L’UFR O : de la rencontre à l’occupation - de l’occupation à la rencontre

paru dans lundimatin#96, le 5 mars 2017

Depuis lundi midi, plusieurs étudiants de l’université de Saint-Denis (Paris 8) occupent une salle - renommée l’UFR O. Un lecteur/interviewer de lundimatin est allé à leur rencontre. Trois d’entre eux, Ache, Paco et Simone, ont accepté de s’exprimer sur cette première semaine d’occupation, qu’ils décrivent comme forte en rencontres et comme un possible point de départ à l’auto-organisation.

Pouvez-vous parler un peu de vos trajectoires personnelles sur un plan politique pour mieux comprendre ce qui vous a conduit à occuper cette fameuse salle ? Le mouvement contre la loi travail vous a-t-il conduit à développer un autre regard sur la société ?
S. : J’ai commencé à me politiser en 2012, lorsque j’ai été à la Zad de Notre-Dame-des-Landes, après l’opération César. C’était mon premier rapport à la politique et déjà en lien avec la question de l’occupation. Par la suite, je suis beaucoup allé sur les différentes zones occupées et c’est en partie de là que vient mon engagement. Quand je suis arrivé à Notre Dame des Landes, j’ai tout de suite ressenti ce qu’on perçoit lorsqu’on arrive dans un lieu occupé où il y a des liens forts entre les gens. L’organisation horizontale, sans hiérarchie, c’est-à-dire l’autogestion n’était plus un discours abstrait, mais se pratiquait ici et maintenant. Plus récemment, je pense que le mouvement contre la « loi travail » a permis à plein de monde de se politiser et de former des groupes. D’ailleurs, c’est l’une des raison qui m’a poussé, en allant à l’université, à essayer de donner des suites à l’énergie qui s’exprimait [durant le printemps] dans les cortèges de tête [de manifestations].
A. : J’ai toujours eu une conscience politique et ça m’a toujours intéressé. Le moment où je me suis vraiment politisé c’est la "loi travail", même si j’avais déjà fait des blocages lors des mouvements en soutien à Léonarda et Katchik, Rémi Fraisse, mais je n’arrivais pas à me situer. Ce mouvement m’a permis de découvrir un autre rapport à la politique. Au début, je connaissais plutôt les tendances communistes parlementaires et très peu les tendances anarchistes. Pour moi, la politique c’était des débats à l’Assemblée Nationale et je croyais dans les institutions. Du coup, lors de la mobilisation contre la "loi travail", j’étais sceptique quand des gens utilisaient la violence dans les manifs lycéennes et ailleurs. Le tournant ça a été une manifestation syndicale qui s’est terminée aux Invalides, le 24 mars, avec l’apparition pour la première fois d’un mini cortège de tête, suivie d’une manifestation sauvage où des centaines de personnes scandaient « Paris debout soulève toi » et c’est là que j’ai senti l’énergie qu’il y avait quand les gens se tenaient ensemble.
P. : Je viens de province (Manosque) et pas de Paris, donc ce qu’on faisait pendant le printemps c’était vraiment différent. On faisait plutôt des « pique-niques » ou des ateliers comparativement à ce qui se passait à Paris. La répression n’a rien à voir avec ce qui s’exerce à Paris. On discutait beaucoup, mais on ne mettait pas des actions concrètes en place. Pour donner un exemple, nous on se déguisait pendant les manifs, on dansait et on partageait des bouffes, mais on ne parlait pas de ce qu’on pouvait faire pour agir sur nos vies directement. C’était plus du militantisme classique. J’ai découvert d’autres modes d’actions début janvier en rencontrant les gens avec qui on occupe la salle aujourd’hui.
Qu’est qui vous a poussé à occuper cette salle ? Comment l’occupation s’est-elle préparée, et commence se déroule-t-elle ?
