Ils ferment les frontières...ouvrons nos gueules et nos portes !

Retour sur la situation dans les Hautes-Alpes, quand la police traque les migrants

paru dans lundimatin#126, le 11 décembre 2017

On sait que la traversée des frontières est de plus en plus difficile de nos jours pour qui n’est pas un riche touriste. Mais elle devient quasi impossible lorsqu’il s’agit de franchir des cols enneigés à -15 degrés sans connaître parfaitement son chemin. c’est pourtant ce que font tous les jours plusieurs dizaines de migrants entre Bardonecchia et Briançon, traqués par des gendarmes munis de lunettes thermiques et autres famas. Face à cette situation, des formes de résistance s’esquissent qui impliquent un certain courage ainsi qu’un rapport constant à l’illégalité. Nous publions ici le compte-rendu d’une discussion ayant eu lieu le 18 novembre dernier à Menglon, dans la Drôme (les témoignages son disponibles ici)

Les témoignages de cette brochure sont retranscrits tels quels.

Les copains et copines présent-e-s sont tout-e-s membres de collectifs actifs dans les Hautes-Alpes (05) et le haut diois (26), ainsi que des camarades qui viennent d’arriver. Ces collectifs se sont créés suite à la situation d’urgence, tant au niveau de l’accueil, que de l’accompagnement administratif, médical, vital, humain, de plusieurs dizaines, centaines de migrants qui traversent la frontière avec l’Italie par Briançon. Majoritairement des hommes venus d’Afrique de l’ouest. Beaucoup de mineurs dont certains de moins de quinze ans.

L’idée de cette retranscription est avant tout d’informer les habitant-e-s des départements directement concernés par la situation, qui pour beaucoup ne sont pas au courant de ce qui se passe à leur porte. C’est une stratégie claire et nette de l’État : invisibiliser, taire, étouffer la réalité et aujourd’hui, il n’est plus possible de se laisser faire.

Au moment où j’écris ces mots, une église à été occupée à Marseille, pour revendiquer la négligence de la prise en charge de plusieurs cinquantaines de mineurs (et bien plus en réalité) qui depuis de nombreuses semaines, nombreux mois, dorment dans la gare Une situation qui n’est pas nouvelle. Au moment où j’écris ces mots, sept salles d’une fac à Nantes ont été occupées pour loger également des mineurs sans prise en charge qui auront un toit au-dessus de leur tête au moins pour quelques nuits. Nous amenions encore des mineurs de moins de 15 ans à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) ce matin, sans savoir comment ils seront pris en charge, et avec un goût amer dans la bouche et les larmes dans les yeux de savoir pertinemment que l’État français traque, dans les mots, dans les souvenirs, des camarades qui ont déjà un lourd parcours derrière eux.

Cette situation n’est pas nouvelle, elle fait partie de la lourde réalité qui s’opère depuis maintenant plus de deux ans, à la Roya, à Vintimille, à Menton, à Nice, Marseille, et maintenant, dans les Hautes-Alpes. En réalité, depuis bien plus longtemps .…

Alors comme les flics obéissent sagement aux ordres en ramenant sans cesse, dans le froid, sans humanité, des camarades, comme l’État renouvelle encore son droit à militariser les frontières, comme nous vivons encore des scènes de délation de personnes qui feraient mieux d’éteindre leur télévision et d’ouvrir les yeux, il est urgent et vital de dire ce que nous pensons, et d’agir en reprenant nos droits, pas ceux qui nous sont dictés par des lois insensées, ceux qui nous sont dictés par notre cœur et notre bon sens.

Parce que personne ne laisserait dormir son gosse de moins de 15 ans dans la rue en hiver .... et même s’il était moins jeune, et même si c’était l’été, on ne joue pas avec la vie d’êtres humains. Point.

Bonne lecture !

Depuis plusieurs mois, la solidarité s’organise dans les hautes alpes, et jusque dans le haut diois pour prêter main forte à de nombreuses personnes qui tentent de passer la frontière, et qui pour certaines, arrivent dans nos départements. Après la sur-militarisation qui s’est opérée plus dans le sud, aux frontières de la Roya et de Vintimille notamment, qui deviennent maintenant infranchissables, la réalité continue d’exister et ne fait qu’être déplacée. L’État français met en place des stratégies offensives et inhumaines, sous couvert de lutte contre le terrorisme, alors que face à nous, nous trouvons des centaines de migrants en pantoufles, frigorifiés, affamés, fatigués après un long voyage périlleux dont certains ne ressortent pas vivants. S’ils arrivent ici, s’ils quittent leur pays et leur famille, s’ils se lancent dans ce voyage dont ils connaissent les dangers, c’est bien qu’ils ne peuvent pas faire autrement et que la moindre des choses est de leur donner une nouvelle chance.

Mais ce n’est apparemment pas ce que souhaite notre beau pays qui prône pourtant la liberté, l’égalité, la fraternité et tant d’autres choses. Depuis plusieurs années, l’État français pourchasse légalement des centaines de personnes, et continue de mettre en danger la vie de celles-ci, en prétextant la sécurité de la nation.

Sans en faire des caisses, ce que nous voyons ressemble à une déportation.

De Briançon à Saillans en passant par Veynes, Gap, Luc-en-diois ou Vercheny les réseaux se mobilisent pour prendre en charge la situation et pallier au désengagement de l’État. Des maisons sont ouvertes : la maison Cézanne à Gap, le CHUM (centre d’hébergement d’urgence pour mineurs) à Veynes, chez Marcel et la CRS à Briançon, bientôt un lieu d’accueil collectif à Vercheny. Des collectes régulières de vêtements et de nourriture s’organisent, une cantine qui nourrit jusqu’à 70 personnes chaque semaine devant la préfecture de Gap où les jeunes doivent pointer pour recevoir l’aumône de l’État. Également De nombreux accueils chez les habitant-e-s des différentes villes et villages qui permettent aux jeunes mineurs et aux majeurs de trouver refuge, un toit, une famille, du réconfort. Un accompagnement médical est également mis en place, qui peine à être assez complet pour traiter tous les traumatismes physiques et psychologiques qu’ont pu subir les camarades tout au long de leur voyage, ce jusqu’au périlleux col de l’Échelle qui mène à Briançon, haut de 1800mètres, couvert de neige actuellement et qui depuis quelques semaines, est devenu le terrain de jeux des gendarmes et des militaires qui sillonnent les routes armés de famas, de jumelles thermiques et de chiens.

