Il n’y aura pas d’expulsion dans la Montagne Limousine !

Facéties d’une préfète zélée au fin fond de la Creuse

paru dans lundimatin#157, le 19 septembre 2018

Le lundi 9 juillet dernier, la toute nouvelle préfète de la Creuse, Magali Debatte, se met en tête de convoquer un jeune soudanais réfugié à Faux-la-Montagne, petit village de la Montagne Limousine, en vue de son placement en rétention. Le lieu de la convocation est la gendarmerie de Felletin, petite bourgade creusoise de 2500 habitants. Le but affiché suite au placement en rétention administrative du jeune homme, est son expulsion vers l’Italie, pays de sa première entrée dans l’espace Schengen, comme le prévoient les accords dits « de Dublin ».

Dès 10h du matin, heure de sa convocation, près de 250 habitants de Faux-la-Montagne, et de communes avoisinantes de la Montagne Limousine, se réunissent devant la gendarmerie pour exiger de la préfète qu’elle permette à Noordeen de faire sa demande d’asile en France (comme elle en a le pouvoir) et pour s’opposer à son expulsion. Des personnes de tous âges et de tous horizons sont venus témoigner de leur attachement à la tradition d’accueil du territoire et leur colère face aux dispositions absurdes des accords de Dublin qui baladent comme des paquets les exilé.e.s d’un pays à l’autre sans autre but que de reporter le problème. Devant l’obstination toute administrative de la préfète qui ne veut rien céder, les habitants réunis décident de bloquer pacifiquement les accès à la gendarmerie et annoncent être déterminés à rester aussi longtemps qu’il le faudra. Au bout de quelques heures, la préfète, après avoir fait venir des renforts de toute la région, ordonne la charge contre les manifestants. Gazeuses, coups, bousculades, les gendarmes s’exécutent sans sourciller, repoussant violemment toutes les personnes présentes, enfants et personnes âgées compris. A la faveur de la panique provoquée par cette charge inattendue, quelques fiers gendarmes traînent Nordeen, menotté, par la force à travers la cour de la gendarmerie vers un trou tout juste ouvert dans le grillage arrière de la caserne pour le charger dans une voiture positionnée là pour l’extraire et l’amener directement au centre de rétention de Mesnil-Amelot en région parisienne.

Felletin - 9 juillet 2018 from Tele Millevaches on Vimeo.

La scène, entièrement filmée, produit un petit scandale régional, auquel la préfète se verra forcée de répondre dès le lendemain soir, en direct du journal de France 3 Nouvelle Aquitaine. « C’est une procédure normale, je ne vois aucune raison de s’y opposer » répétera-t-elle pour toute réponse à la journaliste qui l’interroge sur la violence de l’opération de la veille et les raisons de cette expulsion, à peine 24 heures avant que Noordeen ait été en droit de faire une demande d’asile en France. Dès le lendemain matin, la préfète enfonce le clou par une conférence de presse en préfecture où elle annonce que le rassemblement contre l’expulsion de Noordeen était le fait de dangereux groupuscules d’ultra-gauche qui lui ont « été signalé par les services centraux », avant de faire mention « d’un nombre important de fichés S en sud creuse » et de sa détermination à faire de la « sécurité » la première priorité de l’État dans la département. Même les journalistes de la presse locale ne purent retenir un sourire devant ces déclarations aussi burlesques que martiales.

Deux jours plus tard, les habitants de Faux-la-Montagne et alentours convoquent à leur tour une conférence de presse dans la mairie du village pour faire un démontage en règle des assertions de la préfète et annoncer publiquement leur détermination à protéger les exilé.e.s qui ont trouvé refuge dans la commune et alentours.

Suite à cette réunion publique, une déclaration solennelle signée par nombre d’habitants, d’élus locaux, d’associations et de personnalités de la Montagne et au-delà, est diffusée en forme de réponse à la préfète et ses pairs. Le texte, publié en intégralité sur Mediapart et dans un quotidien local annonce sans détours qu’ « Il n’y aura pas d’expulsion sur la Montagne Limousine !  ».

Au même moment, Noordeen qui a réussi à refuser de monter dans l’avion qui s’apprêtait à le ramener en Italie, sort libre de l’aéroport et regagne Faux-la-Montagne, non sans que la préfète de la Creuse le déclare « en fuite ». Une procédure entamée devant le tribunal administratif de Limoges visant les dispositions prises par la préfète, devait être audiencée le mardi matin suivant. Contre toute attente, après tant d’obstination, la préfète autorise finalement Noordeen à présenter sa demande d’asile en France, à peine une demi-heure avant le début de l’audience, de peur sans doute d’être désavouée par le tribunal.