S. Tous les trois, on est en licence de science politique, en première année. On s’est rencontrés et on imaginait que la faculté de Saint-Denis était un endroit où il y a un fourmillement d’expériences politique, mais on s’est rendu compte qu’il ne se passait rien, sauf des discussions à la pause clope. On refaisait le monde le temps d’une cigarette. On était une dizaine. En rencontrant des gens dans la fac, on s’est aperçu que beaucoup de gens cherchaient à s’organiser et avaient développé une pensée politique pendant la « loi travail ». Ils étaient en recherche d’une dynamique nouvelle. Tout en constatant qu’on n’était pas assez nombreux, et cloisonnés chacun dans notre cursus en ayant pour objectif d’avoir des bonnes notes en allant en cours. On était dans des rapports consuméristes par rapport à tout ce que proposait l’université.
A. : En décembre, on a remarqué qu’une salle était vide. On voulait l’utiliser pour en faire un lieu de vie et plus précisément une cantine autogérée, afin que les étudiants motivés puissent se rencontrer. Cette salle a été récupérée par l’administration pour en faire une salle de cours classique. On a quand même fait une cantine autogérée sur un toit et c’est là que notre groupe a grossi. La question d’avoir un lieu revenait tout le temps. Finalement, la salle qu’on occupe actuellement est celle qui était vide : elle avait été promise mais finalement retirée par l’administration.
S. : Nos réflexions nous avaient poussés à penser que l’université avait une énorme responsabilité vis-à-vis de l’avenir, mais qu’aujourd’hui elle n’apportait aucune perspective sauf celle de nous balancer dans le monde du travail. Elle faisait semblant d’ignorer la situation politique en France et on trouvait que les cours, surtout en science politique, devaient se rapporter à l’actualité ce qui n’est pas le cas. Les profs se dissimulent toujours derrière un discours scientifique sans donner d’opinion et ça les rend inintéressants. On voulait casser cette distance universitaire entre la théorie et la pratique. Une des idées était d’organiser des cours alternatifs en faisant intervenir des profs qui s’exprimeraient en laissant de côté leur statut de scientifique qui crée une autorité falsifiée.
P. : Lundi midi, le 27 février, après la cantine du midi, on a réuni une trentaine de personnes, dont des gens d’autres facultés. On a attendu le cours de 15h pour rentrer dans la salle et on a décrété que la salle était à nous. On est tombé sur la prof la plus réactionnaire de la faculté, qui nous a traité de colons, rien que ça. Au début, les étudiants étaient plutôt sceptiques, mais en expliquant notre démarche beaucoup ont changé d’avis, même si ça les ennuyait qu’on ait interrompu leur cours. L’après-midi, ça a été plus de 2h de prise de tête avec les vigiles, les responsables d’UFR. Sans jamais rentrer dans des rapports de force physique. Vers 18h, ils nous ont finalement laissés entre nous et on s’est occupés de rediriger les cours vers des salles vides, alors que l’argument de l’UFR était qu’il n’y avait pas assez de salles vacantes dans l’université.
Quelle est votre démarche, comment l’avez-vous expliquée aux étudiants et à l’administration ?
S. : Sur tous les appels qu’on avait rédigés et fait tourner, on s’adressait aux étudiants, professeurs, squatteurs et travailleurs, donc notre démarche n’était pas de créer une salle strictement pour les étudiants, mais un lieu de vie ouvert à tous. On constatait que la fac n’était pas du tout ouverte sur Saint-Denis et les habitants de la ville. Une de nos volontés était de se mettre en lien avec les habitants de Saint-Denis pour créer une passerelle entre l’intérieur et l’extérieur. On a expliqué aux étudiants qu’on voulait mettre à disposition un lieu pour qu’ils puissent mettre en place leurs projets et qu’on n’était pas un collectif ou un groupe défini. Que ce seraient les gens qui viendraient dans ce lieu qui le feraient vivre.
