phallus financiers).

Tout ce que ne peut envisager le nouveau parti social-démocrate nommé Syriza.

Au fond du Labyrinthe économique le Minotaure veille et surveille.
Exigeant ses rations croissantes d’énergie vitale.
Il se ne trouvera pas d’Ariane alternative, keynésienne, pour nous indiquer le fil de la résurrection économique. Qui pourrait bien être le nouveau piège (mais pas si nouveau) pour alimenter le Minotaure. Pour “remoraliser” l’énorme machine du désastre. Pour relancer l’esclavage avant dernier.
Délaissons le labyrinthe des programmes économiques salvateurs.
Et le Minotaure se dessèchera, faute d’approvisionnement libidinal.
Nous avons autre chose à faire que de nous constituer comme chair à croissance économique.

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