L’écologie du mensonge à terre - Jean-Baptiste Vidalou

« Elle pourrait bien ne plus s’en relever. Et avec elle un pouvoir qui n’a plus que ses infrastructures médiatiques comme légitimité face à l’urgence d’un monde qui va au gouffre. »

paru dans lundimatin#169, le 14 décembre 2018

Il n’y a bien que les sociologues, grands médias et autres spécialistes improvisés en « giletsjaunologie » pour ne rien vouloir comprendre à ce qui est en train de se passer en France... avec cette grande révolte insaisissable venue briser joyeusement la vitrine du macronisme. La police elle-même convient qu’il y a, dans ce pays, comme une « situation pré-insurrectionnelle »... Pour toute sommation, le largage sur le peuple de gaz lacrymo et de grenades GLI F4, est dorénavant la réponse systématique du pouvoir à ce peuple qui « ose se révolter ».

Macron a été assez clair, le 10 décembre au soir, dans son discours piteux chronométré 12 minutes, après 4 semaines de conflits ouverts : priorité à l’ordre et aux (ex)actions de la police (contre l’état de droit lui-même), la fortune des riches n’est pas négociable, rien sur l’écologie – qui pourtant avait été le maître mot de sa taxe carbone – et des miettes pour les pauvres... Cela donne la couleur pour la suite du quinquennat. Et laisse ouvert le devenir des révoltes qui ne s’éteindront pas si facilement dans les semaines à venir...

Ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas face à une « fracture territoriale » entre les métropoles écolo-smart et les périphéries de ploucs-pollueurs, contrairement aux dires des cartographies d’experts patentés ; mais bien en face de l’éclatement des rouages du pouvoir lui-même. La taxe carbone n’a été qu’un déclencheur de la mise à nu du mensonge gouvernemental. Partout, l’évidence saute au yeux, sans besoin de grandes démonstrations : mais quoi, on nous parle de transition écologique alors qu’il s’agit avant tout de renflouer les caisses de l’état !? Et puis, comment encore croire ceux qui prétendent « sauver le climat », alors qu’ils poursuivent une politique incompatible avec le vivant lui-même !? Le constat fait par quelques écologistes il y a dix ans, est devenu une vérité partagée de tous : les 10 % les plus riches sur ce globe comptent pour 45 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Les riches détruisent la planète, à bas les riches, titrait efficacement Hervé Kempf dans une tribune de Reporterre le 4 décembre. Un tag inoubliable, quant à lui, claquait ceci : « Eh bien donnez-leur du biocarburant ! » Brigitte Macron

Le macronisme a tenu un moment sur le pari, perdu d’avance, d’une paix possible entre business et environnement. Il a lâché massivement le mot « transition » dans l’espace public comme outil miraculeux pour réparer un système en crise. L’effondrement généralisé qui taraude ce gouvernement, à en croire sa préoccupation pour le sujet, fait plutôt office d’électrochoc pour un roman national à l’agonie. Dispositif technique opportun pour pacifier les conflits réels autour de la question écologique, à savoir la question simple, mais radicale, de la possibilité même d’une vie digne de ce nom sur Terre. Ne vous inquiétez pas dit Macron « on va traiter les deux, la fin du monde en même temps que de la fin du mois ». Sauf qu’il ne fait là, comme d’habitude, que du pure management, en accord avec la doctrine la plus classique, qui consiste à, d’un côté, responsabiliser les citoyens – chacun doit « faire quelque chose pour le climat », notamment payer des taxes ! – et de l’autre côté, poursuivre la même logique capitaliste de déresponsabilisation systémique – produire et encore produire pour assurer la survie des seuls marchés. Ce système est piégé dans un dilemme intenable : prétendre sauver la planète par ce même capitalisme qui est en train de la détruire. De quoi se taper la tête contre les murs ou s’exercer à la fonction quotidienne du mensonge politique.