Et une action non négligeable au milieu de toutes ces initiatives : informer, parler de ce qui se passe, faire témoigner les camarades. C’est à Menglon, où le 18 novembre dernier a eu lieu une soirée de soutien pour récolter de l’argent pour la lutte, que tous les témoignages qui vont suivre ont été enregistrés.

Bientôt, un info tour sera organisé dans la vallée du Rhône pour continuer à informer, à dire, à tisser du lien entre les réseaux, car si le gouvernement souhaite invisibiliser cette question des migrations, il est urgent de dire non, de ne pas plier face au racisme d’État qui ne fait que s’accentuer. Informons nous, racontons, agissons, dans les Hautes-Alpes et dans la Drôme, nous sommes directement concerné-e-s.

Le collectif du diois

« Il s’agissait de présenter le collectif qui s’est monté de façon spontanée au mois d’août parce qu’on avait des liens d’amitié avec des gens qui sont dans les Hautes-Alpes et qui nous ont parlé de la situation là-bas. Les premières actions qui qui ont eu lieu sont des collectes de nourriture et de vêtements pour amener là-bas et puis de monter une cantine une fois par semaine lors des pointages à la préfecture. Et de fil en aiguilles, des allers-retours se sont fait, des liens se sont crées aussi plus au-delà c’est-à-dire à Briançon, là où sont les points de passage, là où les gens traversent les alpes. Petit à petit, un réseau d’accueil se met en place. Ce collectif est informel et composé de personnes de différentes sensibilités, donc il est ouvert. On essaye de communiquer tant bien que mal sur ce qu’on fait. Notamment, il y a les rendez-vous à Luc-en-diois tous les mercredi après midi pour préparer la cantine qui se fait tous les jeudi.

L’adresse de contact est : migrant26@riseup.net

Il y avait le désir de passer la parole à des camarades qui ont envie de parler, qui sont plus dans le Gapençais et à Briançon et aussi des personnes qui sont arrivées récemment qui pourraient avoir envie de témoigner de ce qu’ils ont vécu notamment de la répression aux frontières et des conditions dans lesquelles les gens sont contraints de traverser ces frontières par des cols à 2000mètres où il fait moins 15 la nuit maintenant et qui sont militarisés notamment par des patrouilles de chasseurs alpins et des flics qui tournent à Briançon. Je passe la parole. »

Chez Marcel

Lydia : Alors du coup nous on arrive de Briançon, donc on est trois et on est arrivés avec des copains africains aussi pour cette soirée de soutien.

On est là aujourd’hui pour continuer de faire du lien parce qu’on se retrouve dans une situation dramatique. Pour faire un petit point : depuis le mois de juillet, il y a de plus en plus d’arrivées dans le briançonnais. Ils passent essentiellement par le col de l’Échelle et par Montgenèvre, qui sont des cols entre 1500 et 2000 mètres d’altitude. On a une militarisation des cols qui s’est vraiment accentuée depuis le mois d’août. On n’avait pas trop de gendarmes, là ils sont montés en renfort de Marseille et de Nice donc ils sont vraiment en mode cow-boys, ils patrouillent dans les montagnes, à pieds, en voiture, la nuit, le jour, H24. On a aussi les sentinelles qui ont débarquées, encore il y a deux soirs quand on était au col de l’Échelle et à Bardoneccia, ils étaient là.

Bardoneccia c’est l’endroit d’où ils partent en Italie, de la gare. Ils ont 35 km de marche jusqu’à Briançon, en étant pourchassés de A à Z, sachant qu’à Briançon, ils n’ont aucune pitié à les arrêter dans la ville, c’est la police nationale qui prend le relai, qui les arrête et les reconduit à la frontière immédiatement. C’est illégal, ils n’ont pas le droit. Parce qu’à partir du moment où il passent une frontière intérieure, ils ont le droit de poser l’asile dans le pays de leur choix. Donc à partir du moment où ils les attrapent après la frontière ils sont en toute illégalité.

On a des barrages qui sont réguliers. Ils s’amusent à s’arrêter la nuit aux points difficiles pour les migrants. Par exemple, on a deux tunnels qui sont hyper compliqués parce qu’il n’y a pas de dérive, il faut connaître le petit sentier au-dessus mais il y a de la neige, c’est compliqué. Du coup, ils se postent avant les tunnels et après les tunnels, ils éteignent les phares, et du coup, les migrants qui empruntent les routes se disent qu’il n’y a personne, et en fait c’est là que les gendarmes les chopent.

C’est leur fonctionnement. Et là il y a les sentinelles qui sont revenus, il y a deux soirs. On a d’ailleurs eu une grosse confrontation avec eux. Maintenant, ils sont avec les jumelles thermiques. Ils ont une méga jumelle très grosse, ils la mettent en pleine vue sur Bardonneccia, comme ça ils voient toutes les personnes qui sont en train de passer, de se lancer dans ce long périple de la marche de 35km. C’est une réelle chasse à l’homme qui se passe depuis quelques mois. Et en plus, maintenant, on a à faire à « la fraîcheur » comme ils disent. Il fait de -10 à -15 la nuit. Il y en a qui sont obligés de se cacher quand il y a des barrages, quand ils les repèrent, ils sont souvent mal habillés, mal chaussés, et donc transits de froid, ils ont souvent peu mangé, il n’ont pas non plus d’eau. On est une petite équipe à avoir commencé les maraudes à Bardonneccia. On leur donne des affaires, parce qu’ils n’ont rien. Il ne sont pas du tout au courant de ce qui les attend quand ils arrivent à la frontière. C’est une catastrophe. Il ne savent pas que c’est la montagne, qu’il y a de la neige, que la neige c’est froid. Il ne savent pas qu’il y a la police qui va les pourchasser de la frontière italienne jusqu’à Briançon.

