Quand le Parti Socialiste fait sa « Nuit Debout »

Une soirée au Hollande Comedy Club

paru dans lundimatin#85, le 13 décembre 2016

Il y a quelques jours, j’ai par hasard été invité à un événement assez énigmatique, qu’il m’était impossible de passer sous silence plus longtemps.

Le mardi 28 novembre, La Bellevilloise n’accueillait pas la dernière soirée électro à la mode, mais un événement tout aussi funky : la présentation de « l’Assemblée Générale ». Le sens de l’Histoire en décidera autrement trois jours plus tard, mais pour l’heure, nous sommes 300 fans déchainés de.... François Hollande, notre sauveur pour 2017 !

On arrive sur I’m bad de Michael Jackson, comme un avertissement : notre président a fini de rigoler ! Le public lui n’est pas très bigarré, et le fan club de François ressemblerait à s’y méprendre au fan club d’un autre François, n’étaient les foulards fantaisie. Mais laissons les apparences de coté pour entrer de plain pied dans le débat idéologique de haute volée. Et ça commence avec... des gommettes ! Oui, vous avez bien lu, le programme idéologique du plus illustre parti de la gauche française se fera avec des gommettes, ou ne se fera pas ! Pour participer c’est simple, il suffit de coller scolairement les autocollants sur le paper board prévu à cet effet, où figurent les différentes tables de discussions : « Identités », « Europe », « Ecologie »...

Belles cravates et col roulés sont de sortie, c’est « Nuit Debout » en De Fursac.

Ca tweet, et ça retweet, on rit et on se fait la bise, car on sait pourquoi on est là, et ce n’est pas pour apprendre à monter des barricades. Les journalistes sont agglutinés à l’entrée, refoulés de la soirée de l’année avec Julien Dray chargé de la jouer amis-amis : « Vous venez aux réunions et moi je viens à votre conférence de rédac. On tape, allez ! On tape ».

Voilà le décor est planté, on peut commencer. Le public endimanché et trépignant s’installe tandis que le suspens monte : qu’est-ce donc que cette Assemblée Générale, qu’est-ce qui se cache derrière ce terme aussi flou qu’insipide ?

C’est Philippe Lemoine, le Monsieur Loyal du jour, qui répondra le premier à cette question. Il prend le mic, et là ça envoie. Se présentant comme « entrepreneur atypique », il introduit cette soirée par cette confidence lucide : « Aujourd’hui être de gauche est devenu une galère ! ». Il doit sans doute penser comme moi aux millitant-e-s des manifs contre la loi travail, aux antifas et aux syndicalistes ayant eu des condamnations au pénal ces derniers mois... sous un gouvernement de gauche. Tout d’abord, nous dit-il, ce mouvement dont on voit insidieusement se dessiner les contours est un mouvement « ouvert et permanent » et même « formidablement ouvert ». Car il « faut de l’air, de l’oxygène ! Pour sauver la gauche ». Alors, ça vous fait pas envie, les gauchistes ? Lentement mais surement vont nous être distillés ces fameux éléments de langages qui donneront à ce gala d’éléphants son sel inimitable.

La « méthode de combat » de l’AG, tient en trois mots - attention, accrochez vous ! « Motivation, Incarnation, Propagation ! » On dirait le sous titre du prochain film de zombie de Robert Rodriguez, ou bien de celui de Mel Gibson sur la vie des apôtres. Le reste de sa litanie ne nous donne pas plus d’explication sur le sens de cette devise mais on comprend rapidement que les bras armés de cette propagation ce seront les nôtres. Car, le socle idéologique de ce mouvement c’est bien « la société civile ». Podemos, Trump, le Brexit et Nuit Debout sont passés par là et le PS lui aussi va nous rendre la parole à nous le peuple, bâillonné depuis trop longtemps. C’est pas cool, ça ? On va pouvoir écrire le programme du président-candidat nous même ! Avec quoi ? Des gommettes, vous l’aurez compris.

