Il est urgent de prendre le temps

Une invitation à ouvrir un QG pour la révolution

paru dans lundimatin#375, le 21 mars 2023

En cette semaine que l’on imagine décisive, voici une proposition supplémentaire rédigés par quelques uns de nos lecteurs, pour s’extraire d’une certaine urgence : ouvrir des lieux, ralentir le temps, organiser la suite.

Ces dernières semaines, on a ressenti des hauts et des bas. Des manifs verrouillées, puis finalement pas tant. Des lieux occupés mais qui ne tiennent pas. La résignation, puis en fait la Concorde. Des manifs sauvages qui renversent et embrasent tout sur leur passage, mais qui doivent se disperser, disparaître.

Il ne suffit pas de se contenter de la spontanéité là où elle se montre. Si l’énergie n’est pas nourrie, elle s’éteint. Il ne s’agit pas de retenir son souffle à chaque appel dans l’espoir qu’il déborde, mais de s’assurer que ce débordement puisse se maintenir et se renforcer.

Oser revenir une deuxième fois à la Concorde, sans appel des orgas, et essayer d’enraciner là une nouvelle phase du conflit a été un geste fort. Mais en face, la stratégie s’affûte en temps réel. Qu’attendons-nous pour en faire de même ? Pour durer, ne pas se faire étouffer, à nous aussi de nous demander : quelle stratégie maintenant, quel geste, qu’est-ce qu’il manque ?

Il faut se poser la question du temps. Dire qu’il y a urgence, dire qu’il y a une bataille pour le temps, ce n’est pas faire de la poésie, ce n’est pas une image, ce n’est pas symbolique. C’est précis, c’est dur, c’est un combat, qu’on ne mènera pas sans violence. Parce que c’est précisément ce qui nous rendra plus dangereux encore : arriver à se trouver, à se parler, à vraiment décider de la suite. Et tout ça, il faudra l’arracher. Arracher du temps, arracher un lieu où ce temps pourrait se déployer.

Qu’y a-t-il de plus explosif, dans la situation présente, que de se retrouver dans un même lieu après une manif sauvage, raconter et s’échanger nos expériences, célébrer nos victoires, voir ce qu’il manque… Un lieu depuis lequel penser le coup d’après. Un lieu d’où l’on part, où l’on revient, où se préparent les blocages et les actions. Où il est possible de penser un lien stratégique entre les différentes propositions.

Il faut réussir à comprendre qu’aujourd’hui, rester dormir dans un lieu qui a vocation à être un point d’organisation pour tout le mouvement en cours, est un dépassement à la hauteur de ce qu’a pu être l’émergence d’un cortège de tête faisant fi des petits arrangements entre la pref et les syndicats.

Prendre au sérieux ce qui se passe et nous surprend aujourd’hui, c’est aussi saisir à bras-le-corps l’ouverture possible d’un bouleversement. Mettre un # devant le mot révolution n’est pas suffisant.

Il faut pouvoir reposer la question du travail de fond en comble (et voir que les fondations ne tiennent pas), la question de ce qu’est l’organisation (pour voir que le monopole de l’institution doit tomber), et celle de ce qui nous gouverne (pour comprendre qu’il ne s’agit pas juste de virer Macron).

Pourquoi les occupations ne tiennent pas ? Parce que personne, sauf la préfecture, ne croit qu’elles puissent être décisives.

Le fait que chaque tentative de prise d’un lieu soit à ce point réprimée est un indice du potentiel stratégique des espaces d’organisation qui durent : un espace qui ne renvoie pas chacun à son écran pour choisir le prochain rendez-vous / blocage / action. Un espace qui, de fait, brise les divisions entre telle ou telle identité sociale, entre telle ou telle corporation – travailleurs, étudiants, autonomes. Un espace qui permet d’avoir un point de départ commun qu’on peut choisir et qu’on doit décider de faire exister ensemble – un QG révolutionnaire.

Prendre acte de cette volonté commune est un rapport de force engagé aussi bien contre la répression des tentatives d’organisation, que contre le conservatisme des traditionnels gestionnaires des luttes, porteurs de drapeaux ou pas.

L’urgence est maintenant de pouvoir prendre le temps.

D’arrêter de laisser couler les choses.

Le temps ne doit pas être ce qui engloutit l’énergie. Il peut devenir ce qui permet de débloquer la situation.

Donnons un lieu à ce temps. Donnons un QG à la révolution. Soyons prêts à nous battre pour les deux.

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