La lettre d’adieu qu’Emmanuel Macron n’enverra pas aux français

paru dans lundimatin#185, le 2 avril 2019

Dans une récente adresse au président de la la République, le philosophe Frédéric Lordon lui faisait remarquer ceci :

M. Macron, voyez-vous la minceur de l’écart qui vous tient encore séparé du Gorafi ? Vous êtes la gorafisation du monde en personne. Sauf que, normalement, le Gorafi, c’est pour rire.

Dans un état d’esprit proche, le 30 mars dernier, les présidents des principales banques françaises s’adressaient dans une tribune au « Monde » au mouvement des « gilets jaunes » pour que cessent les actions de vandalisme contre leurs établissements. Le lendemain, c’était au tour du Parisien de commettre un un article sur le burn-out d’Emmanuel Macron sans que les lecteurs ne soient en mesure de trancher entre le tragique et le comique.
Gorafisation du pouvoir ou poisson d’avril, difficile de s’orienter en ce début de printemps. Un lecteur nous a transmis ce texte qu’il nous a présenté comme une proposition de discours d’adieu d’Emmanuel Macron et qui aurait été rédigé par une nouvelle et déjà ex-plume du président, avant d’être refusée in extremis. La commande consistait à préparer la sortie du président, un coup d’éclat en forme de suicide politique.

Chers contemporains,
Le temps est revenu de m’adresser à vous. La période troublée que connaît le pays m’en donne le devoir. Mais il s’agit de bien plus, bien au-delà de notre modeste France, bien au-delà des événements concrets qui agitent le pays.
Avant de me présenter à vos suffrages j’avais fait le pari de la révolution. Comme vous tous, ma préoccupation dans l’engagement était d’enrayer le cercle infernal des échecs qui voit se succéder inventaires, promesses, professions de foi déterminées et puis : rien. Nos institutions, la république, la démocratie, nos croyances vacillent. Pas d’éclaircie, le tunnel se rallonge à mesure qu’on s’y enfonce… Notre occident peine à prendre le virage postmoderne, à être autre chose qu’un miroir aux alouettes déglingué pour les autres peuples… Il fallait bien une révolution.

Je la voyais par le haut, ayant appris qu’il fallait toujours tirer vers le haut. Mobiliser les richesses, les intelligences, les charismes, la solidarité des puissants ; les bonnes choses ne manqueraient pas de ruisseler. Je voulais moi-même être ce haut, au dessus la mêlée, en pensant au général de Gaulle, aux grands capitaines d’industrie. Mon orgueil est illimité. Je veux être de ceux qui s’inscrivent dans l’histoire. De ceux qui décident. Pour cela il faut être du bon côté, du côté de ceux qui savent les alliances de la comédie médiatique et des puissances militaro-industrielles. Du côté de ceux qui savent se mettre à l’abri, qui accumulent. Car ils se doutent que les masses, les foules haineuses ne leurs feront pas de cadeaux, le moment venant. Pour réussir la révolution par le haut il aurait fallu parfaire la société du spectacle pour endormir les inutiles, les sans dents, leur apprendre à traverser la rue.

Je sais maintenant que ça ne marchera pas. Je savais les difficultés, je comptais sur ma bonne étoile, sur un alignement des planètes. Mais la notre ne semble plus vouloir faire nos quatre volontés. Elle n’accepte plus notre hubris, nos projets grandiloquents, le déni de ses avertissements. Pour réussir la révolution par le haut il aurait fallu mieux mettre en scène la grande farce de la transition écologique, mieux entretenir le déni de « l’anthropie ». Mais nous n’avons pas été assez rapide. La méthode Coué techno-scientifique et consumériste ne fonctionne plus très bien. Il s’avère que les gens en savent assez pour développer une angoisse diffuse, une dépression apocalyptique.