On a du coup lancé une campagne de prévention et de sensibilisation avec le collectif « Marcel sans frontières ». On a ouvert un squat, « Chez Marcel », où on accueille des sans papiers, des futurs demandeurs d’asile. [1]

On a donc commencé les maraudes à Bardonneccia. On recherche des dons, des affaires chaudes, des chaussures, des couvertures de survie, pour essayer de palier un peu à tout ça. Sachant que c’est compliqué. On est aussi en train de se mettre en lien avec l’Italie. Nous, ça nous fait des kilomètres, et c’est très dur à vivre, d’aller à Bardonneccia, de les rencontrer, de leur donner des affaires et de les voir partir, c’est une image qui est assez dure à vivre. Et on est dans une belle merde.

On est effrayés quant à cet hiver qui arrive. On ne sait pas comment ils vont se mobiliser. On ne sait pas si il va y avoir les chasseurs alpins qui vont être en ski, ce qui est carrément possible. Il va peut être y avoir les motoneiges. On ne sait pas à quoi s’attendre. Les camarades arrivent transits de froid. Il y a trois jours de ça, un jeune est arrivé à la maison CRS (c’est l’accueil d’urgence à Briançon), une autre maison qui a ouverte, et donc, il y a trois jours, un jeune, un mineur, s’est fait prendre par la police sur le bord de la route. Il avait tellement froid, il n’arrivait plus à marcher. La police lui a demandé de se lever. Il a dit « je ne peux pas me lever, je demande les pompiers, je ne peux plus marcher ». Ils l’ont traîné, comme du bétail, sur des mètres et des mètres pour le lancer dans la voiture en lui hurlant dessus « lève toi, lève toi ! ». Voilà, donc on a à faire à tout ça et on est effrayés avec la neige qui arrive. C’est pas facile.

Phillipe : Ce que je vois depuis quelques mois à Briançon, et en passant aussi par Gap, et en rencontrant les différentes facettes de la situation, c’est qu’il y a une mise à l’écart, une invisibilité qui est opérée de toutes ces personnes qui veulent rentrer en France, qui veulent avoir le droit d’être protégés comme la France le prétend, puisqu’on est signataires de conventions pour le droit des réfugiés et la protection de l’enfance et que ça fait partie des fiertés d’un pays qui se dit démocratique au sein de l’UE.

En fait l’invisibilité est construite avec des pièges administratifs, des pièges policiers, avec une démesure totale des moyens de l’État, entre d’un côté, des dispositifs militaires qui coûtent des millions et des millions, parce qu’il faut payer des heures, des heures sup, du matériel, qu’il faut faire venir des gens d’ailleurs, pour faire la chasse à des jeunes, ou moins jeunes, d’ailleurs, mais en tous cas pour faire la chasse à des gens. Il y a des images ... des scènes de guerre ! C’est hallucinant ! Tu vas dans un village de 20 habitants dans les Hautes-Alpes à 20km de Briançon, et tu te retrouves à 2h30 du matin avec 6 gars qui portent des famas, avec 3 jeeps qui font le tour de tous les sentiers du col, avec deux équipes canines, etc, etc. Et en fait, dans la nuit, il y a peut-être 10 mineurs ou jeunes majeurs qui vont arriver à pied.... y’en a qui sont en pantoufles, y’en a qui sont en baskets, y’en a qui sont en sweet ! Il fait -5 degrés ! Et c’est ça l’État français.

Dans le même temps, les mineurs sont déminorisés dans le département des Hautes-Alpes, en 2017 à peut-être 80 ou 90 %. C’est-à-dire que pour tout un tas de prétextes bidons, on n’étudie par leur parcours de vie réel, mais on assemble quelques éléments de leur récit, on le reconstitue, puis on leur dit « non non, tu dis que t’as 15 ans, t’es majeur, tu dis que t’as 16 ans, t’es majeur ». Il y a une casse du droit des mineurs qui est opérée cette année par le département des Hautes-Alpes. C’est fou.

Et dans le même temps, il y a tout ce processus de Dublin, qui renvoie toutes les personnes qui veulent demander l’asile et qui malheureusement n’ont pas eu le choix, se sont fait prendre leurs empreintes à la sortie du bateau une première fois, souvent de manière forcée ou une deuxième fois dans les camps de transit en Italie. Ils se retrouvent donc à ne pas pouvoir faire leur demande d’asile en France. Ils sont renvoyés vers l’Italie. Voici donc aussi une casse du droit d’asile par les autorités françaises dans le cadre de la réglementation Dublin.

Il y a aussi une invisibilité, avec des parcours administratifs qui enferment les personnes dans des centres, loin des yeux, loin du cœur. Les mineurs, c’est dans des centres qui sont à 20 bornes de tout avec petit à petit un tarif des prises en charge qui est de plus en plus bas, parce qu’il y a une mauvaise volonté financière de la part des autorités. Et pour les copains demandeurs d’asile qui sont en procédure Dublin, ça arrive avant même la demande d’asile, ils commencent à mettre en place des trucs complètement pervers où ils ne vont même plus pouvoir faire leur demande d’asile en France. Là je pense à deux copains, un qui vivait à la maison, et l’autre qui vivait à Briançon depuis 6 mois, ils ont eu une notification à aller en PRADHA, soit ils y vont, soit ils n’y vont pas. S’ils n’y vont pas, ils perdent l’allocation qu’ils ont en tant que demandeurs d’asile, et ils perdent le droit à un examen futur de leur demande. Par contre, si ils y vont, ils se retrouvent à partir à Vitrolles, à Gémenos ou dans l’un des 50 hôtels qui a été ouvert par Adoma (qui a gagné l’appel d’offre), et qui est en fait une prison avec des assignations à résidence, avec une plaque chauffante pour 50 personnes, avec une personne qui fait le ménage, une personne qui est vigile et basta. Globalement c’est le service d’accueil des demandeurs d’asile. Ça s’appelle donc « Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile », c’est la dernière nouveauté de l’institution française.

Il y a vraiment besoin de rendre visibles les situations, de donner la parole, donc je vais laisser la parole.

Boubakar : Salut tout le monde, je me nomme camarade Boubakar. Je suis venu de Bardonneccia depuis 2 semaines et 6 jours je pense. Je suis venu avec Dantouma qui est assis tout près. Nous avons quitté Turin il y a de cela deux semaines et 6 jours et plus. On ne savait pas ce qui nous attendait à Bardonneccia.

Donc nous sommes venus à Bardonneccia et nous avons pris la route pour venir à Briançon à 20h. On était au nombre de trois, deux Guinéens de la Guinée Conakry, et un Ivoirien. Nous sommes allés jusqu’au niveau de la déviation dans la montagne. Il y avait la montagne devant nous, on ne connaissait pas la route, et on s’est perdus. Donc on a suivi la route qui allait directement vers la vallée à droite, et on a fait 7h de marche, donc on était fatigués, on ne savait pas si il y avait encore une route. Et on a décidés de se retourner, là, on avait très froid, il y avait même des glaces de neige qui étaient sur la montagne.

Donc on s’est retournés jusqu’au rond point qui mène vers Briançon. Arrivés là-bas, on a trouvé une dame qui était dans la voiture.

Quand elle nous a vus, elle est sortie de la voiture, elle nous a dit « ah, salut ». On lui a répondu. « Vous devez avoir très froid ». On a dit « vraiment on a trop froid ». Elle nous a fait monter dans sa voiture. Elle nous a donné des pulls, elle a fait un bon café chaud pour nous. Nous sommes restés là-bas. Elle nous a demandé « où est ce que vous allez ? ». On a dit « on veut aller en France ». Elle a dit « D’accord, je vais tenter de vous envoyer en France. Mais, je sais que la police va vous attraper ». On a dit « Ah bon ? ». Elle a dit « oui, je sais que la police va vous attraper. Mais je faire de mon mieux pour ne pas que la gendarmerie vous attrape ». On a dit « d’accord ». Elle a dit qu’elle va laisser la porte de derrière de sa voiture ouverte, comme ça, on va jusqu’au niveau des barrages et quand elle parle avec la police, si on se fait contrôler, on pourra sortir en courant. On a dit « d’accord ».

Donc nous sommes montés dans la voiture. On a dépassé les deux tunnels. Et avant le deuxième tunnel, elle s’est stoppée auprès des montagnes, elle s’est collée au bord de la route, à gauche. Tout à coup, on l’a entendu parler avec la police. Elle disait « j’ai des migrants dans ma voiture ». Donc j’ai dit à mon frère « on s’est fait piéger, encore », il m’a dit « oui, je vois ». On a tenté d’ouvrir la porte de derrière de la voiture, c’était condamné. J’ai dit « ah, oui, c’était vraiment un piège... ». La police nous a pris. C’était vers 2h, 3h du matin. Il faisait encore trop froid, nous sommes sortis, ils nous ont demandé nos noms, on a donné nos noms, ils nous ont demandé tout tout, ils nous ont enregistrés afin de nous déposer encore en Italie.

On a perdu beaucoup de temps là-bas.

Après, la police nous a directement renvoyés en Italie. Arrivés encore en Italie, il était presque 4h, 5h. Quand la voiture s’est arrêtée au niveau de la frontière, la voiture s’est retournée, il ne faisait pas jour, mais on commençait à voir un peu clair, la nature. On a encore suivi la voiture. Quand il y avait une certaine distance entre nous, on a fait semblant qu’on allait se retourner, mais quand la voiture a laissée une grande distance entre nous, on a suivi la route, on a encore grimpé la montagne, trop fatigués. L’ivoirien disait même « il faut se reposer ! ». Nous lui disions « mon ami, il faut faire tout avant que le jour se lève, au moins dépasser les deux tunnels ». Il a dit « d’accord » .

Avec Dantouma, bien sûr, on est montés au niveau du deuxième tunnel. On a croisé avec la police. Ils se sont arrêtés, ils se sont dirigés vers nous en nous disant « eh, arrêtez vous ! On ne va pas vous faire du mal ! ».

Ce n’était pas la peine encore de se retourner. Qu’est ce qui fait plus mal à une personne que de la faire retourner encore sur ses pas ?! On a grimpé la montagne, on a pris la fuite. Heureusement, ils ne se sont pas dirigés vers nous. Ils se sont mis en bas pendant 5 à 10 minutes, après ils ont démarré la voiture, ils faisaient des va-et-vient, des va-et-vient. On est restés là-bas calés pendant 30 minutes. Et après, on a commencé à marcher sur les montagnes, c’était très dur, mais on s’est efforcés. On a marché de 6h à 20h pour arriver à Briançon. On a demandé à des gens où aller, ils nous ont dirigés vers la CRS, une association aussi qui soutient les migrants, donc nous sommes allés là-bas, et le lendemain nous sommes allés chez Marcel.

C’est comme ça que ça s’est passé.

Dantouma : Bonsoir, moi c’est Dantouma, je viens de la Guinée Conakry. Comme l’a si bien expliqué mon frère, quand on a bougé de Bardonneccia, on s’est un peu perdus, on ne trouvait pas le chemin, on cherchait le bon. C’est à ce moment qu’on a vu cette vieille femme, dans une fourgonnette blanche vers les 3h du matin. Elle nous a dit de venir, et à demander où nous allions. On a dit, bien sûr, en France. On avait froid. Elle nous a dit de monter dans la voiture. Elle nous a donné du café et à manger, des pulls. Elle dit qu’elle va tenter de nous faire traverser. Qu’elle va laisser la porte de la voiture ouverte, en cas de police, on peut sauter. On a dit Ok.

