#JusticePourThéo Ça continue.

De l’usage de l’« Outrage et rebellion ». Des manifestations, encore. Intimidations.

paru dans lundimatin#94, le 23 février 2017

Cette semaine a encore été marquée par l’organisation de manifestations, de rassemblements, voire d’émeutes ; toujours contre les violences policières. Dans les centre-villes comme dans les banlieues, de Paris comme de province.

Outrage et rebellion

Cette semaine on apprenait que plusieurs policiers ayant un lien avec le tabassage et le viol de Théo que Mohamed ont eu, ou pourraient avoir, des ennuis avec la justice pour des faits similaires.

Le journal l’Humanité raconte ainsi que :

l’actuel commissaire divisionnaire, qui règne aussi sur tout le district nord-est de la Seine-Saint-Denis, a déjà été mis en cause dans un scandale de violences policières.

Cette affaire qui remonte au 19 février 2004 sera surnommée « la honte de la bac parisienne ».

Le commissaire Vincent Lafon est alors chef adjoint de la brigade anticriminalité de nuit à Paris (BAC 75N).

Ce jour-là, un homme, pris en chasse au volant de sa voiture par la bac, finit « tabassé » :

sur le goudron, pantalon et slip baissés, un cerceau d’enjoliveur entre les fesses. Bilan : un nez cassé, sept jours d’ITT. Les policiers, accuse-t-il, l’ont « menacé de sodomie ». La scène a bien été filmée, mais l’inspection générale des services (IGS), immédiatement saisie, ne parvient pas à mettre la main sur les images, détruites.

Le commissaire, présent sur les lieux, est mis en examen pour « abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit ». Il sera condamné à « un an de prison avec sursis et un an d’interdiction professionnelle ».

Cette même semaine, Mohamed, un ami de Théo, affirme avoir été tabassé par des policiers, le 26 janvier, dont l’un d’entre eux serait aussi impliqué dans l’ « affaire d’Aulnay ». Mohamed dit, selon Europe 1 :

avoir été conduit dans le hall d’un immeuble, où un troisième policier a rejoint ses collègues. « C’est le même que celui qui a pénétré Théo avec sa matraque, tout le monde l’appelle ’Barbe Rousse’ », relate-t-il.

Mohamed évoque ensuite « des croche-pattes », puis des coups de pied et de poing sur tout le corps, y compris le visage. « Je saigne parce qu’ils m’ouvrent le crâne, je leur dis que je suis essoufflé, ils me traitent de ’sale noir’, de ’salope’, ils me crachent dessus », détaille-t-il. Selon lui, l’agression aurait duré de 30 à 40 minutes.

Dans la voiture qui l’a conduit au commissariat, le jeune homme dit avoir été frappé à nouveau « jusqu’à ce qu’[il] finisse au sol ».

Mohamed a finalement été placé 24h en garde-à-vue et les policiers ont porté plainte contre lui pour « outrage et rebellion ». L’un d’entre eux se serait « tordu le petit doigt ».

Outre le fait que ce témoignage révèle à nouveau plus la violence dont fait preuve la police d’Aulnat, et plus généralement la BST, il rappelle l’usage qui est fait par les policiers de l’accusation d’ « outrage et rebellion » : une façon de « couvrir » leurs exactions (et d’arrondir leurs fins de mois en demandant devant le tribunal des dommages et intérêts).

Ainsi, personne ne s’est étonné qu’un « policier du 93 », pour attester (selon lui) de la probité du policier accusé de viol à Aulnay, ait déclaré :

Il n’était pas […] réputé brutal. Ce n’était pas un abonné des ’outrages rébellion’

Sous-entendu : on peut prouver la brutalité d’un policier au fait qu’il porte souvent plainte pour « outrage et rebellion ». Bien que ce soit de notoriété publique (au moins dans la police), cela n’empêche pas la justice de continuer de condamner à tour de bras pour ce chef d’inculpation, et régulièrement sans autre « preuve » que les déclarations des policiers impliqués (qui ne prennent souvent même pas la peine de se faire « auditionner » et se contentent de relater les faits dans leurs PVs d’intervention.

Ainsi, en janvier 2014, le site paris-luttes.info avait consacré un article à ce sujet, intitulé « Outrage et rébellion, un bon filon remis en cause ». Etait cité dans cet article un rapport de l’Inspection Générale de l’administration qui épinglait cette tendance.

Sur les 20 600 dossiers instruits par des flics en 2012 (30% de plus chaque année), seuls 300 n’ont pas abouti, tous les autres se font indemniser, les yeux fermés, par les deniers du Trésor. A chaque fois le flic se met 300-700 euros d’indemnités dans la poche, sans compter les jours d’ITT quand il s’est foulé l’ongle ou a subi un "traumatisme psychologique".

Quand l’IGA demande à la Direction centrale de la Police Nationale une liste des flics indemnisés, seul le Service d’Aide au Recouvrement des Victimes (SARVI) est "en mesure" de répondre ; il fournit une liste édifiante de 147 noms qui à eux seuls suffisent à montrer à qui profite le crime :

  • 6 fonctionnaires de police totalisent plus de 15 dossiers chacun ;
  • 31 fonctionnaires de police totalisent entre10 et 14 dossiers ;
  • 109 fonctionnaires de police totalisent entre 5 et 9 dossiers ;
  • 1 fonctionnaire a ouvert 19 dossiers depuis 2009 !

