Hold Up Reloaded, Now Handcuffed

Contre histoire « conspirationniste » de la biopolitique du confinement
Par Jacques Fradin

paru dans lundimatin#265, le 30 novembre 2020

Un pastiche
Je propose une parodie de thèses complotistes, afin d’analyser ce qu’est le conspirationnisme, si généralement méprisé.
Je distinguerais trois formes (du complot ou de la conspiration) :
Le complotisme, le conspirationnisme subjectif et le conspirationnisme objectif.

Le problème sous-jacent étant celui du « sujet » ; terme dont il faut immédiatement noter l’ambiguïté, la distinction en opposition entre « sujet maître », celui qui agit, celui qui « décide » – le décisionnisme étant une variante du complotisme – et « sujet assujetti », celui qui est agi, le simple exécutant, le cadavre vivant, cette distinction est essentielle pour classer les trois formes que nous introduisons.

1 – Complot et complotisme

Pour les complotistes (vulgaires) un complot renvoie à des « sectes secrètes », des franc-maçonneries, ou autres réunions ténébreuses, implique l’idée d’un « comité secret », de réunions secrètes ou de cabinets noirs et repose sur une généralisation romancée des méthodes des « services secrets » (qui sont des organisations militaires disciplinées).
Le complotisme est un hyper subjectivisme.
Si l’on veut, et pour commencer, le complotisme est un conspirationnisme exacerbé, un volontarisme débridé.
Un complot implique un plan avec des décideurs qui commandent et des exécutants bien disciplinés.
Et plutôt que le modèle idéalisé des « services secrets », c’est certainement la stratégie des entreprises qui sert de patron ; le complotisme n’est que l’expression des stratégies d’entreprise, toute entreprise étant complotiste.
L’idée de complot dérive d’une pensée militaire stratégique ; c’est pourquoi les complotistes sont généralement « de droite (extrême) », sans doute d’anciens militaires ou des fanatiques de l’ordre militaire, vénérant l’AS & l’OAS, et tous les coups tordus des sections spéciales (de nouveau les services secrets).

2 – Conspiration et conspirationnisme

Pour aller vite, nous détaillerons dans la suite, disons que le conspirationnisme se distingue du complotisme par l’épaisseur du temps : une conspiration est un projet très long qui se déploie dans l’histoire.
L’épaisseur du temps conspiratoire implique une organisation conspiratoire complexe, organisation, église, parti, supposée être capable de « tenir » (dans) le temps, au-delà des « agents mortels » qui composent, passagèrement, l’organisation.
La prise en compte du temps historique et de la mortalité (des agents) implique de dépasser un subjectivisme trop décisionniste ou trop personnalisé (il est question d’institutions, puis de mouvements abstraits, pas de personnes).
Il y a cependant un point commun entre complot et conspiration : le projet, qui, pour le complot, est un plan (secret) court, et, qui, pour la conspiration, est une idée (publique) longue.

Si, pour nous, le modèle du complot est la gestion stratégique des entreprises, le modèle de la conspiration est celui de la christianisation, « organisée » par l’église chrétienne (nous reviendrons plusieurs fois sur ce modèle exemplaire de la conspiration chrétienne).
Mais, pour être plaisant, la pensée « communiste » de Badiou, avec son « idée du communisme » et ses références appuyées à Paul (Saint Paul), rentre dans le cadre du conspirationnisme ; ici un conspirationnisme plus que virtuel.
Pour le complot, le plan, le projet à réaliser, est aussi précis qu’un plan d’attaque militaire tel que les entreprises stratégiques le dessinent ; pour la conspiration, le projet est beaucoup plus général et abstrait, c’est « une idée » qui guide la conspiration (dont le symbole est bien sûr l’étoile, rouge ou grise).

Résumons :
Complot = méthode concrète d’entreprise, avec des décideurs déterminés et un organigramme de décision (subjectivisme fort).
Conspiration = tentative idéologique à très long terme (subjectivisme faible ou non subjectivisme).
Conspiration doit se lire : respiration, souffle, esprit, idée – toujours la conspiration chrétienne.
Complot et conspiration se ressemblent ; mais la différence essentielle porte sur le TEMPS et la subjectivité associée. Un complot court exécutable peut (sembler) être renvoyé à des officiers exécutants ou traitants, tandis qu’une conspiration longue et aléatoire est soumise au règne de la contingence, contingence dérivant du temps long et effet des contradictions, des conflits, des morts, que ce temps long nécessairement déploie.
Si l’on veut, pour être encore plus ramassé, complot = déterminisme classique, conspiration = indéterminisme et dynamique chaotique (mais cependant dynamique).