Donc « la société civile est notre seule chance ». Après un cours de philo de comptoir par l’islamologue Rachid Benzine qui nous blablate son « vivre ensemble », on est super contents d’apprendre que Jacky Bontems ancien numéro 2 de la CFDT va nous bassiner de nouveau avec la société civile, nouvelle divinité que tout le monde évoque en vain, sans savoir qui elle est, ni ce qu’elle veut, et que ces caciques du PS semblent prier telle une sainte, comme s’ils avaient eu une apparition la nuit dernière. Puis le syndicaliste CFDT – oxymore ? cite abondement notre bien aimé président qui a « respecté sa parole et la consultation syndicale ». Les ouvriers de Florange se péteraient bien les côtes de rire, s’ils n’étaient pas occupés à crever la dalle. Et puis sans transition aucune, il annonce qu’il faut « une réduction massive du temps de travail ». Vue les propositions de Fillon sur le sujet, nul doute qu’ Hollande va monter au filet et le contrer avec la journée de 4 heures. Bref, on nage en plein délire.

C’est ensuite à Nelly Gouandjia de prendre la parole, elle qui « vient de banlieue », va nous expliquer pourquoi il faut voter Hollande. Sidéré, j’abandonne un instant mon sourire goguenard de gauchiste venu ironiser sur les pathétiques tentatives de vieux roublards solfériniens pour l’écouter. Mais rapidement ça vire à ce que certains de mes amis appellent un moment « Joséphine Baker » : on rit grassement, et on applaudit à tout rompre la fraicheur de cette « mère de famille, venue avec toutes ses soeurs ! ». Sans fiche, elle prend la parole pour dire que les banlieues ça n’est pas si terrible, « qu’on y vit bien », comme s’il fallait rassurer les militants socialistes bien pensants de l’Est parisien et leur dire que tout va très bien, madame la marquise, une fois passé le périph.

Puis vient le tour de mon champion : Eliott Nouailles, leader minimo de « Nouveau Souffle », une bande de jeunes déters du 5 ième qui soutient Pierre Larrouturou. Il évoque le regard lointain et le verbe haut, « le premier vote de ses camarades » qui contrairement à « Rimbaud sont sérieux à 17 ans » ; et ça lol dans tout les sens. Il veut dépoussiérer la politique et s’assume comme un « post libéral ». Il faudrait qu’il pense à nous donner la définition exacte, qu’on puisse refiler le tuyau à Macron. En 2017, il semblerait que la seule chose qui permette de différencier un jeune socialo d’un jeune pop ce sont les stan smith à la place des mocassins à glands. On n’est pas réac, non, on est dans le coup, sapés comme jamais pour défendre le bilan de notre chouchou.

Attendez, ne partez pas, on n’a pas fini de se marrer ! Car Sakina M’sa, créatrice de mode, vient nous expliquer qu’elle a décidé de soutenir Hollande et de « tricoter des écharpes pour les réfugiés de Stalingrad ». Si Valls n’avait pas été trop occupé à leur envoyer des CRS quotidiennement, nul doute qu’il se serait joint lui aussi à l’atelier tricot en tergal. Je vous avais prévenu c’est un film de série Z des années 80, on passe du rire à l’effroi en moins de temps qu’il n’en faut à un socialiste pour dire une ineptie.

La liste des personnalités venues soutenir notre leader incontesté s’allonge encore avec la prise de parole de Jean-Michel Ribes, qui après un cours d’Histoire sous Xanax, nous assène sans sourciller qu’ « Hollande est resté fort, fort quand il a fait le mariage pour tous, fort quand il a sauvé le Mali ! ». C’est l’un des éléments de langage les plus assénées par les anges de la télé réalité du social-libéralisme : « Le mariage pour tous », ça il faut le dire et le redire, c’est lui et personne d’autre ! Ribes s’essaie lui aussi aux punch lines avec son « le compromis, c’est l’intelligence », qui donne envie de balancer toutes ses VHS de Palace. Tu voulais pas plutôt dire compromission, Jean Mi ?