A. : On a fait en sorte d’expliquer que la faculté ne pouvait pas être qu’un lieu d’étude. Il fallait la faire vivre, surtout quand on connaît le passé de Paris 8. Au même titre qu’il faut faire vivre tous les lieux dans lesquels on passe et il ne faut laisser aucun endroit et aucun moment à la séparation qui nous retranche dans nos postures individualistes. Pour que ça réussisse, il ne fallait pas passer par un cadre institutionnel pour que les élèves et les gens de l’extérieur puissent se sentir chez eux. L’administration parle de la maison de l’étudiant pour dire qu’on est illégitime à occuper, alors qu’elle est déjà gérée par les syndicats et des organisations qui ne laissent aucun espace de gestion et de prise sur la dynamique qu’il pourrait y avoir dans cet environnement. La pratique montre qu’on a eu raison car depuis qu’on l’a investi des centaines de personnes sont passées dans cette salle pour bouffer, discuter, participer à des débats, faire la fête, dire qu’ils nous soutenaient.
P. : L’université est quand même un lieu où l’on passe plus de vingt heures par semaine et l’objectif principal était de dire qu’on ne voulait plus se limiter à seulement suivre des cours, mais profiter et échanger avec nos amis. C’est un lieu où s’exerce beaucoup de travaux intellectuels et on ne peut jamais choisir ce qu’on veut aborder, alors que dans cette salle on a une prise sur les sujets dont on veut discuter.
A. : L’occupation est le moyen de casser une routine pour commencer à discuter, rencontrer les gens, pour à long terme disposer d’une vision plus globale de la société et pouvoir par la suite la modifier à notre échelle.

Cette salle a été occupée dans un contexte particulier dans la mesure où il y a un mouvement contre les violences policières de basse intensité depuis plusieurs mois et depuis quelques semaines dans les lycées. Est-ce que l’occupation de cette salle s’inscrit dans cette dynamique et vous a-t-elle conforté dans l’idée qu’il fallait passer à l’action ?
A. : Le premier semestre a été très calme et au début du second semestre beaucoup de choses se sont passées. Tout d’abord, les rencontres nationales de « génération ingouvernable » autour des élections, puis des déplacements collectifs avec notre petite bande d’étudiants de Paris 8 à Bure et plus récemment à Nantes. En parallèle, le mouvement contre les violences policières nous a beaucoup touché dans la mesure où notre fac est située dans le département où Théo a été violé par la police. Nous devions agir et encore une fois cela est passé par des rencontres avec les habitants de Saint-Denis.
S. : La première phrase de notre communiqué était « donnons suite à l’impulsion des lycéens qui se mobilisent contre les violences policières depuis plusieurs semaines ». On avait envie de créer un espace d’organisation à Saint-Denis pour participer au processus de convergence en cours entre les élèves, les militants et les habitants des quartiers.
P. : Le mouvement contre les violences policières dénonce une situation plus globale et une manière de faire de la politique avec laquelle nous ne sommes pas d’accord parce que pour nous la politique s’exerce tous les jours dans nos lieux de vie. C’est dans cette dynamique qu’on a lancé l’occupation de salle. Les manifestations sont des moments éphémères, alors qu’avoir une salle permet d’avoir une base de repli dans laquelle on peut construire sur le long terme en mettant en place un processus d’autogestion.
Vous parlez de faire de la politique à une échelle plus locale pour influer sur le global, ce qui m’amène à vous demander si vous pensez que cette occupation s’inscrit dans la critique et la contestation des élections présidentielles ?
S. : Pour moi, il ne s’agit même pas de critiquer ou contester les élections présidentielles qui apparaissent de plus en plus comme un spectacle ridicule. En même temps que les candidats se cassent la gueule les uns après les autres, que ça devient évident qu’ils sont tous des individus ambitieux qui n’ont rien à voir avec l’intérêt commun, se développent des espaces politiques beaucoup plus proches de la réalité. Ce qui par contraste fait apparaître ces élections comme d’autant plus dérisoires. L’occupation de l’UFR O s’inscrit dans le développement de ces expériences qui replacent le politique au plus proche du quotidien.