Quand elle s’arrête et qu’elle dit « j’ai des migrants dans ma voiture ». La police vient, ils nous font descendre. Nous fouillent. Ils me demandent mon téléphone. Je dis « Pourquoi mon téléphone ?? Vous allez faire quoi avec ? Avant de donner, il faut que je sache ce que vous allez faire avec ! ». Je leur dis non. La femme, elle nous suit ! Le garde nous dit « vous l’avez connue où ? ». Je lui dit « on ne la connaît pas ! C’est votre collègue. Vous l’avez mis ici pour nous piéger. Elle nous a piégés, nous ne sommes pas des bêtes, nous avons vu comment ça s’est passé, elle vous a appelés devant nous ! ». Ils disent « non non non ». Et moi : « vous la connaissez, vous êtes ensemble. Donc pas de questions, on ne répond pas ». Ils disent OK. Et nous demandent « mais pourquoi vous ne restez pas en Italie ? ».

Bon, moi j’ai dis « déjà, nous sommes des guinéens, on vient de la Guinée, un pays francophone, donc le français, on le parle. En Italie, leur langue, on ne la comprend pas. De Un. Et de deux, nous sommes maltraités là-bas, ils ne tiennent pas compte de nous. De trois, dans les campos là-bas, on essaye d’apprendre la langue, on a du mal à comprendre. Ceux qui enseignent la langue française, on ne les comprend pas, et ceux qui enseignent la langue italienne ne comprennent pas le français. Ils parlent en italien sans interpréter, on ne peut rien comprendre. On n’a donc pas le courage de rester là-bas. Nous sommes dans les campos, nous ne sommes pas en contact avec la population. Donc on ne peut pas comprendre la langue. On s’est donc dit : « pourquoi ne pas aller en France, là au moins on comprend la langue ? »

Et ils nous demandent aussi pourquoi on ne reste pas au pays là-bas ? Ou pourquoi on ne demande pas un visa d’étude ? Parce qu’on ne donne pas.

Moi depuis 2004, j’ai essayé, je ne l’ai pas eu. On ne donne qu’aux enfants des plus riches. Les pauvres n’en bénéficient pas.

Le problème aussi est que nous sommes des migrants, tous différents et chacun son chemin. Mais la base est due au désordre en Afrique.

Donc si chez toi, ça ne va pas, tu auras l’idée d’aller quelque part où tu peux au moins te préparer et peut être un jour revenir chez toi et servir ta nation. Par exemple, beaucoup sont au pays, ils veulent étudier, mais les parents n’ont pas les moyens nécessaires pour les soutenir. Donc, beaucoup viennent ici. C’est pas seulement le problème financier. Mais il faut apprendre quelque chose, avoir une formation, et retourner ensuite au pays servir ta nation.

Mais le problème est que les militaires, la police, les gendarmes maltraitent les gens. Si on quitte Bardonneccia pour venir en France, qu’on nous fait retourner en Italie, on repart au campo, personne ne s’occupe de nous, on nous laisse rester dans la fraîcheur et dans la misère.

On voit aujourd’hui des gens qui luttent pour les droits de l’homme. Ça nous fait plaisir, on vous remercie. La route est longue, le chemin est très épineux, mais ensemble on peut y arriver. On se donne la main, l’union fait la force. On ne peut pas gagner tout de suite. Avec le temps, ça va aller.

Le CHUM [2] – Centre d’Hébergement d’Urgence pour Mineurs

Camille  : Bonsoir, nous on vient plus de Veynes. On est au CHUM (Centre d’Hébergement d’Urgence pour Mineurs), c’est un endroit qu’on a ouvert en septembre, parce que tout l’été il y a eu beaucoup beaucoup de personnes qui sont arrivées et qu’au bout d’un moment dans les familles ça devenait surchargé. On a accueilli chez nous et au bout d’un moment on s’est aperçu de l’ampleur des besoins et voilà.

Depuis 3 mois, on suit des mineurs qui veulent se faire prendre en charge par l’aide sociale à l’enfant, l’ASE. Et on s’aperçoit qu’on vit dans un pays gestapo. En fait, tout va bien quand il n’y a pas de problème. On arrive à s’adapter à cette espèce de dictature dans laquelle on est, qui n’ est pas sanglante trop fort, ou qui est bien cachée. Et c’est dans ces moments de crise que moi je prends vraiment conscience que les administrations font vraiment un job d’évincement complet et d’invisibilité de ce qui se passe, si bien que des fois, à 50km, les gens ne savent pas ce qui est en train de se passer aux frontières.

Comme il a été dit, les jeunes et les moins jeunes sont quand même dans des états de fatigue extrême.

Il n’y a aucune prise en charge médicale, on n’est que des bénévoles, des médecins bénévoles, des infirmières bénévoles, on n’est pas soutenus. Le dentiste qui nous suit, il n’est même pas payé par l’hôpital de Gap alors que je passe mon temps à faire les démarches administratives nécessaires pour avoir l’aide médicale de l’État.

Tous les jours tous les jours, on croit qu’on va avoir la petite info qui va faire avancer le schmilblick, et en fait, ben non, même ça ils le payent pas. Ils doivent payer les praticiens. C’est comme ceux qui ont la CMU, ils doivent payer les praticiens qui font des actes pour les gens qui n’ont pas les moyens.

En ce moment aussi, ils déminorisent. Parce que la personne, le jeune, ne se souvient plus si il a passé un mois ou plus à l’arrière d’un camion, qu’il n’a pas pu voir le nom des bleds pars lesquels il est passé.

Nous on a vu sur des rapports d’évaluation, ils ne notent pas « il est peut être mineur » mais « on suspecte sa majorité ».

On n’est pas dans l’aide, mais dans comment ils vont faire leur quota. Tu as dit 80 à 90% de déminorisation, je dirai plus 98% avec les retours des jeunes qu’on accompagne. J’ai aussi très peur pour l’hiver. Au niveau médical on a vraiment besoin d’aide. Voilà le message que j’avais envie de passer.

Nicolas  : Donc aussi actuellement le conseil départemental qui a ouvert un centre d’accueil pour mineurs, parce que justement il y a tous les jeudis le repas qui est fait sur Gap, qui est aussi un moyen de pression. Pour répondre à ça, ils ont pris tous les jeunes à charge, ils les ont mis dans un centre, avec 2/3 éducateurs et une directrice pour 80. Les jeunes se sentent très mal là-bas. Du coup nous, on ne peut plus justifier notre action comme moyen de pression, comme ils sont pris en charge.

Mais à côté de ça, ils sont déminorisés de 80 à 90%.

Justement, sur les évaluations, il se basent aussi sur la météo. Par exemple, sur un rapport d’évaluation, on a vu « il dit qu’au Mali, il faisait très chaud quand il est parti, mais bon, au mois d’avril non, c’est pas vrai, je ne pense pas qu’il fasse très chaud à cette période ». Pareil à Paris, au mois de mai, le jeune avait froid. On a vérifié la météo, et c’était vrai que ce jour là, il faisait 8 degrés. Donc pour quelqu’un qui est en short, tatane, tee-shirt à Paris, c’est vrai qu’il fait froid !

Et ça, ce sont des motifs de déminorisation. Voilà ce qui se passe. Et ce n’est pas fini. Une fois qu’ils sont déminorisés, donc par des gens du conseil départemental, donc juste des gens qui sont au service de l’État mais qui n’ont pas de compétence particulière pour faire ça, il y a des recours, on saisit le tribunal. Et dans les Hautes-Alpes, la juge à l’enfance est atroce. Elle s’en fout donc pareil les jeunes elle ne les minorise pas.

On se retrouve avec des jeunes entre 15 et 18 ans dehors, sans solution, parce que ni la juge ni personne ne veut les prendre en charge.

Ensuite, les OPP. Ce sont les jeunes qui ont été déclarés mineurs par l’État, qui sont renvoyés à Marseille parce qu’on leur dit « à Marseille, on va s’occuper de vous blabla ».

Ils arrivent à Marseille et on leur dit qu’il n’y a pas de place, effectivement, il y a 80 mineurs qui dorment à la gare. Du coup, ils reviennent dans les Hautes-Alpes, parce que nous, on ne va pas les laisser dormir dehors. Même quand on fait un « référé liberté », donc qu’on saisit la justice pour montrer que ces jeunes n’ont pas à être dehors car l’État les a déclarés comme mineurs et qu’en France, aucun mineur ne doit être à la rue, même quand le juge approuve et dit que le conseil départemental doit prendre ces jeunes en charge, rien n’est fait. Et on est largué-e-s.

Ils sont chez nous, on les accueille et on attend, on attend que ça se débloque. C’est un peu la merde. [3]

Dantouma : Je voulais parler de Dublin.

Quand on a quitter Bardonneccia pour venir en France, nous avons été accueillis par la CRS avant d’aller chez Marcel, avec les copains.

Là-bas, on se sent entre de bonnes mains.

Mais un problème nous casse la tête : c’est l’acccord de Dublin. Rester en Italie, demander l’asile là-bas, c’est vraiment compliqué pour nous les gens de l’Afrique francophone.

De un, les gens qui traduisent, les interprètes, ils ne comprennent pas bien la langue italienne. Il ne maîtrisent pas la langue française non plus. Donc ce que tu leur dit de dire au juge, ils vont dire autre chose. Et toi, tu n’es pas au courant, tu ne comprends rien.

Du coup, un an après, on te dit « tu n’as le droit à rien, tu n’as pas le droit à l’asile ». Ça fait mal.

On n’a pas le temps, le temps coûte cher. Une année passée dans le vide, ça fait mal.

En France, quand on fait la commission, on peut au moins se comprendre. Même si il y a un interprète, tu peux quand même capter un peu. Là, tu te sens quand même un peu à l’aise, tu peux dire ce que tu veux. Là-bas, en Italie, c’est le contraire. Ceux qui interprètent ne sont pas à la hauteur.

En France, on peut au moins un peu se défendre nous même.

Lassini : Bonsoir tout le monde, je vous remercie d’être là. Je suis vraiment heureux de voir tout ce monde, c’est une fierté. Je suis ivoirien, on me nomme Lassini. Mes frères guinéens qui ont parlé disent vraiment la vérité. Je les ai écoutés et je n’y croyais pas, c’est une histoire réelle, la montagne, tu n’arrives pas à tes peines.

Parce que moi aussi j’étais avec des amis, je n’’arrivais pas vraiment. Nous on n’a pas pris la route. On a pris une autre route. Moi, j’étais sur le goudron, j’ai regardé en haut, il ne faisait pas froid, et j’ai vu une petite route. J’ai dit à mes collègues « et si on prend ce chemin ? ». Ils m’ont dit « mais tu es malade dans ta tête, tu vois cette montagne ? » Je leur disais « on y va, on y va ».

Du coup, je les force à prendre la route, et là c’est une mauvaise route. C’est un piège, on s’est mis dans la merde. Je leur disais quand même « on va y arriver, on va y arriver » On commence à marcher, marcher. Et je me disais « Mais la France, c’est pas tout près ». J’ai dit à mon ami « mais tu nous a menti, la France c’est pas tout près ! ». On marche on marche on marche et on arrive jamais. A un moment, j’ai envie de faire demi tour et il me dit « regarde cette montagne, derrière toi ». J’ai regardé, je n’arrivais pas à croire que moi j’ai pu réussir à arriver jusqu’en haut. J’ai dit « revenir en arrière, je ne peux pas ».

