La conspiration - Épisode 11 - Jacques Fradin

Postscriptum à la brève histoire du génie

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#171, le 29 décembre 2018

Il en va de la crédibilité même du conspirationnisme que d’avoir mauvaise presse. Quel serait l’intérêt de gloser sur les forces occultes qui ont enlevé Tupac et Elvis si chacun était convaincu qu’ils coulent effectivement des jours heureux sur une île du pacifique ? Il y a quelque chose de gratifiant à voir les ficelles que d’autres ne voient pas. Le malaise de n’avoir prise sur rien en devient étrangement confortable. N’est-ce pas le ressort essentiel du complotisme que de nous rassurer de notre impuissance ?

En 2015, nous publiions une série d’articles intitulés La Conspiration - Brève histoire du génie et des ingénieurs. Trois ans plus tard, nous publions cet épisode 11, en forme de postscriptum.

La conspiration qui se révèle dans ce feuilleton de politique (science) fiction est bien réelle. Ses agents pensent nos réseaux électriques et déploient les câbles par lesquels nous communiquons. Ses machines magiques altèrent nos perceptions et mettent au travail nos sentiments.
C’est l’histoire d’un siècle de mobilisation contre l’hypothèse communiste, d’une guerre froide à l’infini. Ce sont les étapes d’un redressement général, d’une mobilisation totale dont le but a été de produire un « humain nouveau » qui se fonde parfaitement dans le monde de l’économie, jusqu’à se produire lui-même. C’est l’histoire d’une conspiration qui ne dissimule jamais son objectif : tout prévoir pour que tout fonctionne.

Le génie électrique, le génie de la finance, le génie public du béton fibré, le génie génétique, autant de domaines dans lesquels nous ficherons les conspirateurs et éplucherons les modes d’emplois de leurs machines. 10 épisodes, 5 personnages, 5 machines pour comprendre l’économie à partir de ses infrastructures.

Postscriptum à la brève histoire du génie

Le gouvernement contemporain s’exerce de manière économique, au moyen de l’outillage économique, des principes, méthodes et techniques de l’économie.
Il n’est plus d’autre pouvoir que celui légitimé et organisé par l’économie. Économie censée apporter la plénitude, le bonheur, la joie, le bien être.
Mais cette promesse a un prix : il faut bien se tenir pour mériter les bienfaits (les biens) de la corne d’abondance. La civilisation résulte de la colonisation, de la domestication, de l’urbanisation (tous mots qui désignent la même opération de conformation).
Un système disciplinaire et de surveillance (de contrôle) accompagne nécessairement le bien être. Le bonheur exige la mobilisation, productive ou consumériste.
Mais la “crise écologique” semble produire une bifurcation dans le système des contraintes, bifurcation cependant depuis longtemps préparée (dans le silence besogneux des laboratoires).
Le développement de l’économie, posé comme la source du bien-être, d’une longue vie de ripaille, produit la désolation (relire les épisodes 7 et 8).
Comme il semble impossible de changer le mode du gouvernement, comme il semble impossible de quitter le chemin du désastre (que réalise la promesse économique), il ne reste plus qu’à persévérer « radicalement » dans le chemin économique du grand conformisme.
Maintenant la science-fiction va devenir réalité.
Soit le programme pour les générations futures : si les réserves énergétiques de la Terre s’épuisent, il ne restera qu’à aller coloniser d’autres planètes (ce qui résoudra le problème de l’empreinte écologique).

Désormais les génies sont libérés !
Tel est le sens profond de la « révolution » selon Macron.
Les génies sont libérés des freins et des contraintes corporatives ou éthiques ; libérés des gaulois réfractaires au progrès.
Si l’on veut parler comme au NPA, les génies ont noyauté la fameuse « société civile », celle de Macron (et de tous les macrons).
Car les génies ne sont pas seulement des startupers sûrs d’eux (vaniteux et méprisants) – par exemple dans le domaine stratégique de la géo-bio-ingénierie, domaine qui nous retiendra.
Ce sont des gens de bien (qui font le bien, comme Bill Gates et sa fondation humanitaire), des honnêtes gens et des gens qui vont bien. Ce sont, donc, aussi et « en même temps », des petits bourgeois versaillais, mais startupers.
Et qui sont persuadés d’être dans le sens de l’Histoire, celle du progrès technique impulsé par la concurrence et la recherche de l’enrichissement personnel (devenir milliardaire).
Et qui, donc, peuvent cracher leur mépris « des pauvres », « des demeurés » (au sens strict de « localisés », des rampants).
Mépris de classe sur vitaminé !
Mépris des cadres inférieurs d’exécution ou de soutien psychologique (les agents inférieurs du « care » ou les militants politiques).
Mépris saint simonien des improductifs, hélas nécessaires : ces improductifs étant des sortes de policiers inconscients de leur véritable fonction (d’emplâtre).
Improductifs ? Qui est improductif ? Ai-je une tête d’improductif ?
Vieille stigmatisation venant de l’économie classique, du marxisme et de toute l’économie du développement.
Improductifs : qui ne sont pas du côté de l’innovation technique, qui ne sont pas du côté de la génération de la valeur.
Pourquoi les chômeurs ne créent-ils pas des « plateformes » (de n’importe quoi) ?
Y a de la thune à faire !
Et il n’y a même pas à traverser la rue ! Il suffit de rester dans son garage (toujours la légende de la Silicon Valley) !
Pourquoi si peu d’intérêt pour les sciences dures ?
Comme pour la biologie, ou la biochimie (qui nous retiendra) ?

Car aujourd’hui le pouvoir biopolitique (le fameux biopouvoir) s’adosse à une sorte d’eugénisme reconfiguré ; la biopolitique s’adosse à la biochimie.
Avec les immenses promesses de vie longue et de grande santé !
Promettre « le Meilleur des Mondes ».
Style Elysium : très mauvais film de SF, mais caractérisant bien la dystopie en cours (comme toujours, il suffit de supprimer le happy end obligatoire et trop cucul).
Une utopie de l’ingénierie : créer une société parfaite au sens médical, où la mort est vaincue, où la maladie est repoussée (par des machines biochimiques, comme dans Elysium), mais uniquement pour les riches, riches installés dans l’équivalent d’une gigantesque station spatiale, hors d’atteinte des gueux, des misérables, des sans dents, des scrofuleux, etc.
Elysium : le paradis pour les honnêtes gens, les génies inventifs et productifs ; le paradis armé des bons bourgeois versaillais.
Génies, honnêtes gens, bons bourgeois, qui considèrent les pauvres (inintelligents, inéduqués) comme une chienlit anarchiste ; pauvres qui voudraient, de plus, réformer l’ordre politique nécessaire à l’économie !
Il suffit d’écouter la haine ou la rage inversées des députés LREM (des génies) pour retrouver la grande peur des possédants ; qui se retourne en violence versaillaise (exécution, déportation, enfermement des insensés).
Il est impossible de refuser l’autorité constituée, l’expertise des génies « élus du peuple », sauf à remettre en cause cette délégation technique (« la société civile des startupers ») qui œuvre POUR le meilleur des mondes : croissance, développement, gadgets technologiques, la santé pour tous, la vie longue pour tous – le thème fondateur de la biopolitique, le biomédical et le pouvoir médical.
Le grand chantage : nous vous soignons, obéissez !
L’honnête entrepreneur député LREM tient sa légitimité non seulement des institutions républicaines, et de la menace policière afférente, mais SURTOUT de l’exploitation de la peur de mourir, surtout de cette fonction (biomédicale) d’entrepreneur du futur merveilleux ; le stalinisme ne mourra jamais !
Le futur merveilleux étant (nécessairement) un futur technologique, biomédical, quoique très autoritaire (mais le pouvoir médical est le prototype du pouvoir technocrate de ceux qui savent).
LREM est-il le nouveau Fronte dell’Uomo Qualunque (FUQ) ?
Le député LREM est-il le modèle de l’Uomo Qualunque ?
Et son mouvement, sa marche, est-il un Qualunquismo ?
Ou, au contraire, un mouvement des génies ?
Ou les deux ?
Toujours l’ambivalence technocrate autoritaire qui caractérise les régimes de mouvement accéléré (dont le fascisme est un exemple bien connu).
Toujours les deux pôles de la génératrice pétainiste (de « la modernisation »).
Et les cris de rage de l’Uomo Qualunque génial ne font-ils pas penser à ceux que met en scène Peter Watkins ?
Les haineux maccarthystes de Punishment Park (1971) ?
Ou les revanchards versaillais de La Commune (2000) qui extériorisent leur peur en violence ?
Les chômeurs partent en vacances aux îles Caïman !
Les pauvres ne sont capables que de fomenter une « démocratie sauvage » (ou insurgente) : la jalousie pure des médiocres !
Qu’ils s’impliquent plutôt dans « la guerre post-humaniste » !
Car la résolution de la question sociale, ou de la question écologique aussi bien, ou de toute autre question, se situe au cœur de la course, de la concurrence pour la transformation génétique.
La société civile des nouveaux bourgeois versaillais, à l’ère numérique, est investie dans l’ingénierie génétique pour l’amélioration de l’homme, pour le nouvel eugénisme social.
Les émeutes et les révoltes ne sont-elles pas de médiocres puissances, encore une fois « demeurées », devant cette gigantesque potentialité d’une subjectivation révolutionnaire, celle de l’humain reconfiguré génétiquement ?
Les biotechnologies médicales (« humaines ») qui tournent autour de la génétique, de la manipulation génétique, de la génomique, de la biochimie biotechnologique, ont toutes pour unique objectif la modification génétique adaptative.
Fabriquer « une race » destinée à résister au réchauffement climatique ; ou préparée pour s’installer sur Mars, l’Elysium des Chinois, mais aussi des milliardaires visionnaires (et fous) style Elon Musk.
Elon Reeve Musk : chef d’entreprise, ingénieur en aérospatiale, Tesla, Solar City, SpaceX, etc.
Changer le monde et l’humanité !
Réduire le risque de l’extinction humaine en créant une vie multi-planétaire par l’établissement d’une colonie humaine sur Mars (concurrence avec les Chinois) !