P. : Le fait de contester les élections sans rentrer dans le jeu politique qu’on essaye de nous imposer ne peut pas se faire sans qu’on soit en mesure de proposer autre chose en amont, c’est-à-dire redéfinir nos rapports sociaux et nos interactions. Il ne faut pas se contenter de dire qu’on n’est pas d’accord en restant tout seul chez soi.
A. : En gros, en occupant la salle, les questions que l’on s’est posé étaient : Qu’est-ce qu’être ingouvernable ? Comment faire pour que l’État n’ait plus de prise sur nous ? Comment reprendre tous les aspects de nos vies en main ? La réponse était dans le fait de ne plus se laisser représenter par des gens et ne plus verser nos énergies au capitalisme, mais les donner à la construction de situations où le cours des choses est bouleversé.
Vous parlez beaucoup des rencontres que vous avez vécues et des liens que vous avez créés, mais concrètement j’ai l’impression que vos projets ont pris forme en même tant que vos amitiés se sont consolidées...
A. : En effet, ces amitiés sont à la base de tout notre projet et ça a commencé par une pause clope, puis des soirées qu’on a passées ensemble et des rendez-vous qu’on s’est donné afin de réaliser concrètement ce qu’on se disait au cour de nos discussions. C’est aussi de là que viennent nos déplacements pour soutenir des luttes en France (Nantes, Bure, NddL) et à travers chacun de ces événements ça se finalise toujours par des rencontres, des connaissances qui s’accumulent et des savoirs qui se partagent. C’est ce qui influe sur notre détermination, en créant du collectif toujours plus fortement au fur et à mesure que les liens s’approfondissent.
P. : Depuis une semaine, le fait qu’on soit ensemble tous les jours dans cette salle et presque toutes les nuits ne pourrait pas se faire sans amitié parce que ce que l’on est en train de construire passe d’abord par les rapports que l’on entretient ensemble. Je pense que l’amitié est un rapport à la confiance et contribue à rendre notre vie joyeuse. Avoir des délires, faire des blagues, bref, une dimension essentielle pour propulser la lutte.
S. : On a rencontré beaucoup de monde et en discutant avec les gens de nombreuses personnes ont exprimé le fait que les relations dans la salle n’était pas artificielles. C’était plus simple que dans le reste de l’université de créer des rapports sincères.
P. : L’amitié et la lutte ont un rapport que je qualifierai de miroir, car la lutte créée des liens et des amitiés, quand dans le même temps l’amitié permet la lutte sur le long terme.
A. : Le temps qu’on se donne, le lieu qu’on a trouvé, les longues discussion au premier abord improductives, les rencontres tant souhaitées sont en fait la seule source d’idées, de projets, de partages, afin de construire quelque chose de véritablement solide qui sur le long terme peut véritablement être une nouvelle forme de vie, qui a un sens et qui est réalisable par tous.
Quelles sont vos perspectives et projets au niveau de cette salle ? Comment comptez-vous concrètement mettre en place ce rapport entre l’extérieur et l’intérieur, c’est-à-dire le troubler d’une certaine manière ?
A. : On a plusieurs chantiers. Déjà un travail d’approfondissement sur la question des violences policières en créant du lien avec les lycéens, les habitants, les associations de quartier, de Saint-Denis. Développer l’autogestion de la salle. Réfléchir à des nouvelles activités comme l’ouverture d’une bibliothèque, un potager, des discussions théoriques autour de textes, des ateliers pratiques que ce soit du bricolage électrique ou de la protection juridique, mais aussi l’aspect festif par des répétitions pour des chorales ou des battucadas.
P. : Pour le mot de la fin, on dirait collectivement qu’on a tellement de projets qu’il nous faudrait une deuxième salle et qu’on invite tout le monde à venir investir le lieu ou les autres occupations qui vont se mettre en place !
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