On continue, on continue, on continue longtemps, on a tellement marché, je me disais « on ne va jamais voir la France ». Et je vois un collègue derrière moi, je lui dis « on est toujours en Italie ». Non, ce n’est pas possible, dieu va nous sauver. Et on marche, il fait noir, je crois qu’il était très tard, on se perd de vue je me retrouve tout seul. Je commence à pleurer, pleurer. Je criais partout. Je disais « je veux que quelqu’un me sauve ! ». Je ne voyais plus mes amis. J’étais vraiment fatigué, je me suis arrêté et c’est pour ça qu’on s’est perdu de vue. Et j’ai crié. J’ai marché, marché, je vois encore la montagne et je suis tombé.

J’ai perdu la tête un peu pendant au moins 20 minutes, je n’arrivais pas à me retrouver. J’avais mal au bras, j’ai pris mon tee-shirt pour attacher mon bras. J’ai continué à marcher. Je crois qu’il était 4 ou 5h. J’ai vu la lumière d’une ville. Dans ma tête, j’étais toujours en Italie. Je vois un véhicule, je vois écrit dessus « police municipale », et je me dis « ça c’est la France ! ». Je vois des gens dans un véhicule qui chargent du pain et qui me disent « bonjour, ça va, je peux vous aider », je n’arrivais pas à parler, j’ai juste fait un geste pour dire « je veux boire de l’eau ».

Et là, il y avait la police à côté, il y avait une dame, c’était la police municipale, elle m’a vu. Quand elle m’a vu, ça a touché un peu son cœur. Elle m’a regardé, j’avais froid, elle m’a donné un peu d’eau, j’ai bu, et elle a senti que je n’y arrivais pas. Elle m’a dit « montre-moi ta main ». Je n’arrivais plus à la bouger. Elle a dit « on appelle l’ambulance ».

J’ai fait 5 jours à l’hôpital de Briançon. Ils se sont occupés de moi. La femme policière et une femme qui était bénévole, elles venaient me voir, chaque jour, pendant les cinq jours. Elle me disait « courage ». Une femme bénévole me disait qu’elle allait m’aider pour m’envoyer chez d’autres bénévoles à Briançon.

Ensuite, j’arrive là-bas (à la C.R.S.), je vois mes frères migrants. Ils me disent « bonne arrivée ». Je leur explique que j’ai fait cinq jours à l’hôpital, ils étaient étonnés. Surtout étonnés que ce soit la police qui ai appelé l’ambulance. Du coup je me suis dis que j’avais de la chance. Normalement, c’est la police qui renvoie en Italie, mais moi, c’est la police qui a appelé l’ambulance pour m’envoyer à l’hôpital. C’est étonnant ! C’est étonnant pour d’autres. Même à l’hôpital, l’infirmière me disait que c’est étonnant que ce soit la police qui m’ait aidé.

À Bardonneccia, les gens dorment dehors parce qu’on les a fait retourner plusieurs fois. Ils sont découragés. C’est pas facile. Moi je n’ai pas vu les tunnels. J’ai pris une sale route. La route qu’on a pris, on a marché des heures. On arrive ici quand même.

À Gap, c’est très compliqué aussi. On nous dit qu’on n’est pas mineurs. Juste parce que tu dis par où tu es passé, on te dit que tu n’es pas passé par là. Il faut voir pour croire.

On nous a maltraité en Lybie. On te demande tout ça. À Gap, au conseil départemental, on te demande comment sont tes parents tout ça. Moi j’avais le papier qui prouvait que j’étais mineur, j’ai tout montré. Et ils me posaient encore des questions « tes parents ils vivaient comment au pays ? Tes parents ils mangeaient comment ? Ta grand mère elle mangeait comment ? ». Je suis orphelin de père et mère. J’ai perdu mon père durant la guerre en Côte d’Ivoire et 2011 et j’ai perdu ma mère étant tout petit, à l’âge de 7 ans. J’ai perdu ma mère hélas. C’est ma grand mère qui m’a élevé. J’ai pas de parent. J’avais personne à côté de moi et aujourd’hui j’arrive ici, je suis dans une famille d’accueil, ici, dans la région.

Mes parents ici, ils me disent leurs noms, mais j’arrive pas à les appeler par leur nom, je les appelle maman et papa. Ils sont là, et quand je les vois je suis heureux parce que je n’ai pas bien connu mes parents. À 17 ans, je n’ai que ma grand mère, je lui ai dit que j’ai croisé une mère et un père. Ce sont mes vrais parents, je n’ai personne qui m’a éduqué comme ça avant. Ce sont des bénévoles. Je suis vraiment heureux aussi qu’il y ai tout ce monde ici.

Chacun de nous, on a une histoire réelle. Moi, j’arrive pas à expliquer mon histoire. Je n’avais jamais pensé arriver ici, en Europe. La personne qui m’a fait venir ici, là où il est, je sais qu’il est fier de moi. C’est un cousin à moi, dommage, lui il n’a pas pu survivre en Lybie. Parce que notre bateau à commencé à couler, on était très loin du gros bateau. Grâce au radar, il nous a repérés, il nous a pris. Nous on était les premiers à être sauvés. On s’est dit qu’ils arriveraient à sauver les autres, mais c’était déjà trop tard. On était 150, mais on s’est retrouvés dans le gros bateau à 80. Donc le reste … ils n’ont retrouvé je crois que 35 corps, mais le reste, ils n’ont pas pu les sauver.

Donc mon cousin, il sait où il est, il est heureux.

J’étais découragé de la vie. Je suis rentré en Europe, j’ai pas fêté ma joie. C’est grâce à lui que je suis arrivé en Europe. Lui, il ne vit plus. J’étais vraiment découragé. Je me suis dit « c’est la mort qui s’approche de moi ». Je me suis dit « j’ai pas ma mère, j’ai pas mon père, j’ai pas mon cousin », il n’y a personne.

