La farine et la gifle

Du bon usage des circonstances aggravantes

Notre juriste - paru dans lundimatin#90, le 28 janvier 2017

Ou comment manipuler le Droit pour alourdir les sanctions. Par notre juriste.

Les procureurs de la République ont de l’imagination et un sens pratique hors du commun pour faire respecter l’ordre public.

Ainsi l’homme qui avait commis ce geste d’une violence inouïe d’enfariner Monsieur Valls a-t-il écopé d’une garde-à-vue pour violences avec arme par destination. On ne sait pas si par la suite il a fait l’objet de poursuites ni, dans l’affirmative, de quel chef. Mais sans rire, on nous explique que de la farine pourrait constituer une arme, selon l’usage que l’on en fait. Je ne doute cependant pas qu’aucun procureur en ce bas monde n’aurait de réelle intention de soutenir devant un tribunal que de la farine est possiblement une arme. Un débat autour de cette notion d’arme par destination avait été engagé lors du procès de Noël Godin lorsqu’il avait dû répondre de l’entartage de Jean-Pierre Chevènement. A l’époque, le Tribunal correctionnel de Paris avait refusé de considérer qu’une tarte à la crème, laquelle me paraît pourtant dotée d’un potentiel létal supérieur à de la farine même dispersée avec hargne, pouvait être considérée comme une arme par destination.

En réalité cette petite audace procédurale au moment de l’interpellation de l’intéressé avait une utilité bien particulière : il s’agissait de permettre un placement en garde à vue.

Les violences légères (c’est à dire qui n’ont pas entraîné d’incapacité de travail ou ont entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à 8 jours) constituent en effet des contraventions, infractions qui sont passibles du Tribunal de police et punissables d’amende (et de quelques autres peines complémentaires - par exemple on peut vous sucrer votre permis de chasse, c’est ennuyeux ! - mais en tout cas pas d’emprisonnement), et pour lesquelles un placement garde à vue est impossible. Car pour placer une personne en garde à vue, encore faut-il disposer d’au moins une raison plausible de soupçonner qu’elle a commis (ou tenté de commettre) un crime ou délit puni d’emprisonnement.

Pour faire basculer de telles violences légères contraventionnelles dans la catégorie des délits punissables d’emprisonnement et donc susceptibles d’entraîner un placement en garde à vue, il faut qu’elles soient aggravées par une ou plusieurs circonstances aggravantes, dont la liste exhaustive est donnée par le Code pénal.

Au rang de ces fameuses circonstances aggravantes figure donc l’usage d’une arme par destination, laquelle est définie ainsi par le Code pénal :

Tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer.

Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de tuer, blesser ou menacer quelqu’un avec de la farine pâtissière, mais si tel est le cas, n’envisagez pas de faire carrière dans le trafic international de stupéfiants ou le braquage de banque.

Tout le petit monde policier et judiciaire savait donc bien que retenir cette circonstance aggravante d’arme par destination pour de la farine était quelque peu surréaliste, mais cela présentait l’avantage certain de pouvoir interpeller et garder quelques heures en cellule un militant un peu trop enthousiaste. On espère qu’au moins le policier, lorsqu’il a notifié au militant strasbourgeois le motif de son placement en garde à vue, s’est roulé par terre en criant gloup gloup.

Voyons maintenant comment dans l’affaire de la gifle, le Procureur a fait un usage subtil de ces fameuses circonstances aggravantes.

Chacun a pu voir la vidéo de la gifle. Difficile d’imaginer qu’elle ait pu entraîner une incapacité de travail supérieure à 8 jours, de sorte que là encore nous sommes face à des violences légères, et donc une simple contravention. Mais il y a un élément nouveau depuis notre affaire alsacienne : en décembre dernier à Strasbourg, Manuel Valls venait de quitter son poste de Premier Ministre, et n’était plus que simple candidat. Mais le 7 janvier dernier, par le jeu des règles propres aux mandats électifs, il avait retrouvé sa qualité de député de l’Essonne juste un mois après sa démission de son poste de Premier Ministre. C’est ainsi que le jeune breton bretonnant a pu être placé en garde à vue du chef de violences sur personne chargée de mission de service public. Joie, bonheur, une bonne vieille circonstance aggravante qui permet d’enfermer dans les geôles de la République celui qui a porté la main, même légèrement, sur Manuel Valls.

Il y a cependant un petit problème : il est difficile de soutenir que c’est à raison de ce mandat de député de l’Essonne que Valls a été ciblé ; il l’aura sans doute été plutôt en sa qualité d’ex-Premier Ministre ou de candidat à la candidature. Il est même probable d’imaginer que le jeune homme ignorait que Manuel Valls avait retrouvé son siège de député. Moi-même du reste ne l’ai appris qu’à l’occasion de cette affaire. Or le texte pénal précise que pour que l’on puisse retenir cette circonstance aggravante de violences commises sur personne chargée de mission de service public, il faut que ces violences aient été commises pendant l’exercice des fonctions de service public (un député de l’Essonne s’intéresse en général peu à Lamballe) ou à raison de ces fonctions, et que cette qualité ait été apparente ou connue de l’auteur des violences.

Au final, le procureur de la République décide d’abandonner la circonstance aggravante de violences commises sur personne chargée de mission de service publique, sans doute conscient que la retenir était contestable, mais se trouve dans une situation un peu embêtante, puisque sans circonstance aggravante, il ne peut retenir l’existence d’un délit et donc opter pour une voie procédurale rapide, consistant à faire comparaître l’intéressé tout de suite devant un juge (selon la procédure de comparution immédiate, ou comme ici, de présentation immédiate devant un juge pour homologation de la peine « négociée » entre le prévenu et le procureur selon la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité). Rendez-vous compte, sans circonstance aggravante il aurait sinon fallu laisser libre l’intéressé jusqu’à sa comparution quelques semaines plus tard devant un Tribunal de police pour être jugé pour les simples violences légères, sans possibilité de l’astreindre à une quelconque restriction de liberté.

Le procureur (et, si l’on en croit l’avocate du jeune homme, un peu aidé dans sa réflexion par la partie civile Monsieur Valls) consulte donc notre fameuse liste des circonstances aggravantes : alors... ce jeune homme n’est manifestement ni le père ni le fils, ni l’époux, concubin ou partenaire de PACS de Monsieur Valls, il n’est pas non plus policier ou gendarme, il n’était pas en état d’ivresse, Monsieur Valls a plus de 15 ans, il est délicat de soutenir que Valls est une personne vulnérable à raison de l’altération de ses capacités psychiques… Ah ! Mais ouiiiiii ! La préméditation !
Il faut dire qu’elle était manifeste : le jeune homme était venu à vélo et avait amené sa main.

Moralité : si tu as des velléités de coller une tarte à l’un de ses illustres représentants en campagne, l’État lui, assurément, te mettra son poing dans la gueule.

Notre juriste Conseil et analyse juridique pour le site lundimatin. Retrouvez-là sur twitter: https://twitter.com/Juristematin
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