Puits-sans-Fond : la gauche, la culture et le management

Reportage

paru dans lundimatin#323, le 28 janvier 2022

La ville de Puits-sans-Fond, terre historique de l’industrie chimique sise sur les laborieux rivages rhodaniens, mais désormais plus marquée encore par un chômage massif et près de la moitié d’une population vivant sous le seuil de pauvreté, a vu aux dernières élections municipales la victoire de la gauche ensemble unie derrière le candidat Désépines. Lui le candidat vert et son adjointe communiste à la culture, Madame Bourgeois, ont annoncé très rapidement vouloir faire de la Culture une priorité de leur mandat. Tout, en effet, concourt depuis à le confirmer.

La médiathèque municipale en est le fleuron, la pointe avancée. Sous l’impulsion d’un management innovant et moderne, le maire et son équipe, ayant établi le constat d’un personnel de médiathèque trop nombreux et coûteux, entreprennent selon leurs mots « d’optimiser l’équipement » : remplacement à venir d’une partie du personnel par des bénévoles tout à fait aptes à réaliser des tâches « ingrates », réduction du personnel, normalisation subséquente des vacances de permanences auprès du public et exigence d’extension toujours plus ample des horaires d’ouverture, imposition d’un d’accroissement du nombre d’actions culturelles, éloge de la polyvalence ou transversalité se traduisant par l’interchangeabilité des métiers – une personne formée à l’animation numérique peut devenir du jour au lendemain spécialisée dans l’accueil de la petite enfance et les actions pédagogiques à son endroit – , rigueur comptable de l’équipe municipale qui fait le choix raisonnable, après avoir réduit le nombre d’employés désormais pas assez pour tout faire, d’une diminution des achats de livres, et par-là du budget afférent ainsi que leur traitement, car il faut bien "prioriser" en faveur de la vitrine que sont les animations, quitte à rabougrir la base…Les employés, qui pensaient tirer profit de l’établissement l’été dernier d’un cadre horaire pour ne plus travailler avec zèle et sans compter leurs heures supplémentaires, sont encouragés sous une bénéfique contrainte à anticiper les besoins, à se livrer, sans regarder au temps, à la beauté morale de l’action publique. Les cas de burn-out relevés les années précédentes ne sont qu’incidences privées et personnelles. Déjà d’aucuns confrères avaient rapporté il y a un an le témoignage d’un bibliothécaire de l’Ouest français sur ce management débridé. Depuis, les méthodes d’encadrement dans la fonction publique ont progressé, à l’instar de la mise au pas sereine des bibliothécaires indolents de Puits-sans-Fond, onéreux bradypes, par un management usant des meilleurs procédés : report par les dirigeants d’une responsabilité inassumée de leurs choix et ordres politiques sur les employés, chantage, verbiage édulcorant, étourdissement par l’urgence permanente, mensonge et docte pression psychologique, dévalorisation d’un métier privé de toute expertise et légitimité propre, menace enfin de mise à pied ou de limogeage selon le statut. Il est navrant que l’équipe tout entière de la médiathèque, entraînant avec elles d’autres employés municipaux naïfs, ait opté pour la grève annoncée cette semaine. Le maire parle à cet égard de « prise d’otages ». Il est bien le seul à porter l’étendard du service public. Heureusement les directions administratives donnent le la aux chefs d’établissements : il leur est demandé de « taper fort » et « d’avoir un coup d’avance ». Il n’y a pas à rougir de l’intransigeance salutaire d’esprits managériaux pétris d’une discipline toute militaire. Reportage.

Le maire de Puits-sans-Fond

Le maire de Puits-sans-Fond
A pour parrain Janus
A sa chemise ourlée
L’aspic noir de Charlus

Le maire de Puits-sans-Fond
Frappe du poing sur la table
"Le livre mes mots défont
La chose doit être rentable

Voyez je suis un vert
Un vert-de-gris passé
Je suis à mon hiver
Mon esprit est racé

J’ai connu la grandeur
Mais vous neuve jeunesse
Il n’est plus pour vous l’heure
Je sais par droit d’aînesse

Ma parole politique
Est un vain consensus
Une lâcheté étique
Mon verbe est un rébus

Mais aux gens opiniâtres
Paraît ma vérité :
Je suis un idolâtre
Des rentabilités

Cette bibliothèque
Où vous vous prélassez
Votre tribu d’Aztèques
Je la prends au lacet

Je sabre gentiment
Ses rangs d’improductifs
Et tandis que je mens
L’émoi en pendentif

Et la culture au front
Frémissant des bacchantes
Je vous fais un affront
Du profit je m’enchante

Au pas ces hommes du livre !
Ouvrez plus soyez moins !
Je remplacerai ivre
Par de bénévoles mains

Sans autre émolument
Que leur retraite chiche
J’entaillerai crûment
Vos trop-perçus de riches

Ainsi diminueront
En nombre les ouvrages
Et nous étoufferons
Vos petits cris de rage

Je vous l’ai dit déjà
Mon adjointe communiste
Voudrait qu’on allégeât
Cette coûteuse liste

D’employés fonctionnaires
Ou pour partie seulement
Payés tous à rien faire
A lire douillettement

Moi le sieur Désépines
Et mon bras droit Bourgeois
Faisons courber l’échine
En un grand feu de joie

Je suis un homme de gauche
Un humaniste connu
Mais en sous-main j’ébauche
La mine du parvenu

Je chéris l’apanage
Que confère ma fonction
Je n’aime pas le partage
Sur moi tombe l’onction

Habile à manager
Sur mes agents je jette
Responsabilité
Fonction publique en miettes"

PCF, écolos, et autres volatiles
Voyez comme ils sont beaux
En comptables serviles
Libéraux au jabot

Chassez-les donc du temple
Qu’importe l’étiquette
La révolte sera ample
Déchirons leurs liquettes

Ingrid Sanbra

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :