{L’insurrection qui vient} : une réponse au 11 septembre ?

paru dans lundimatin#113, le 11 septembre 2017

En ce lundi 11 septembre, lundimatin est en mesure de faire une révélation de taille. En effet, nos équipes d’archivistes qui, aux quatre coins du monde, s’échinent à reconstituer le fil cent fois tailladé, piétiné, dispersé et, pour tout dire, perdu de la subversion contemporaine ont mis la main sur un document dont on croyait toute trace disparue.

C’est une donnée couramment sous-estimée des historiens que la répression, la crainte de la répression, la prudence ou la gêne, leur interdisent d’avoir accès à l’essentiel des documents décisifs ayant trait aux activités des révolutionnaires, ceux-ci n’ayant guère d’intérêt à en conserver la moindre trace, pour dire le moins. Les effacer, telle est plutôt leur règle. Il faut donc s’en tenir aux témoignages toujours contradictoires et contredits, partiels et partiaux, motivés par l’admiration ou l’amertume. Il est rare d’accéder aux documents qui font preuve, car s’ils le font pour l’historien, ils le font aussi pour le juge. Et si l’oeuvre du premier est bénigne, celle du second peut s’avérer redoutable. Ainsi se perd-on couramment en conjectures sur les généalogies véritables, les faits déterminants, les circonstances exactes. Il faut alors s’en remettre à l’intuition, qui vaut certes bien des preuves. On ne saura jamais si le jeune Dostoïevski a, avec ses camarades, oui ou non médité d’assassiner le tsar. Tout juste sait-on que l’un de ses complices à l’article de la mort, des décennies plus tard, dicta des mémoires précisément sur ce point, que le manuscrit en fut transmis à la veuve de Dostoïevski et que celle-ci le fit disparaître. Il faut donc s’en tenir à l’attirance croissante qu’au fil de l’écriture des Démons, il n’arrive pas à réprimer pour Stavroguine pour en conclure que certainement le jeune Dostoïevski a médité, avec ses camarades, de supprimer le tsar.

Mais une fois n’est pas coutume : un de nos archivistes vient sans doute d’exhumer le premier texte politique faisant état de « l’insurrection qui vient ». Il s’agit d’un tract, que d’aucuns jugeront scandaleux, prophétique, dégénéré, adolescent, transclassiste, historique, métropolitain ou magnifique. Il semble que toute autre trace de ce tract ait disparu. Celui-ci est apparu dans des circonstances, il est vrai, peu propices à sa conservation. En ce mois de février 2002, le World Economic Forum décide, « en solidarité avec la ville de New York touchée par l’attentat terroriste du World Trade Center », de se délocaliser de Davos en Suisse au Waldorf Astoria en plein coeur de Manhattan. En réalité, il s’agit surtout d’épargner aux forces anti-émeute helvétiques une nouvelle déconvenue face à la sagacité et la détermination des manifestants qui, d’année en année, viennent ternir la belle image de ces humanistes retrouvailles de la classe dominante mondiale. C’est peu dire que le climat de terreur instauré par le gouvernement étatsunien à la suite du 11 septembre devait permettre d’assurer que la venue de milliers de connards dissertant sur l’avenir du monde ne serait guère importunée par les gauchistes. Et en effet, ceux-ci, emmenés par la coordination « Another world is possible », eurent le plus grand mal à imaginer méthode d’action plus percutante que de promener d’énormes poupées de papier mâché dont la confection et le convoi occupaient l’essentiel des discussions. Le samedi 2 février 2002, une manifestation poussive s’élançait donc dans les rues ensoleillées de New York. Un vague black bloc de cent personnes était réduit à néant dans un angle de Central Park en deux charges de police entre lesquelles, tout de même, de courageux éléments parvinrent à brûler un imposant drapeau américain déposé au sol. Au vu de la peine encourue pour ce simple fait aux États-Unis, on ne peut exclure que ce geste n’ait été dû à une poignée d’inconscients. Deux charges, donc, puis plus rien de toute la manifestation, hormis les danses pathétiques, en farandole, des adeptes de Starhawk – paix à son âme.

De ce jour, plusieurs témoignages concordants avaient cependant retenu un tract diffusé à quelques milliers d’exemplaires mais dont le contenu semblait tant brûler que l’on n’en avait retenu que ceci : sur l’une de ses faces, on lisait en gros caractères « I bomb NY » en référence aux innombrables « I love NY » qui maculaient alors la métropole. Cette innocente inscription fut à l’époque, il semble, une raison suffisante pour que ceux qui découvraient le tract préfèrent s’en dessaisir immédiatement, et que ceux qui le gardèrent en poche jugent bon, par la suite, de s’en débarrasser. Tous sauf un, à ce que l’histoire retiendra. Cela seul suffit à mesurer le niveau de terreur que l’antiterrorisme avait déjà su instiller, en 2002, dans les coeurs étatsuniens. lundimatin est, en ce lundi 11 septembre 2017, à même de révéler le contenu de l’autre face de ce texte. On en jugera comme on voudra, reste ce fait : c’est dans un texte où il est – déjà - question de combattre l’antiterrorisme, mais aussi de sexe, de cocaïne, de communisme, de Parti, de chaos et d’éducation sentimentale qu’apparaît, pour la première fois, « l’insurrection qui vient ». Et cela se veut une réponse à la réponse au 11 septembre. Lundimatin vous en souhaite bonne lecture.