Au bout d’une heure, youpi c’est la récré. Pour l’occasion, on est gratifiés du clip de Black M, Je suis chez moi, et c’est la teuf ! Personne ne remarque que c’est évidement la version censurée du clip, où le tee shirt « Justice pour Adama » est indignement flouté. Le clip est coupé en plein milieu, car deux minutes de variété, c’est déjà trop pour les Hollande girlz et boyz qui réclament maintenant la parole ! Mais avant le passage aux questions du public, un autre comique vient de faire son entrée, dans une « ambiance lourde » précise t’il au mic. C’est le sémillant Yassine Belattar qui après des remarques sexistes - « Je suis un électeur, un peu comme une femme qu’on courtise à la sortie d’une boite » et homophobes - « Je suis contre le mariage pour tous, mais en même temps j’ai envie de travailler dans le monde du cinéma ! », termine par l’évocation de la déchirure qu’est pour lui la mort d’ Adama Traoré et s’en va rapidement. C’est pas non plus ultra bankable de trainer trop longtemps avec des loosers de sociaux-traitres.

Ca y est ! On va enfin pouvoir prendre la parole et questionner la candidature de Hollande. Ha non en fait. Le thème de cette séquence « François Hollande, disqualifié par avance ou allié privilégié ? » (attention, dans le fond on ne rigole pas) sera essentiellement animé par Nadège Azzaz et Julien Dray. On n’a pas encore la parole, mais on se chauffe ! Pendant 15 minutes ces derniers vont nous expliquer pourquoi Hollande doit se représenter, et gagner les élections (On ne rit pas, j’ai dit !). Ça déroule donc les éléments de langages assénés avec dévotion : et que ça se congratule sur « la réussite de la COP 21 », ben oui, les 317 copines et copains qui ont passé leur journée du 29 novembre 2015 en cellule, s’en souviennent bien de la réussite de la COP ! et qu’on nous ressort « l’extrême droite aux portes de la république », ils parlent de Valls là ?

S’ensuit « Fillon, le premier de la classe », qui ferait donc face à un Hollande bad boy. Enfin Julien Dray, compatissant et ému, est « comme vous, terrorisé par l’état de la gauche », et de nous raconter un souvenir marquant de sa période trotsko (sortez les mouchoirs !). Il se remémore le 11 septembre 1973 et le coup d’Etat contre Salvador Allende. Nul doute que les esprit éclairés de la salle auront perçu la métaphore filée entre Pinochet-Le Pen et Allende-Hollande, et prendront ainsi la mesure pleine et entière du « danger fasciste » qui nous guette.

Enfin, comme promis, c’est la prise de parole de la société civile qui placera les dirigeants socialistes et les célébrités présentes face aux erreurs du quinquennat hollande ! Ha non, pas vraiment en fait, car personne, à une ou deux exceptions près, ne pose de questions dérangeantes. On est là pour soutenir François et on le fait avec une hargne digne d’un stalinien sous coke : Hollande, « président des jeunes et de l’avenir ! » On fustige avec paternalisme les « gens, qui ne savent pas, qui ne comprennent pas » à qui il faut « expliquer des mécanismes qui leur ont inconnus ». En revanche lorsqu’un jeune racisé en fond de salle raconte son parcours, on regarde son téléphone, on rit, bref on s’en bas les reins formidablement. Puis, un représentant du peuple Kurde de Syrie, Khaled Issa, prend la parole ; pour celles et ceux qui sont un peu au fait des très nombreuses mouvances et représentations politiques au sein de la résistance Kurde à Daesh et à Assad, ça pue l’embrouille et le copinage. Et ça ne rate pas : « Julien Dray est un vieil ami » et « Hollande est le plus grand de tout les présidents ». Parmi ceux du Conseil de Sécurité s’entend. D’ailleurs le volet diplomatique de la présidence Hollande, parlons-en ! Dray est univoque, la diplomatie française a retrouvé depuis cinq ans « une clarté et des principes ». Ben voyons.