Il a été signalé à la mission le cas d’un fonctionnaire « victime » à 28 reprises en 2012, sans aucune suite de la part de l’administration. Un Secrétariat Général de l’Administration Policière (SGAP) a signalé à la mission 62 cas d’agents victimes plus de quatre fois dans l’année, sans qu’il n’y ait eu aucun traitement de ces cas d’un point de vue managérial ou administratif ; un autre a signalé 28 cas.

Continuons la lecture de cet article édifiant :

L’IGA relève qu’« à Paris, cinq cabinets d’avocats [1], choisis au fil du temps, sans aucune mise en concurrence, se partagent « un marché » d’environ 2,5 M€ annuel, qui leur garantit un revenu d’environ 40 000€ par mois et par cabinet. Dans certaines circonscriptions de police en province, le nombre de dossiers de Protection Fonctionnelle (PF=dossier d’indemnisation) pour outrage est d’autant plus élevé qu’un avocat en est spécialiste, fait sa propre publicité y compris dans les commissariats ; ailleurs, l’avocat est lié personnellement à un fonctionnaire de police et la coïncidence fait que dans le ressort de ce barreau le nombre de dossiers d’outrages est particulièrement élevé... »

Si ça ne suffisait pas à nous convaincre que l’affaire est lucrative, la répartition des dossiers sur le territoire permet de se rendre compte qu’il y a des endroits où il fait bon être flic : quand à Paris on recense 760 dossiers d’outrage instruits, à Rennes on en a 1466 ; qu’en conclure ? Que les Rennais n’ont pas leur langue dans leur poche, que les flics de l’ouest sont susceptibles ou qu’à Rennes il doit y avoir un bon cabinet d’avocat de flics ? Je vous laisse choisir..

L’Etat à cran

Quiconque s’est rendu récemment à des manifestations contre les violences policières a pu constater que les préfets ne prenaient pas cela à la légère ; ou plutôt que l’Etat tentait par tous les moyens (par la mobilisation d’importants effectifs de policiers chargés du maintien de l’ordre, et par la technique dite de la « nasse », principalement) de décourager tous ceux et celles qui voudraient s’opposer dans la rue aux exactions de la police. Il s’agit ici d’isoler les émeutes nocturnes (dont le traitement médiatique se soumet à un jeu politique : entre black-out et exagération).

Mais la mobilisation d’effectifs policiers démesurés au moindre appel à manifester comporte des inconvénients.

Ainsi, lors du dernier appel à se rassembler à Barbès (Paris), le dispositif policier étant tellement concentré sur le fait de nasser et de contrôler les manifestants, qu’il n’a pas pu anticiper le départ d’un second cortège à quelques stations de métro de là.

Le site paris-luttes.info raconte :

Mercredi 15 février, le rassemblement prévu à 18h à Barbès a été complètement cadenassé par la police. À 20h, pour ne pas en rester là, un rassemblement spontané s’est constitué à Ménilmontant, et celui-ci s’est transformé en manifestation sauvage.

Le mot avait tourné qu’un autre RDV était donné à Ménilmontant, aux alentours de 20h, pour envisager quelque chose de plus enthousiasmant. Là-bas, vers 20h, il devait y avoir environ 200 personnes, dont un peu plus de la moitié ont décidé de partir en manif sauvage, en prenant un chemin semblable à une des manifs sauvages du mardi 7 février.

La frousse étatique est apparue de la manière la plus criante à Aulnay, mercredi 15 février. Le Parisien raconte :

Ce mercredi, à Aulnay-sous-bois, on a craint plusieurs manifestations toute la journée… en vain. La rumeur de deux manifestations contre les violences policières, relayée par les réseaux sociaux et des blogs locaux, a ainsi mis les forces de l’ordre et la ville en alerte

La tension se fait sentir dès 14 heures. La plupart des commerçants du boulevard de Strasbourg, proche de la gare RER, baissent le rideau et apposent une affiche « Fermeture exceptionnelle pour cause de manifestation ». Sur le parvis de la gare, plusieurs véhicules de police municipale stationnent, tandis qu’un hélicoptère survole la zone. Un membre du cabinet du maire (LR) Bruno Beschizza est dépêché sur place… mais ne trouve que quelques journalistes. « C’est ici la manif’ ? » interroge un badaud. « Il n’y a pas de manifestation. C’est une fausse information », répond le collaborateur de l’édile.

Rebelote vers 16 heures. Cette fois-ci, la rumeur annonce un rassemblement… devant le commissariat ! Certains tweets envoient même les anti-violences policières et les pro-policiers au même endroit… De quoi alerter les services de l’Etat : deux heures avant l’horaire annoncé, toutes les rues d’accès a l’hôtel de police sont bouclées par des CRS. Seuls les riverains peuvent passer, en présentant un justificatif de domicile. Dispositif massif… pour zéro manifestant. « On a vu personne », indique un policier à 17 h 10.

La plupart des appels relayés sur Facebook débouchent tout de même sur des rassemblements, des manifestations sauvages, ou au moins des tentatives, comme cette semaine à Argenteuil ou à Bobigny :

Aussi, pour empêcher la diffusion de tels appels sur les réseaux sociaux (dont ), la préfecture du 93 a donc joué la carte (elle ne semble avoir que celle-là) de l’intimidation :

Nuits

Les affrontements ont continué en banlieue parisienne cette semaine.

Le site paris-luttes.info a fait la recension de ces « incidents ».

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