Eh ! Les gilets jaunes : désertez vos campements de miséreux, engagez-vous dans la grande aventure, soutenez les entrepreneurs du futur, pour la santé de vos enfants, pour sauver l’humanité !

Nous pouvons lire : Agora Vox, La course à la modification génétique de l’homme :
Après avoir investi en 2017 dans la viande artificielle, le milliardaire américain William Henry Gates III, dit Bill Gates, annonce avoir consacré plus de 40 M$ dans le partenariat public-privé écossais GALVmed (l’Alliance mondiale pour les médicaments destinés au bétail). Elle étudie la génétique et la vaccination du bétail, pour créer une race de « super vaches » destinée à résister au réchauffement climatique. Des généticiens de l’Institut des sciences agroalimentaires de l’Université de Floride avaient déjà déclaré le 23 juin 2017 travailler sur une espèce de vaches génétiquement modifiées. L’agence militaire états-unienne DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) et le grand philanthrope Gates auraient également investi 100 M$ dans le « forçage génétique ». Cette technique de manipulation génétique a pour but de modifier un gène pour qu’il soit ensuite rapidement transmissible à toute une espèce animale ou végétale. Ceci pourrait, par exemple, limiter la capacité de reproduction d’une espèce, la rendre plus sensible ou insensible à une maladie ou à un produit chimique. Des expérimentations pourraient se dérouler en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Burkina Faso, en Ouganda, au Mali et au Ghana. La Fondation Bill & Melinda Gates aurait également consacré 1,6 M$ en lobbying via la société Emerging A.G pour promouvoir le phénomène.
Plus grand meurtrier de la planète à cause des virus et parasites qu’il transmet à l’Homme, le moustique est responsable d’un million de décès tous les ans. En réponse, Oxitec, une société britannique créée en 2002 issue de l’Université d’Oxford, conçoit des moustiques mâles stériles génétiquement modifiés par modification directe du génome. Vu que la femelle ne s’accouple qu’une fois, l’absence de descendance est censée faire décroître la population de moustiques. En 2010, un premier lâcher a eu lieu aux îles Caïman. Il a été financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, décidément toujours à la pointe de l’altération environnementale (géo-ingénierie, OGM…). D’autres tests ont suivi en Malaisie, au Brésil, au Panama et en Floride. Le Burkina Faso servira de cobaye pour la suite de ces expériences inédites. Des œufs de moustiques génétiquement modifiés ont été importés avec l’accord de l’Agence Nationale de Biosécurité au Burkina Faso pour lutter contre le paludisme (malaria) dans le cadre du projet Target Malaria. Un élevage est en cours au laboratoire de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) à Bobo Dioulasso pour atteindre 10000 moustiques mâles stériles génétiquement modifiés. Un lâcher dans la nature est programmé dans les mois à venir. Une autre méthode non-OGM, déjà testée par la Polynésie, consiste à transmettre la bactérie wolbachia au moustique pour bloquer sa reproduction. La Nouvelle-Calédonie compte s’orienter vers cette solution.

Revenons alors à nos cosmonautes du (proche) futur.
Aux futurs héros du conservatisme, transformer l’humain pour ne pas changer le monde.
À l’avenir que nous réservons à nos enfants. Au monde (immonde) que nous leur léguons.
Pour rechercher, exploiter, extraire l’énergie du futur, il faudra entreprendre des explorations spatiales. Avec des vaisseaux spatiaux tout à fait bricolés (des bazars de toutes les techniques de pointe collées les unes sur les autres !), des sortes de galères post-modernes (la comparaison avec les vaisseaux de la conquête de l’Amérique est instructive).
Que seront les équipages ? Des bagnards, des troupes d’élite, des techniciens au chômage (reconvertis dans la vie artificielle des bulles flottantes) ? Ou tout cela réuni ?
Où une combinaison d’entraînement militaire ou sportif, de modifications médicales, d’esprit d’aventure (ou de sacrifice sinon de lucre – les nouveaux conquistadores et leur rage repoussante !) sera soigneusement sélectionnée.
Chacun sachant que la sélection, la domestication, est à l’origine (lointaine, chinoise, ou plus proche, darwiniste ou mendélienne) de la biologie contemporaine et de ses merveilleuses techniques (que nous avons rencontrées).
De la conformation à la sélection, nous avons bien avancé sur le chemin des guides de l’humanité, des fonctionnaires de l’humanité. Les élus LREM !
Guides dont le slogan pourrait être : que tout change (techniquement) pour que rien ne change (politiquement).
Toute l’horreur possible plutôt que le communisme de la sortie de l’économie.
Macron ta mission !

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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