Madame Azzaz reprend la parole pour nous faire un peu de pédagogie : « Aujourd’hui nous sommes ultraconnectés, tout va très vite, mais le temps politique est un temps plus long ». On espère qu’ Einstein donnera son accord pour qu’on ajoute cet axiome audacieux à la théorie de la relativité restreinte. Et puis si Sarko n’avait pas laissé notre beau pays dans cet état, on n’en serait pas là d’abord ! Les prises de paroles s’enchainent et s’enfoncent dans l’absurdité, alternant l’usage du conditionnel jusqu’à plus soif : « Nous aurions peut-être du, nous aurions peut être pu » et les calculs d’épicier : « Si Hollande fait voter la loi sur le vote des immigrés, ces derniers voteront massivement pour lui, et il sera élu ! ». C’est ce pragmatisme décomplexé qui conclura la participation du public... Ha non ! Car notre champion de « Nouveau Souffle » veut reprendre la parole qu’on lui refuse et le fait savoir par un tweet vengeur à l’adresse de l’Assemblé Générale, se définissant lui-même à la suite de cette estocade, comme un « génie politique » !

Cette soirée du vivre-le-hollandisme-dans-la-joie-et-l’allégresse se termine par les consignes choupis faites aux militants : « Vous pouvez même vous réunir dans des bistrots et nous faire part de vos remarques et propositions ! ». Sans vomis sur les compte-rendu si possible. Pour les néophytes de la démocratie directe, n’ayez crainte, des « tutos » sont mis en place sur le site ! Faudrait pas que vous fassiez n’importe quoi non plus. La démocratie 2.0 c’est pour maintenant, par contre pour « le changement » il va falloir encore attendre un peu les enfants ! Pour les camarades intéressés par ce formidable processus de réappropriation de la politique, il faut savoir que c’est 50 euros l’adhésion. C’est que ça coute cher de faire avancer la tornade socialiste et son glaive armé ! Et comme une bonne messe républicaine se termine toujours par une quête, on incite les gens à faire chauffer la CB pour la bonne cause.

Vous l’aurez compris, on a applaudi des deux mains devant cette arlésienne next gen : tout ça pour apprendre trois jours plus tard que le champion n’y allait pas, il fallait oser. Quoiqu’il en soit, cette deuxième saison du Hollande Comedy Club nous a gâtés : les standupeurs n’ont pas hésité à mouiller leur chemise BHL-style pour leur public, ne rechignant devant aucune absurdité pour nous faire rire. Leurs performances acrobatiques pour nous faire croire que pour tout changer il fallait surtout ne rien changer mérite d’être saluée. Tout le monde aime voir des éléphants faire des saltos. Bref, du rire, de l’émotion, de la musique, des pirouettes. Ils n’ont pas mégoté pour nous éclater. Et puis d’un coup on réalise que ce n’est pas Gad Elmaleh qui se tient devant nous, mais des hommes politiques qui entendent nous gouverner avec notre consentement.

On aimerait bien se dire que c’est anodin, que c’est une mascarade aussi triste qu’inoffensive. Mais ce gala rance, ni plus ni moins minable que les autres, n’est que le début de ce qui va nous être injecté par intraveineuse médiatique pendant des mois, un continuum de bêtise humaine et de manque d’imagination qui témoigne de l’impasse de ce système. Car c’est à la vue de ce spectacle, de ces acteurs fardés, de ses sourires factices, plus encore qu’aux lectures combinées de Bakounine et Alexandre Marius Jacob, que nous sommes devenus réfractaires à la politique et à ses jeux médiatiques.

Et il faut encore les regarder se lamenter sur l’exode des électeurs loin des urnes, se questionner sur les coupables, élaborer des stratégies pour nous faire revenir dans leur giron, alors que ce sont eux les meilleurs ouvriers de France, les premiers fabricants de citoyens désabusés et cyniques.

Foutu pour foutu, il ne me reste plus qu’à bouffer les petits fours !

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