Toute cette histoire passée relativement inaperçue dans les brumes d’un été caniculaire finira tout de même par trouver quelques échos médiatiques et la tribune contre les expulsions suit son chemin, signée par des centaines d’habitants et de visiteurs de la Montagne que l’incurie de la préfète Magali Debatte (retenez bien ce nom) a révulsé.

Ce lundi 17 septembre, la préfète fait sa rentrée sur les chapeaux de roue, elle convoque un jeune camarade de Noordeen, lui aussi exilé soudanais, et lui aussi habitant du village de Faux-la-Montagne, pour les même raisons et avec le même but. Cette fois-ci, la préfète a préféré faire cette convocation à la gendarmerie de Guéret, chef lieu de la Creuse, où les pandores sont bien mieux armés pour répondre à toute forme de mobilisation, et surtout à une bonne heure de route de la Montagne Limousine, ce petit bout de rocher qui lui a tenu la dragée haute en juillet. Les habitants de Faux-la-Montagne et les collectifs de solidarité avec les exilé.e.s de la Montagne, appellent à une mobilisation massive dans le centre de Guéret ce lundi, dès 10h et aussi longtemps qu’il le faudra pour lui faire réviser son jugement. Suivent ici le texte de la tribune contre les expulsions sur la Montagne Limousine et l’appel à mobilisation pour ce lundi.

Il n’y aura pas d’expulsion sur la Montagne Limousine !

Aussi loin que l’on puisse remonter la Montagne Limousine a été une terre d’émigration, mais aussi une terre d’accueil pour toutes sortes de migrants, d’exilés. Voici quelques années que la ’question migratoire’ refait son apparition sur les plateaux de la Montagne limousine sous un jour nouveau. Il y a trois à quatre ans, des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) ont ouvert dans plusieurs communes de la Montagne et de sa périphérie. Suite à l’expulsion militaire du campement informel de migrants de Calais, qui réunissait près de 9000 personnes, s’y sont ajoutés, comme dans de nombreuses campagnes françaises, les très mal-nommés « Centres d’Accueil et d’Orientation » (CAO). Dans les communes qui se portèrent alors candidates à accueillir de tels centres et dans les communes avoisinantes, des collectifs, des initiatives plus individuelles ont fleuri pour organiser l’hospitalité et la solidarité avec ceux et celles qui arrivaient sur notre territoire sans l’avoir choisi. Des centaines d’habitants de la Montagne se sont ainsi coordonnés, parfois avec le soutien d’élus locaux, pour faire une place à ces nouveaux venus. Cours de français, activités diverses, repas conviviaux, transports ont été mis en place par des collectifs d’habitants solidaires. Puis, assez vite, avec l’inéluctable arrivée des premiers « déboutés » du droit d’asile, et leur sortie des dispositifs d’accompagnement légaux, habitat, subsistance, assistance juridique et morale se sont improvisés, de la même manière. Ce qui relevait des gestes les plus simples, les plus humains dans les premiers temps, s’est progressivement mué en une nécessaire organisation à la marge de la légalité. Légalité qui ne laisse que peu de place à l’expression d’une véritable solidarité avec les exilés, voire qui bien souvent la condamne, la poursuit.

Alors qu’une certaine mansuétude semblait caractériser l’application de la loi dans notre région dans la période récente, un certain nombre de personnes demandeuses d’asile et déboutées ont décidé de rester, de s’installer sur nos plateaux, dans nos communes pour le plus grand plaisir de la plupart des habitants, heureux d’accueillir et d’accompagner cette incontestable source de vitalité, de joie et d’ouverture culturelle. Nous leur avons, de multiples manières, fait place dans nos vies, ils et elles en font désormais partie intégrante. Il n’y a plus que des écarts d’ordre « légaux » entre eux, elles et nous.

Alors quand nous réalisons ces dernières semaines, qu’un tour de vis annoncé par le gouvernement depuis longtemps sur la « politique d’accueil » produit ses premiers effets visibles sur nos amis, nous ne pouvons réprimer plus longtemps notre colère. Nous les avons accueillis sans demander l’autorisation à personne, nous nous sommes organisés pour rendre leur vie ici possible même si nous ne sommes pas encore parvenus à lever toutes les difficultés causées par leur statut « légal ». Nous avons bien compris que l’opération catastrophique de maintien de l’ordre du 9 juillet 2018 à Felletin, en Creuse, valait comme un avertissement. Mais renvoyer, ou laisser renvoyer, les gens qui ont tout fait pour en partir, dans des pays où ne les attendent que persécutions, misère, torture et mort, n’est toujours pas, pour nous, un choix envisageable.