***

« Nous bavardons, nous nous embrassons, nous préparons un film, un livre ou une émeute, nous retrouvons un ami, nous partageons un repas, un lit, nous baisons, en d’autre termes : nous construisons le Parti. »

Ce que nous reprochons à ce monde, ce n’est pas de se livrer trop férocement à la guerre, ni d’user de tous les moyens pour la prévenir, mais seulement de la réduire à ses formes les plus nulles.

L’effet de déflagration de l’attaque du 11 septembre, son caractère d’événement, réside en ceci : ce ne fut pas une attaque contre un peuple, mais contre l’Empire, contre la domination impériale à laquelle est assujetti le peuple étatsunien – en tant que telle, cette attaque était secrètement désirée par l’ensemble des « citoyens » étatsuniens. Depuis lors, tout le travail du gouvernement fut de combler le gouffre que cette attaque a creusé entre la population et son gouvernement. La manipulation des lettres à l’anthrax, l’escamotage opportun des raids visant le Pentagone et la Maison Blanche derrière celui du World Trade Center : autant d’aspects d’une manœuvre unique visant à présenter une attaque contre un gouvernement comme une attaque contre sa population.

Depuis septembre, New York s’est laissée aspirer dans une hyper-production quotidienne de citoyenneté et de doses croissantes de sécurité. Le citoyen terrifié n’adopte pas seulement ses flics comme héros, mais comme obscènes sex-symbols d’un nouveau genre. Et ce citoyen enamouré de sa police devient ainsi, à son tour, un flic en civil, mais désarmé et revendiquant ses misérables droits (celui de consommer, de travailler, de se distraire un peu, de se promener sagement, de n’être pas effrayé… le droit aux droits de l’homme). La police n’est finalement là que pour sanctionner notre réduction à cette humanisme transparent et sentimental.

La véritable menace, pour un gouvernement, ne provient jamais des autres gouvernements, mais de sa propre population. Toute guerre extérieure ne sert ainsi qu’à masquer la guerre véritable et permanente dans laquelle tout gouvernement est engagé : la guerre menée à sa propre population. La brutale militarisation de New York, ces derniers jours, à l’approche des manifestations, donne à voir le véritable sens de la présente « guerre contre le terrorisme ».

Et qui peut sincèrement croire à la guerre impériale contre le terrorisme, à la guerre contre la drogue, à la croisade globale pour la démocratie ?

Depuis le 11 septembre, j’erre par les rues désolées de notre ville saturée de flics. Je le fais parce que j’aime sentir combien sont devenus intenses, dans ce désert, les flux, les flux de notre besoin de communisme.

Seule la plus extrême séparation, celle dont nous faisons à présent l’expérience, pouvait produire ce sentiment de communisme, le sentiment que tout ce que nous partageons consciemment appartient au communisme.

Nous appelons communisme le mouvement réel qui élabore, en tout lieu, à tout moment, la guerre civile.

La joie est un sentiment impersonnel qui renverse tout.

Ils disent : « Un autre monde est possible. » Mais nous ne voulons pas un autre monde, un autre ordre, une autre justice : un autre cauchemar logique. Nous ne voulons aucune gouvernance globale, fût-elle équitable, fût-elle écologique, fût-elle certifiée par Porto Allegre. Nous voulons ce monde. Nous voulons ce monde en tant que chaos. Nous voulons le chaos de nos vies, le chaos de nos perceptions, le chaos de nos désirs et de nos dégoûts. Le chaos qui survient lorsque le management s’effondre. Le chaos est l’ordre véritable.

Ils disent : « Un autre monde est possible ». Mais je suis un autre monde. Suis-je possible ? Je suis ici, à vivre, à voler, à prendre de la cocaïne, à me soustraire au mauvais film des histoires d’amour métropolitaines, à inventer des armes, à élaborer la complexe constellation de mes liens, à construire le Parti.

Les sociétés défuntes se raidissent autour de leur police, de leurs lois et de leur armée, exactement comme se raidissent les cadavres.

Le capitalisme a défait les sociétés traditionnelles parce qu’il était plus excitant qu’elles, mais il y a maintenant quelque chose de plus excitant que le capitalisme : sa destruction.

L’insurrection qui vient est celle des enfants perdus, ceux qui cherchent confusément le communisme, de leurs gestes maladroits, dans la ville occupée.

Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’une autre éducation sentimentale.


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