Hong Kong, entretien avec un « frontliner »

« Ils ne devraient pas aller au devant des manifs et se prendre des balles. C’est la raison pour laquelle moi j’y vais »

paru dans lundimatin#210, le 3 octobre 2019

Aimantés par l’actualité politique et insurrectionnelle hongkongaise, quelques amis sont partis pour voir ce qu’il se tramait là-bas en-deçà des récits médiatiques et des quelques analyses politiques qu’on peut lire à propos du soulèvement qui dure depuis le début du mois de juin. En ce jour de fête nationale chinoise, ils voulaient participer à gâcher la fête par cette contribution comme ont tenté de le faire des milliers de hongkongais pour continuer à défier l’autorité de Pékin. Nous publierons ici dans le mois à venir quelques récits et analyses tirés de leur voyage. Voici, pour commencer, l’interview d’un manifestant qui se dit lui-même « frontliner » (ie combattant en première ligne) ; il a 28 ans, se situe toujours au devant des manifestations et prend part aux actions d’attaque et de défense. J, 34 ans, présent lors de l’interview, apporte quelques remarques supplémentaires.

Introduction

Aujourd’hui et comme tous les 1er octobre depuis 70 ans a lieu la fête nationale chinoise, qui célèbre l’anniversaire de la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao en 1949. Ce jour marque aussi le début d’une « semaine d’or », c’est-à-dire une des deux semaines de vacances nationales. Des feux d’artifices et des concerts sont organisés dans tout le pays mais c’est surtout la cérémonie de levée du drapeau, sur la place Tienanmen, qui retient l’attention générale : des centaines de milliers de personnes y assistent et des parades militaires importantes (tous les 5 ans) et titanesques (tous les 10 ans) ont lieu. Cette année, en plus du défilé habituel (déjà délirant), il est prévu que la parade soit la plus grande jamais organisée dans l’histoire chinoise, l’occasion pour Xi Jinping de faire une démonstration de force au monde entier mais aussi à tous les Chinois à l’heure où le soulèvement hongkongais s’éternise.

À Hong Kong, tout le monde sait bien que la journée ne sera pas festive. Le feu d’artifice rituel a été annulé il y a quelques semaines et les manifestants contre le projet de loi sur l’extradition ont annoncé depuis bien longtemps qu’ils ne laisseraient pas la cérémonie se dérouler dans le calme. Tout au long du mois dernier, le gouvernement de Carrie Lam a tenté de « calmer le jeu » : d’abord en annonçant, le 4 septembre, le retrait définitif du projet de loi ; ensuite Carrie Lam en personne a participé à une discussion publique avec 150 personnes le 26 septembre dernier ; enfin, parce que tout cela n’a eu presque aucun impact sur le mouvement, il a bien fallu continuer de réprimer par la force toutes les manifestations qui eurent lieu pendant le mois, en mettant le paquet ce week-end (une centaine d’arrestations dimanche, notamment lors d’un coup de filet géant par des flics cachés qui ont surgi par surprise pour attraper tous ceux qu’ils pouvaient). Au passage, on note que les méthodes de l’exécutif ont un parfum vaguement familier : la loi est d’abord suspendue, puis retirée ; on annonce un grand débat public et dans le même temps on arrête des centaines de manifestants tout en les mutilant au passage. Mais rien n’y fait, les manifestations interdites se poursuivent chaque week-end mais aussi en semaine, ainsi que toutes sortes d’actions allant de la chaîne humaine à des rassemblements dans des centres commerciaux. Et ce 1er octobre n’a pas fait exception : malgré l’armée chinoise à la frontière, malgré les centaines d’arrestations du week-end dernier, au moins six rassemblements ont été appelés dans différents districts de Hong Kong.