Derrière le discours de Macron et son teint de DRH endeuillé, ce qui est en train de craquer, de craquer en profondeur, dans tous les tissus de la société, c’est bien cet échec d’un deal entre écologie et économie. La coopération entre des ONG environnementales et Monsanto par exemple, avait déjà été formulée dans le monde du management des années 70’-80’ aux Etats-Unis : nous finançons vos campagnes de lobbying écolo mais vous arrêter de pourrir notre image de marque ! Cela a abouti à la promesse d’un capitalisme vert dans les années 90’ avec le marché des droits à polluer. Si aux consommateurs, il était enjoint de trier leurs déchets, d’acheter et de se comporter en green citizen, les entreprises, elles, pouvaient continuer leur appropriation marchande de la nature sous le prétexte que seule cette appropriation marchande était la condition de la préservation. En gommant tout antagonisme autour de la nature devenue un champ de bataille politique. Comme le dit excellemment Grégoire Chamayou dans son dernier livre « La force psychologique de ces tactiques [de responsabilisation individuelle] c’est qu’elles vous disent quelque chose de très agréable à entendre, quelque chose de vrai aussi, pour autant qu’on le conçoive adéquatement : tout est entre vos mains, vous avez le pouvoir de « faire la différence ». Elles s’efforcent de canaliser de puissantes aspirations à changer les choses ici et maintenant, y compris au ras des pratiques de la vie quotidienne, mais en les piégeant dans des formes d’action inoffensives. La promotion corporate du recyclage fut une tactique de ce genre : circonvenir les oppositions potentielles en maintenant les gens dans un état d’affairement apolitique » La société ingouvernable, Une généalogie du libéralisme autoritaire, La Fabrique, pp198-199.

C’est exactement ces dispositifs qui aujourd’hui partent en vrac, et que le gouvernement tente de rafistoler à toute allure. Mais les appels à être écologiquement responsable tout en étant économiquement efficient ne marchent plus, on écoute pas, on obéit pas, on a trop bien compris l’arnaque. Macron continue pourtant dans cette aporie cynique, car c’est la seule réalité qu’il connaît. En déroulant, à qui veut l’entendre sa « méthode », sa « pédagogie » pour que le monde de la finance marche main dans la main avec le monde de l’écologie …. blablabla …., il établit en fait concrètement son plan de guerre. Le 27 novembre, 10 jours après le début du mouvement des gilets jaunes, et comme une réponse à la « grogne » populaire, il installe le Haut Conseil du Climat (HCC) en lien avec la programmation pluriannuelle de l’énergie. Ce HCC a pour mission de « conseiller le gouvernement en matière de transition écologique, de contrôler et d’évaluer les mesures prises par l’exécutif ». Mais à y regarder de plus près, cette tentative pour concilier Finance et Climat est bien plutôt une tentative pour concilier la Finance avec elle-même. Et d’asseoir stratégiquement le jeu des grandes entreprises au sein de la financiarisation de la nature.

Passons au crible le dispositif HCC et ses composants. A côté de Laurence Tubiana, ex-négociatrice pour la France lors de la COP21 et créatrice du think tank IDDRI – spécialisé dans la gouvernance mondiale et le développement durable – Pascal Canfin, directeur général de WWF France – chantre opportuniste de l’économie verte – ainsi que 2 membres du GIEC, on ne trouve pas vraiment des enfants de cœur de l’écologie vertueuse, mais plutôt des ingénieurs et des économistes ultras, qui se sont spécialisés dans la fiscalité carbone. Dont Benoit Leguet – directeur général d’I4CE (Institute for Climate Economics) – puis Alain Grandjean – directeur de Carbon4 Finance, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme FNH (fondée par Hulot) –, ou encore Jean-Marc Jancovici – président du think tank The Shift Project, lui aussi membre du conseil scientifique de la FNH (qui elle-même est bien loin d’être sauve de ce genre de coopération en acceptant des financiers comme EDF, RTE, ou L’Oréal...) A titre d’exemple, I4CE est une émanation de laCaisse des Dépôts et de l’Agence Française de Développement, et elle a pour partenaires, entre autres, les entreprises et banques suivantes : BASF Agro, Banque fédérale des Banques Populaires, Crédit Agricole, Dalkia Egis, EDF, Eiffage, Enerdata, Engie, GDF Suez Energie Services, InVivo AgroSolutions, Lafarge, Natixis, SNCF, Solvay, Total, Veolia…belle brochette d’aménageurs et d’énergéticiens en tout genre. The Shif Project, quant à lui, collabore avec le Carbon Pricing Leadership Coalition (CPLC) et la coalition We Mean Business, et P2E (Cercle Promodul, EDF, Saint-Gobain, Schneider Electric). Tout est dit.