J’ai su assez rapidement qu’il faudrait passer par le bas. Par la contre insurrection. Elle est pour l’instant limitée et il m’arrive encore de croire que la fermeté des institutions et le somnifère du grand débat aurait pu apaiser la colère. Depuis mon arrivée à la tête de l’état, je suis guidé pas des sentiments contradictoires . Mon cœur va vers une résolution par le haut, et c’est ma posture officielle, mais en même temps, il me semble avoir précipité une évolution par le bas qui pourtant me fait peur. Ce n’est pas mon monde mais c’est le monde comme il va. Comme il va trop vite, plus vite que moi. Petit à petit, le rendez-vous hebdomadaire que vous avez institué s’est imposé, pour moi aussi, comme un rituel nécessaire. Je me suis habitué à ces samedi de mobilisation, avec leur suspense, avec une part de crainte et en même temps, une admiration, une excitation. Quelle énergie, quelle inventivité ! Ne comprenant pas mon ambivalence, nombre de ceux qui m’avaient suivi jusqu’ici m’ont abandonné, me poussant à ce second pari. On m’a souvent dit que je n’avais pas le sens du tragique. Je veux vous prouver le contraire...

Vos premières revendications ont été symptomatiques. Vous vous en êtes aperçus rapidement en ne restant pas accroché à la taxe sur le carburant. Mais malgré vos tentatives de formulation plus profondes de la colère vous êtes restés dans une posture de soumission en demandant que votre insatisfaction soit prise en charge par les dirigeants en place. Le grand débat et l’analyse robotisée des « remontées », comme on pouvait s’y attendre n’ont pas permis d’aller plus loin. Les élections européennes non plus, si ce n’est la confirmation ci et là des positions extrêmes. Et bien moi je veux aller plus loin. Je veux que vous alliez plus à la racine des choses. Je veux que vous le fassiez grâce à moi.
Pour cela il vous faudra encore plus de courage. Il vous faudra changer vous-même plutôt que vouloir changer vos dirigeants car le pouvoir, il est entre vos mains. Il n’est depuis longtemps plus sous les ors de la république. Il est dans les outils que la technocratie industrielle et normative a mis entre vos mains. Il vous faudra comprendre comment la société technicienne est contre-productive. Les mêmes outils qui semblent rendre des services confortables vous dépossèdent de vous-même en même temps qu’ils provoquent la catastrophe écologique, en même qu’ils détruisent le lien social et la santé mentale.... Pour échapper aux taxes sur le carburant, à la pollution, au réchauffement climatique, aux guerres du pétrole, aux délires des grandes industries, il faudra renoncer au carburant et en même temps aux illusions de la voiture électrique, de l’éolien, du solaire, au credo naïf du mouvement perpétuel.

Il vous faudra vous déprendre de la religion techno-scientifique pour déjouer les pièges du pouvoir industriel. Peut-être alors serez vous libérés des théories du complot et pourrez vous adhérer aux alertes récurrentes de la partie libre de la même science. Peut-être alors se verra au grand jour l’imposture de la transition écologique et du recours à la technologie pour traiter les problèmes simplement humains. Peut-être alors saurez vous affronter la troisième révolution industrielle qui achève la soumission des corps par l’exploitation numérique des esprits. Vous aurez à inverser l’obsolescence accélérée de l’homme, la question n’étant plus « quel planète allons nous laisser aux enfants ? » mais « quels enfants laisser à la planète ? »

Si un tel sursaut écosophique se réalisait, il serait nécessairement combiné à une écologie mentale et sociale. C’est à dire connaître et reconnaître l’existence des mondes délaissés comme l’inconscient, la poésie, les héritages, les non-humains, les dieux... Bref peut-être ce qui a pu s’appeler « les humanités ».
Vaste programme anthropologique et épistémologique donc, que je vous laisse, puisque vous avez souhaité que je parle vrai. Il n’est pas des compétences d’un président de notre constitution pour développer et conduire un tel changement.

Qui d’ailleurs les aurait ? Les peuples ?

Le deus ex machina lâche les rennes, mais je reste dans la diligence qui va s’emballer. Je déciderai en fonction des événements et de mes pouvoirs.
Advienne que pourra.

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