Intrigués par le soulèvement qui dure depuis le mois de juin, il nous a semblé pertinent de nous rendre sur place pour mieux comprendre ce qui se joue réellement. Les médias occidentaux se sont intéressés au mouvement mais essentiellement au travers d’une grille d’analyse héritée, au fond, de la guerre froide : il y a les gentils manifestants pro-démocratie et libéraux contre la méchante Chine communiste. En fouillant un peu, il est heureusement possible de lire autre chose, comme par exemple cette interview d’un groupe d’anarchistes au sein du mouvement (ici et ) traduite en partie sur lundimatin et à compléter par un excellent texte à propos du mouvement des parapluies en 2014 ou encore l’analyse faite par un groupe plus marxiste ; on trouve aussi un point de vue critique du mouvement par ici ou encore un certain nombre de traductions d’articles du chinois vers l’anglais ou de blogs qui tentent de faire exister d’autres voix dans le mouvement. Toutes ces analyses ont de l’intérêt, quoique nous ne partagions pas forcément leurs positions, et nous encourageons à les lire pour défaire les idioties trop récurrentes du Figaro. Mais, comme souvent avec les analyses politiques, elles peinent à rendre compte de ce que l’on sent dans la rue, de l’ambiance particulière qui colore la ville au quotidien et en particulier les jours de manifestation. C’est pourquoi nous tenions à commencer notre retour sur le soulèvement à Hong Kong par une interview faite à chaud, dans la rue, à côté d’un rassemblement de lycéens pour discuter de l’avenir du mouvement. Les mots qui suivent ne contribuent donc pas à une analyse (géo)politique globale du mouvement, mais cherchent à restituer le point de vue situé d’un participant au mouvement – point de vue auquel nous n’adhérons pas sur bien des points. Nous reviendrons sur les orientations stratégiques et les discours parfois problématiques qui caractérisent la lutte dans cette métropole, mais en un jour comme celui-ci il nous paraissait important d’essayer de saisir une partie de ce qui pousse dans la rue depuis maintenant trois mois les jeunes hongkongais.

Mise à jour : pendant la rédaction de cet article, nous avons suivi le déroulement de la journée du 1er octobre à Hong Kong. Au moins une personne a été gravement touchée par un tir à balle réelle à la poitrine et la police a sorti les armes à plusieurs reprises pendant que, à Pékin, Xi Jinping déclarait, qu’ "Aucune force ne peut entraver le progrès du peuple chinois et de la nation chinoise". Nous profitons de ces lignes pour saluer nos camarades qui se battent dans la rue depuis ce matin et leur souhaiter bon courage.

Interview

Est-ce la première fois que tu descends dans la rue pour manifester ?
Front-liner : C’est la première fois que je suis si actif dans un mouvement d’une telle ampleur. Dans le mouvement des parapluies je n’étais pas si actif. Je traînais à coté, je discutais… C’était il y a cinq ans.
Qu’est ce qui a fait que tu es devenu plus actif dans ce mouvement ?
F : J’ai commencé à participer à partir de mi-juin. Au début j’étais pacifiste, je rejoignais les grandes marches, les assemblées, je m’asseyais et discutais. Mais il y a eu de plus en plus de révélations, dans les médias, disant que des adolescents de 15 ans, voire même de 12 ou 13 ans allaient en manif avec leur testament dans le sac pour que quelqu’un puisse connaître leurs dernières volontés dans le cas où ils se seraient blessés ou tués. Quand j’ai su ça... Il y a une rage, une impulsion, une force qui te dit « faut que t’ailles te battre en première ligne putain, (« You have to fucking go to the frontline »), faut aller aider et se prendre les balles pour eux ». Parce qu’ils sont le futur de Hong Kong. Ce sont juste des adolescents. Si ça se trouve ils n’ont encore jamais baisé. C’est juste des enfants. Ils devraient jouer aux jeux-vidéos, jouer avec leur pote plutôt que d’écrire leur testament et faire des recherches pour savoir quels masques sont les plus efficaces contre les gaz. Ils ne devraient pas aller au devant des manifs et se prendre des balles. C’est la raison pour laquelle moi j’y vais.
Tu y vas seul ou avec des amis ?
F : En général j’y vais seul. On forme des groupes, des teams sur le terrain, dans la manif, quand il y a un changement dans la situation. Par exemple, il y a un lampadaire équipé de caméras qui est en train de nous filmer : quelques personnes, des volontaires, vont les casser.
Qu’en est-il de ta famille ? Sont-ils d’accord avec toi ?
F : Oui, mon père sait. Il ne m’interdit pas d’aller en manif : il me dit simplement d’être prudent. Je lui en suis reconnaissant parce que je connais beaucoup de jeunes ados pour qui ça n’est pas le cas. Souvent un parent ou les deux sont pro-chinois et empêchent les jeunes de sortir dans la rue, arrêtent de leur donner de l’argent et parfois même appellent la police pour les leur livrer, quitte à les envoyer en prison ! Je me considère comme chanceux et j’estime par conséquent que je dois en faire plus. C’est pour ça que vais au front dans les manifs.
On a cru comprendre que les gens avaient différents rôles dans les manifs, peux-tu nous en dire un peu plus ?
F : Il y a plusieurs rôles, qui peuvent tourner, qui sont interchangeables. Il n’y a pas quelqu’un qui est toujours guetteur par exemple. Ça change. Ça dépend de la situation. Comme vous avez dû le voir, il y a de nombreuses personnes qui tiennent des boucliers pour que d’autres puissent venir se cacher derrière. Ce sont les « shielders », (shield = bouclier), les défenseurs, ceux qui se prennent les balles et protègent les autres. Ils travaillent avec les deuxièmes et troisièmes lignes derrière eux pour pousser les barricades ou, si on est en train de battre en retraite, pour mettre feu aux barricades. Ça ce sont les défenseurs. Il y a aussi beaucoup de gens qui renvoient les palets de gaz lacrymogènes. Ça, chacun a dû apprendre à le faire par soi-même car ça dépend toujours de là où les lacrymos tombent : les manifestants les plus proches doivent s’en charger. Il y en a d’autres que nous appelons les « fire-magicians ». Ce sont eux qui lancent les cocktails molotovs. On dirait qu’on est dans un jeu avec les noms qu’on utilise… On essaye d’être optimistes c’est pour ça. On a aussi les « rangers ». Ce sont ceux qui font des attaques rangées, qui jettent des pierres, des briques. « Fire-magicians » est vraiment spécifique pour ceux qui lancent des molotovs. [1]