Mais j’arrive ici, je vois les bénévoles qui nous aident, qui écoutent notre histoire. Je n’arrive pas toujours à expliquer. J’ai vécu une histoire terrible en Lybie. Mais grâce à mon père, ma mère ici, j’arrive un peu à expliquer. Mais souvent, la nuit, j’arrive pas à dormir. Je n’aime pas trop expliquer mon histoire. Je sais que chacun de nous, avec mes frères, on a eu une histoire terrible. Je suis vraiment découragé du monde. Merci à tout le monde, je n’y crois pas, quand j’entends tous les bénévoles qui disent « on va se battre pour vous aider » je n’y crois pas. Ça me touche au cœur. Je sais qu’il y a mon père et ma mère là, ils m’écoutent, et je suis fier. C’est étonnant. Ils ont 5 enfants déjà, et ils prennent le temps, ils me donnent des conseils ils écoutent mon histoire et je les aime et je sais qu’il sont fiers de me voir raconter, parler ici devant vous. C’est étonnant.

Au pays, c’est dur. Mon cousin m’a dit « viens, tu vas avoir une nouvelle vie ». On a une histoire terrible. Ici je me dis que je vais me battre pour avoir une vie meilleure et aller retrouver ma grand-mère au pays.

[1Le collectif « Marcel sans Frontières » existe depuis l’été 2017. Suite à l’ouverture par la mairie de Briançon de la maison C.R.S., une ancienne caserne de sauveteurs en montagne, rebaptisée « Collectif Solidarité Réfugiés », en plein centre de Briançon, plusieurs personnes ont constaté l’importance d’ouvrir un espace dans lequel les migrants pourraient prendre plus de temps pour se reposer, réfléchir à la situation, et souvent, se remettre de leur long voyage. La maison C.R.S. propose encore aujourd’hui un accueil d’urgence important, ce n’est d’ailleurs plus la mairie qui s’occupe du lieu, mais une association qui s’est créée pour l’occasion. Chez Marcel est une maison, un espace convivial, familial, dans lequel cohabitent avec joie des copain-e-s avec papiers, et des copain-e-s sans papiers. À ce jour, une quinzaine de demandes d’asile ont été déposées, à Grenoble notamment. Cette maison fonctionne en autogestion. Chacun-e la fait vivre, chacun-e met la main à la patte pour les travaux, l’entretien, faire à manger, se tenir les coudes. Un aménagement conséquent y a été fait à l’ouverture : isolation, installation de panneaux solaires, poulailler, aménagements des espaces communs. Et c’est dans l’amitié que chaque journée se passe, avec peu d’espace, tout le monde qui se marche un peu dessus, un dortoir collectif et une zone de gratuité, tout cela à 5 minutes à pieds du centre ville de Briançon. Les membres de Chez Marcel font aussi beaucoup de prévention, notamment en allant apporter pulls, nourriture, soutien aux camarades qui vont passer la frontière depuis l’Italie, leur expliquant les routes, les dangers, les barrages de flics.

[2Le CHUM est ouvert depuis le mois de septembre 2017. Une équipe d’habitant-e-s qui hébergeaient chez eux-elles des migrants, s’est retrouvée dépassée par le nombre d’arrivées de mineurs dans la région. En réaction, et pour palier aux manquements de l’État qui doit normalement prendre en charge ces jeunes, ils ont décidé d’occuper une maison à Veynes, dans les Hautes-Alpes. Le CHUM accueille entre 5 et 15 mineurs par semaine. Les membres du collectifs font un énorme travail d’accompagnement. Juridique d’un côté, en s’occupant d’orienter les jeunes dans leur demande de prise en charge, qui est complexe et désespérante dans les Hautes-Alpes (ce qui est le cas également dans d’autres départements). Médicale d’un autre côté, en tentant de fournir une prise en charge physique autant que morale à des jeunes aux parcours complexes, qui ont souvent besoin de temps, d’attention, et de soins divers.

[3La prise en charge des mineurs est très compliquée. Jusqu’à un certain moment, les tests étaient majoritairement osseux, ce qui laisse une marge d’erreur de une année à deux. Ce qui est énorme pour définir un âge ! Les exemples dont les copain-es parlent, sont des récits demandés aux jeunes, à partir du moment où ils partent de chez eux jusqu’au moment où ils arrivent devant l’ASE. Récits qui sont souvent contestés. Et comment faire un récit clair quand on a passé plusieurs mois dans une prison, quand on a traversé des frontières au cul d’un camion, sans voir réellement par quelle route on passe, et pendant combien de temps le véhicule roule ?! La déminorisation est constante, et il est difficile aujourd’hui de savoir vers quel département il sera plus simple de se tourner et comment les représentant-e-s de l’administration réagiront en fonction. Dans la Drôme, nous sommes logés à la même enseigne.

Dans les Hautes-Alpes et dans la Drôme, il existe d’autres mouvements de solidarité avec les migrants. Nous ne les avons pas tous cités ici, et chacun est important. Chaque prise d’initiative est importante.

Héberger un sans papier chez soi est légal. Ramener quelqu’un-e de l’autre côté de la frontière lorsqu’on le-la trouve sur le territoire français est illégal. Soutenir un mineur en détresse n’est pas reconnu par la loi française, mais le laisser dormir dehors, le renvoyer dans la rue lorsqu’il se présente est reconnu comme légal. Marcher la nuit dans un col enneigé pour aider des camarades engendre la suspicion et la répression, sillonner la montagne en jeep avec des fusils d’assaut est financé par l’État …

À partir de là, nous sommes tou-te-s responsables de nos actes. Flics, voisin-e-s, représentant-e-s de l’État, homme, femme, mineur ou majeur, avec ou sans papiers, nous sommes tou-te-s responsables de nos actes.

Diffusez, photocopiez, racontez, agissez. De près ou de loin, nous avons toutes et tous une histoire à raconter.

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