Sans exception, il s’agit pour ses think tank, en partenariat avec les industriels, de promouvoir la financiarisation de la nature et de donner un prix au carbone afin de rendre les marchés de la compensation plus performants. Les dégâts environnementaux, puisqu’ils produisent des « effets de raréfaction » sont l’occasion d’un nouveau cycle de marchandisation : une richesse naturelle, sur l’autel du sacrifice économique et de ses prêtres reconnus, devient une valeur échangeable. La destruction d’une zone humide, par exemple, peut être mesurée, quantifiée et transformée en flux financiers. Le voilà le plan d’action macroniste qui englobe le « naturel » comme le « social » : les êtres et les choses qui n’étaient pas encore rentrés dans les circuits de l’économie totale, devront y devenir VALEUR, ou disparaître. Et ceux qui résistent subiront le courroux d’une police aux pleins pouvoirs et d’une justice d’exception. L’acharnement judiciaire contre les militants de Bure n’en est qu’un exemple, à côté de la « nasse » et du gazage des marches pour le climat qui auraient eu l’idée de rejoindre les manifestations de gilets jaunes...

Dans de nombreux endroits en France, cette mise à nu du mensonge gouvernemental de l’écologie, a été partagée sur les ronds points, les péages, les routes, et au-delà des divergences politiques. Des gestes de soutien entre différents mouvements de lutte, et de défense territoriale ont été porté. Par exemple, une déclaration d’écologistes en soutien des gilets jaunes, a été publiée dans un texte daté du 22 novembre. Ces écologistes affirment leur soutien aux gilets jaunes de la zone portuaire de Saint Nazaire. Dénonçant l’écologie punitive, ils réaffirment l’urgence de réduire notre consommation d’énergie fossile, la modification radicale de nos modes de vie, mais aussi l’urgence d’assurer une vie digne à tous. Et surtout, ne plus croire aux « fausses solutions dirigées par la finance verte : développement de la voiture électrique, de l’éolien et du photo-voltaïque industriel, du bio gaz, prolongation de l’utilisation des pesticides etc. » Et c’est bien un mouvement de fond, qui face aux mesures de fiscalité carbone, ose enfin dire que ce n’est pas aux plus pauvres de porter la responsabilité du désastre en cours, ni d’applaudir benoîtement aux « solutions vertes » que des gouvernants hors-sol ont concoctés sans eux. C’est ce qui ressort également du soutien affirmé de certaines composantes de la ZAD de NDDL et de l’Amassada qui toutes insistent « Sur les ronds-points, ces derniers jours, le soulèvement des gilets jaunes a mis en lumière les lignes de rupture des années à venir. Entre un capitalisme soi-disant « vert » qui veut faire payer aux pauvres les dommages irréversibles que ses parangons ont causé, et ces mêmes pauvres qui ne sont pas si dociles qu’escompté. Le changement climatique et donc l’effondrement de nos possibilités de survie est la contradiction interne principale du capitalisme actuel. Et nous faire payer la gabelle sur son désastre ne la résoudra pas. »

L’écologie du mensonge est à terre. Elle pourrait bien ne plus s’en relever. Et avec elle un pouvoir qui n’a plus que ses infrastructures médiatiques comme légitimité face à l’urgence d’un monde qui va au gouffre. Même les « transitionneurs » ne croient plus aux institutions et en appellent à la constitution de réseaux d’entraide, à l’ouverture de ZAD, et à la capacité de les tenir. La suite des événements sera passionnante. Et les années à venir un combat inédit pour les alliances du vivant.

Jean Baptiste Vidalou

Jean-Baptiste Vidalou est bâtisseur en pierre sèche et agrégé de philosophie. Il a récemment publié Être Forêts - habiter des territoires en lutte aux éditions La Découverte.

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