Est ce qu’il y a des gens qui cassent des choses ?
F : Non on ne fait pas ça. Je pense que c’est pour ça que le reste du monde ne parle pas forcément parfois « d’émeutes » à propos de ce mouvement. Parce que nous ne vandalisons pas des choses, au hasard. Nous visons des choses précises, nous voulons détruire des symboles.
Quelles sont vos cibles ?
F : Nos cibles sont la police, le gouvernement et tous ceux qui les aident.

Par exemple, il y a un groupe, ça me gêne de dire que ce sont des citoyens de Hong Kong, mais bon de fait ils le sont. À cause de leur opinions politiques, parce qu’ils donnent leur soutien au gouvernement et à la police, ils peuvent prendre un couteau, sortir dans la rue et frapper des gens. Avec ce genre de cas, nous avons appris qu’il fallait nous débrouiller seuls car si nous appelons la police ils laisseront partir le mec et nous arrêteront à la place. Ils arrêteront la personne qui s’est faite frapper.


Le bâtiment du conseil Legislatif, se situant dans le quartier de Central, est régulièrement attaqué par les manifestant. Le 1er juillet il a même été occupé pendant quelques heures.NdT

Qu’en est-il de tout le travail de propagande : qui fait les affiches, les posters et les vidéos que l’on voit en ville ou sur internet ? Y a-t-il une distribution des rôles pour ça aussi ?
F : Ce sont des volontaires. Imaginons que je bosse dans le marketing, que je sache faire du design et que j’ai envie de le faire pour le mouvement, eh bien je me lance. Les gens font les choses, tout simplement.
Qu’est ce que tu peux nous dire de la stratégie « Be Water » ?
F : C’est une phrase très connue de Bruce Lee, comme nous le savons tous [2]. Mais dans ce mouvement, cela veut dire que nous devons être intelligents, sans forme. Nous ne pouvons pas coller à certaines règles comme : ’Ah il faut absolument que nous montions une barricade ici’. Nous ne voulons plus suivre de plans préétablis du genre : défendre cet espace, passer par cette rue parce que nous l’avions prévu etc... On ne fait plus ça. En fait, il y a cinq ans, pendant le mouvement des parapluies, nous avons beaucoup fait cela et nous avons subi un énorme échec. Nous avons donc appris que nous ne pouvions pas être si têtus. Nous devons être sans forme.
Par exemple face à la police, que serait la stratégie du « Be Water » ?
F : Hmm… Maintenant quand nous sommes confrontés à la police, quand ils nous fixent et qu’on les fixe, il y a beaucoup d’émotion, des deux cotés. Parfois on les provoque, on les rend furieux. Et quand ils nous chargent, on se disperse. Au moment où on se sépare, il y a d’autres groupes, dans d’autres parties de la ville, qui commenceront à faire d’autres choses. Parce qu’il y a seulement 30 000 policiers à Hong Kong donc on les fatigue, on les épuise ! Mais depuis peu, le Parti Communiste Chinois applique une nouvelle stratégie. Ils ont envoyé des policiers armés du continent pour aider la police de Hong Kong. Donc maintenant il y a un nombre inconnu de policiers, bien plus que 30 000. Donc nous devons toujours appliquer la stratégie du « Be Water », mais nous devons aussi... Utiliser le feu ! Nous devons mettre le feu aux barricades parce qu’une barricade ordinaire peut les ralentir 10, 20, 30 secondes maximum. Quand il y a des milliers de personnes qui battent en retraite, et qu’on se tient derrière, essayant de retenir la police, nous devons mettre le feu et nous devons lancer des cocktails molotov pour qu’ils aient peur de nous charger. Et ensuite on se disperse et on va dans d’autres quartiers. C’est ça le « Be Water ».
Qu’est ce que tu fais le reste de la semaine, en rapport avec le mouvement, pour préparer les manifs par exemple ?
F : En général on passe beaucoup de temps sur internet parce qu’il y a trop d’informations, trop de choses qui se passent au même moment et nous devons vérifier l’authenticité des informations (authentification check). On passe beaucoup de temps à faire ça. Il y a plein de disputes qui commencent comme ça, des gens qui s’embrouillent autour d’une info qui serait vraie ou non. Franchement, des fois on gaspille beaucoup de temps mais c’est une chose que nous devons faire. S’assurer que les infos sont vraies ou fausses pour pouvoir continuer à faire de la propagande.

À part ça, on se repose. Parce que quand il y a une manifestation, on est prêts dès le matin, on met deux heures pour aller à la manif et ensuite on revient chez nous vers 2, 3, 4 heures du matin et après on se met devant l’ordi pour regarder les informations, les évènements auxquels nous n’étions pas, ceux que nous n’avons pas vu. Ça prend des heures. On se couche vers 7 ou 8 heures du matin. S’il n’y a pas de manifestation, on essaye de trouver des petits boulots, s’il y a quelque chose de disponible. On essaye de se faire un peu d’argent, pour acheter des masques ou réparer notre équipement.

Est ce que c’est dangereux d’être habillé comme tu l’es, dans la rue ? (le front-liner est tout en noir, il porte un masque, on ne voit pas son visage, il a un couteau accroché à la ceinture, nous sommes un samedi après-midi dans un petit parc à coté d’une assemblée de collégiens et lycéens)
F : À partir de juin et jusqu’en juillet, un grand nombre de personne s’est mis à porter des masques. Maintenant et depuis le mois d’août, on a différentes tenues : on vient, à cet événement, par exemple, en « tenue A », puis on se change en black bloc [3] pendant l’événement et enfin on se rechange en « tenue C » quand c’est terminé, pour minimiser les risques d’arrestation.
Qu’en est-il de la marche de demain, qui a été interdite ? (nous sommes le samedi 14 septembre et dimanche 15 se tient une manifestation interdite par les autorités) Penses-tu que le mouvement est en train de décroître après l’annonce du retrait de la loi par Carrie Lam ou est-ce que ça continue de la même façon ?
F : De manière générale, le mouvement est un peu plus lent ; non pas plus faible ou décroissant mais plus lent parce qu’on attend que les États-Unis votent leur « Hong Kong Human Rights Act » [4]. On attend les résultats de ça d’abord, c’est pourquoi on ralentit un peu les choses. Cela dit, pour demain, je suis presque sûr qu’il y aura des petits plaisirs et quelques affrontements, « some magics » ! Quand il n’y a que des citoyens ordinaires qui se rassemblent en chantant, ils envoient toute la cavalerie et lèvent plusieurs drapeaux [5]. S’ils utilisent ce genre de méthode pour des citoyens ordinaires, il est évident que, demain, il y aura aussi des affrontements. Il faut juste être prudent. Mais il devient de plus en plus compliqué de s’en aller de la manifestation en sécurité.
Que penser de la suite du mouvement ? À terme, certains visent-ils l’indépendance comme on l’entend parfois ?
F : Pour être honnête, de plus en plus de gens parmi nous pensent que l’indépendance totale est la seule manière de protéger Hong Kong et ses habitants, et de rester libres. Parmi les cinq demandes [6], l’une concerne le suffrage universel et beaucoup d’entre nous pensent qu’il s’agit d’un point de départ. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui n’utilisent pas le mot « indépendance » ou sont contre cette idée. En faisant un petit compromis, on peut donc s’entendre d’abord sur les cinq demandes et ensuite on commencera à penser à l’indépendance à travers l’outil qu’est le suffrage universel.
Comment le mouvement s’est-il mis d’accord sur les « cinq demandes » en l’absence de toute structure institutionnelle ou de leader ? Y a-t-il des gens qui tentent d’ajouter certaines choses à ces demandes ?
F : Connaissez-vous l’homme au long ciré jaune ? C’est la première personne du mouvement qui s’est suicidée [7]. Ses derniers mots ont servi de prototype aux cinq demandes. Quand il s’est suicidé ils ont été repris partout, un peu modifiés et ce sont devenus « les cinq demandes » que l’on connaît aujourd’hui. Mais autour de ces demandes de base, beaucoup d’autres se sont ajoutées. L’une d’entre elles demande le renvoi de la totalité des policiers pour reconstruire une nouvelle force de police. Une autre consiste à rédiger les textes de loi avec plus de transparence, en lien avec l’avis du « public » et à s’assurer qu’en cas de mécontentements, le gouvernement réponde au peuple jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Voici deux nouvelles demandes mais pas mal de gens semblent les oublier.
Pensez-vous que l’on peut vivre sans police ?
J : Oui ! Sans notre police, oui. Il le faudrait. À chaque fois que la police est là, la situation devient désastreuse, les gens se font arrêter, etc. Ça arrive tout le temps.

F : Maintenant, oui ! Nous avons une blague, dans les discussions et les manifestations, qui dit : « Il y aura la paix sans la police » (« there will be peace without police »). Ça n’est que quand ils apparaissent qu’il y a des problèmes.

J : À propos de la question de tout à l’heure, sur le fait de casser ou non des choses. En fait, c’est exactement ce que le camp opposé essaye de faire croire. Il y a des journaux qui parlent des policiers infiltrés proches des « frontliners » et qui, dans les moments critiques, allument un feu (ou autre chose de ce type). C’est aussi ce que font certains « vrais » frontliners, parce que c’est absolument nécessaire. Mais là, les flics déguisés ont pour but de répandre l’idée que ce que les « frontliners » appellent démocratie, c’est en fait la violence. Ils veulent faire croire ça à la communauté internationale.

F : À propos de ces flics infiltrés, on a bien vu des gens jeter des pavés, allumer des feux ou faire du vandalisme dans des moments particulièrement douteux. Dans ces cas là, on les questionne tout de suite : pourquoi tu fais-ça maintenant ? Ça peut mener à des situations vraiment dangereuses. La semaine dernière par exemple, au moment où l’on reculait vers le parc Victoria, certains manifestants ont alerté les autres parce qu’ils avaient vu des flics infiltrés trahis par l’arme qu’ils portent à leur ceinture. Quand on les a a encerclés, l’un d’entre eux a tiré. Par chance, il a raté sa cible. Il a paniqué, disons qu’il a paniqué. De cette histoire, nous avons déduit que si l’on démasque un flic infiltré, il faut faire quelque chose. Si on a la confirmation certaine que tu es un flic infiltré, il y a deux choses à faire. D’abord, au moins, on te tabasse ; on te prend tes armes à feu ou au moins on te met hors d’état de nuire, on te ligote pour que tu ne puisse pas blesser l’un des nôtres. Ou, et c’est la deuxième option, si le flic infiltré a réussi à prendre de la distance, suffisamment pour pouvoir tirer, il ne reste plus qu’à courir et à se cacher. Il n’y a que ces deux options. Ça devient vraiment dangereux.

J : Oui, mais le risque aujourd’hui, c’est que les vrais frontliners se retrouvent isolés. C’est l’un des objectifs plus ou moins cachés du gouvernement et de la police. Parce qu’une fois ceux-là, les vrais combattants, ceux qui se défendent réellement au prix de leur vie, une fois qu’ils se retrouvent isolés de la majorité, alors ils se feront arrêter un par un. C’est leur stratégie actuellement. Des gens comme lui [elle pointe le frontliner à côté] prennent beaucoup de risques en ce moment. D’autant plus que j’ai pu lire dans des articles que des policiers avaient infiltré le mouvement depuis ses débuts, ce qui les rend particulièrement difficile à détecter.