Nous, habitants et amis des diverses communes de la Montagne et de ses alentours, avons donc décidé de répondre aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF), aux ordres de « reconduite à la frontière », émis par les préfectures dont chacun de nos villages dépendent, de la même façon que nous avons répondu à cette situation jusque-là. Nous n’en tiendrons aucun compte. Mieux, nous serons de celles et ceux qui feront tout pour qu’ils ne soient pas suivis d’effet. Il n’y aura pas d’expulsion d’exilés sur la Montagne limousine, qu’on se le dise !

Nous appelons tout le monde, partout, à faire de même, à exercer ce « devoir de fraternité » dont de lointaines révolutions nous ont laissé l’héritage.

***

Depuis la commune de Faux-la-Montagne et depuis la Montagne limousine

NON A l’EXPULSION D’ABDEL, OUI A L’ACCUEIL

Une fois encore nous voilà obligés de nous mobiliser contre les décisions absurdes et inhumaines de la préfecture de la Creuse. Après le cas de Noordeen en juillet dernier, voici que la même histoire se répète avec Abdel, un jeune Soudanais qui vit à Faux-la-Montagne depuis presque un an. À même histoire, même réplique : nous disons non à l’expulsion d’Abdel comme nous avons dit non à celle de Noordeen et comme nous dirons non à toutes les expulsions qui auront lieu dans l’avenir.

Une fois encore c’est à nous, habitants de la Montagne, de la Creuse et de tous les autres lieux où la fraternité et la solidarité s’expriment vis-à-vis des exilés, de devoir défendre des valeurs bafouées par la politique migratoire du Gouvernement ; politique appliquée avec une particulière célérité par la préfecture de la Creuse. C’est à nous de nous mobiliser, de nous lever et de dire NON ! Non aux expulsions, à l’emprisonnement en centre de rétention (CRA), au jeu de ping-pong qui renvoie d’un pays à l’autre, comme de simples colis, des personnes qui ont fui dans la douleur leur pays d’origine.

Malgré l’engagement écrit de plus de cent habitants de la commune de Faux-la-Montagne qui se mobilisent pour son accueil ; malgré les gages d’insertion qu’Abdel a donnés en participant activement à la vie locale et en apprenant le français ; malgré sa nouvelle vie au sein d’une famille de trois enfants dans laquelle il a su trouver une place de grand frère ; malgré les demandes répétées adressées par des centaines d’habitants du Plateau Limousin, par la mairie de Faux-la-Montagne et par d’autres élus du territoire ; malgré une pétition signée par trois mille citoyens et un appel à s’opposer aux expulsions (tribune publiée sur Mediapart), la préfète de la Creuse, Mme Magali Debatte, s’entête à poursuivre une politique d’expulsion systématique des « Dublinés » alors qu’elle peut, au nom de la souveraineté de la France, traiter ces dossiers dans notre pays, comme elle a dû le faire il y a deux semaines pour Noordeen, et comme l’a récemment fait le Préfet de la Haute-Vienne pour un autre ressortissant soudanais.

Une fois encore nous demandons à la Préfète de la Creuse de respecter le principe de fraternité inscrit dans la constitution française et d’accepter que la demande d’asile d’Abdel soit traitée dans notre pays. Un asile qui lui sera certainement octroyé : au moment même où Abdel recevait sa convocation pour être expulsé, un de ses amis soudanais, lui aussi à Faux-la-Montagne depuis 10 mois, recevait une réponse positive à sa demande de statut de réfugié !

Abdel est convoqué le lundi 17 septembre à 14h à la gendarmerie de Guéret pour être emprisonné puis expulsé (« réadmis » dit pudiquement la froide administration) vers l’Italie.

Venez nombreux dire non à son expulsion

LUNDI MATIN 17 SEPTEMBRE 2018
à 10h sur la place Bonnyaud de Guéret.
Apportez de quoi manger pour un pique-nique solidaire.

Elus, habitants, signataires de la tribune « Il n’y aura plus d’expulsion sur la Montagne limousine », venez nombreux apporter votre soutien.

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