La police tire-t-elle à balles réelles ? Et si oui, touche-t-elle des gens ?
F : Oui. C’est arrivé plusieurs fois depuis le début. On peut vous montrer plusieurs vidéos. La première fois qu’ils ont tiré, il s’agissait d’un tir de sommation. Mais même dans ces cas-là, ça reste dangereux. Avez-vous entendu parlé du policier « skinhead » ? Il avait une Remington avec laquelle il a visé les manifestants dans une station de métro. Il n’en avait pas besoin, c’était juste pour intimider tout le monde et marquer les esprits puisqu’il a aussi son arme de service pour se protéger. [8]

Veux-tu ajouter quelque chose ?
F : On veut que le monde entier reconnaisse la Chine comme son ennemi. À court terme, vous pouvez faire des bénéfices strictement économiques en commerçant avec la Chine mais à long terme, vous ne faites que rogner la souveraineté de votre pays. Tout au long de l’histoire chinoise, il n’y a que mensonges, tricheries, assassinats, vols. Ils n’ont jamais été pacifiques. [9]

[1Pour un autre point de vue sur les rôles au sein des manifestation, voir le document publié par Rouen dans la rue il y a quelques semaines

[2Bruce Lee en parle dans une interview donnée en 1971 et dont voici un extrait :

[3le terme peut paraître choquant et il l’est en partie pour qui se souvient de l’histoire du mot black bloc (à propos de laquelle on trouve un super article sur lundimatin par ici. Cependant, c’est bien le mot qui a été utilisé lors de l’interview. Nous avons essayé de comprendre un peu la transmission de ce vocable dans le mouvement hongkongais mais cela n’est pas évident : il semblerait que des vidéos aient permis la transmission de pratiques et de quelques éléments de vocabulaire tout en en réinterprétant le sens implicitement. En particulier, la dimension anti-capitaliste du black bloc des origines semble s’être quasiment perdue ici, sauf dans la bouche et les pratiques de quelques anarchistes : voir à ce propos cet article, qui devrait bientôt être publié sur lundimatin et qui discute justement cette question)

[4pour une explication rudimentaire sur cette chose curieuse, voir ici.

[5La police utilise des drapeaux pour communiquer avec les manifestants. Le drapeau bleu signifie que le rassemblement est interdit, le drapeau noir annonce les gaz lacrymogènes, le drapeau orange signifie qu’ils vont tirer à balles réelles.

[6Les cinq demandes sont : 1) le retrait totale de la loi sur l’extradition ; 2) l’abandon de la qualification d’émeutes pour les manifestations du 12 juin ; 3) l’amnistie de tous les prisonniers du mouvement ; 4) la création d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières ; 5) le suffrage universel.

[7Il s’agit de Ling-Kit Leung, un homme de 35 ans. Lors de la manifestation du 15 juin, il va sur le toit de la place Pacifique et place des pancartes sur le mur extérieur du centre commercial. On peut y lire « Non à l’extradition vers la Chine » et « Aidez Hong Kong » en anglais et « Annulez la loi proposée complètement, nous ne sommes pas des émeutiers, libérez les détenus, départ de Carrie Lam immédiatement » en chinois traditionnel. Il porte un imperméable jaune sur lequel est écrit « La police est sans pitié et elle aide Carrie Lam à tuer les Hongkongais ». Il demeure là pendant cinq heures, bien que les piétons et le conseiller du législatif, Roy Kwong, le dissuadent de le faire. Vers 21 h, les pompiers essaient de le sauver, mais il perd l’équilibre, tombe et meurt quelques minutes plus tard.

[8Depuis que cette interview a été réalisée, et en particulier aujourd’hui, le 1er octobre, la police a eu plusieurs fois recours au tir à balle réelle. Aujourd’hui, au moins une personne est sévèrement blessée à la poitrine après un tir

[9Nous avons choisi de ne pas couper cette remarque finale parce qu’elle nous parait particulièrement significative de l’antagonisme qui structure le mouvement, et qui en marque pour nous la limite. Autant dans dans les affiches et les messages qui circulent sur les réseaux que dans les paroles des manifestants, l’adversaire, c’est le CCP. Celui-ci est souvent identifié à la Chine, voire aux Chinois eux-mêmes, alors même que la péninsule est peuplée de descendants de 1re ou 2e génération de Chinois du continent. En l’absence d’un discours qui analyse la gouvernementalité chinoise comme le laboratoire d’un libéralisme autoritaire en expansion sur toute la planète, c’est une forme de réactivation de la rhétorique de la guerre froide, appuyé sur un sentiment identitaire spécifique, qui triomphe. Pourtant, l’inventivité, l’énergie et la solidarité déployées dans les formes d’organisation du mouvement interdisent d’y voir une simple éruption réactionnaire ou une manipulation occidentale. Plusieurs logiques s’affrontent, et ce mouvement, comme d’autres, reflète la confusion de notre temps. Nous reviendrons sur ces difficultés dans d’autres articles.

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