3 – On peut alors affiner la division (entre complot et conspiration) et introduire une sous classification entre conspiration subjective et conspiration objective

L’idée de conspiration subjective suppose encore qu’il y a « un sujet » qui guide, dirige, même si ce sujet devient démultiplié, populeux ou multiple.
Telle est la recherche du « sujet révolutionnaire » mis au centre des « conspirations communistes » (conspirations qui sont des récupérations de la grande conspiration, celle de l’église chrétienne).
Mais cette idée « de sujet moral » (de personne morale, abstraite) nous écarte tout de suite du « subjectivisme vulgaire ».
Cette idée de « sujet collectif » rend intenable, avec le temps long qui lui correspond, la désignation de comploteurs (résumer « la classe prolétaire » à Lénine est une facilité « people » – bien lire le chef d’œuvre de China Miéville sur Octobre, 1917).
À long terme tous les comploteurs seront morts ; mais la conspiration continue !
« Le sujet » complotiste / conspirationniste doit céder la place à une institution conspiratoire (église ou parti) puis à une dynamique abstraite « de l’idée ».
Si l’on suit le modèle de la conspiration chrétienne, l’église, « le sujet » de la conspiration, cette institution créée pour gérer la durée, est traversée par des ruptures, des conflits. Encore une fois, l’introduction du TEMPS HISTORIQUE long modifie totalement le cadre dans lequel on peut penser complot ou conspiration. Même une secte militarisée d’illuminés, qui visent à casser le monde en deux, se transforme, dans le temps, en un nid de serpents venimeux ; si le complot, court, semble échapper à la corruption, il n’en est jamais de même d’une conspiration, longue.
La conspiration doit, donc, être pensée avec ses contradictions, ses luttes internes.
Si l’analyse du complot relève d’un quelconque manuel d’économie ou de gestion stratégique, l’entreprise étant le prototype du complotisme permanent, l’analyse du conspirationnisme, dès que l’on abandonne le subjectivisme facile (ou imagé), dès que l’on introduit l’aléatoire, la contingence, la contradiction, le conflit interne, la négativité, etc., exige un schéma plus complexe.
Schéma qu’offre la sociologie historique ou la philosophie hégélienne, nous y reviendrons plus loin.

Par exemple, analyser la conspiration contre-révolutionnaire en France, de la Restauration au Second Empire, ou de Pétain à Macron, avec « le choix de la défaite » ou celui de « l’intégration européenne » implique de lourdes études socio-historiques, complexes et feuilletées. Où, exemple dans l’exemple, il faut montrer que la France contre-révolutionnaire (bonapartiste et royaliste) est une des sources du fascisme (hommage à Zeev Sternhell).
Finalement une conspiration objective, ce que nous introduirons dans la suite, est un mouvement politico-religieux qui tente de « faire avancer une idée », sur le très long terme (inhumaniste).
Maintenant, nous allons examiner une telle conspiration objective, la conspiration (objective) des économistes.
Cette conspiration est « la cause » de l’épidémie virale actuelle (2020) et de bien d’autres désastres socio-écologiques (comme l’holocauste des animaux).
Pour mener cette contre-analyse « conspirationniste » (objective) nous allons reprendre les thèmes juste introduits et les difracter.

La conspiration des économistes

L’épidémie virale (de 2020) est la conséquence du déferlement économique, colonisation, prédation, extraction, exploitation, consommation, facilités, commodités. Or ce déferlement est le résultat d’une « conspiration », la conspiration des économistes, de la secte à l’église, des entreprises prédatrices extractivistes aux finances du contrôle général, conspiration pour instaurer « le totalitarisme économique », conspiration pour porter « à l’idée » le capitalisme excité et branlant, conspiration pour rendre réflexif (et spirituel) un chemin erratique et désastreux, celui du capitalisme colonial de la terre arasée. Conspiration pour faire du capitalisme des vandales, l’économie au service de l’humanité. L’épidémie invasive est donc « causée » par une conspiration, par un « souffle », celui de l’économicisation, il faut développer l’économie, par la promotion de « l’idée du capitalisme », spiritualisation d’un mouvement historique inconscient de lui-même et qui, sans cette spiritualisation, serait resté un simple havre de pirates.

Sans le montage dogmatique des économistes, le capitalisme n’aurait pas pu atteindre la force des « idées » qui déplacent les montagnes. Même l’enrichissement affairiste, que l’on met souvent à la base de la dynamique des entreprises de prédation, même la cupidité mortelle, ne peuvent être entretenues que par l’idéologie (libérale ou néolibérale) qui permet la transmutation du vulgaire plomb des militaires coloniaux en or des financiers, transmutation du pillage ou du brigandage en affaire commune de l’humanité. Nous retrouvons ici l’idée forte de Soljenitsyne selon laquelle les assassinats ou les tueries classiques n’ont pu se transformer en gigantesques meurtres de masse que sous « le couvert » de l’idéologie « de la défense et de la promotion de l’humanité ».
C’est cette « causalité conspiratoire », ce « souffle spirituel », ce montage dogmatique de l’esprit économique (et de l’esprit d’entreprise) que nous allons analyser.
L’épidémie virale, parmi d’autres désastres bien connus (sociaux, moraux, écologiques), est l’effet du souffle de l’esprit d’entreprise, esprit monté en idéologie par les économistes.
Conspiration, respiration, effet de souffle, conversion, destruction, mise à mort.
Nous allons montrer que l’épidémie actuelle (2020 – silence pour les visons [1]) est la conséquence, involontaire mais utile et agréable, récupérable, d’un mouvement très long, mouvement historique s’étendant sur, au moins, cinq siècles, le mouvement de la conversion à l’économie, le mouvement de la conquête religieuse pour déployer « totalement » l’économie.

L’épidémie, avec d’autres désastres (écologiques) est la conséquence, encore une fois involontaire (c’est un « effet externe ») mais récupérable (en termes de perfection policière), l’effet (de souffle) de la guerre sacrée des économistes.
Nous pouvons donc parler de « projet conspirationniste » (ou de plan spirituel, l’esprit saint) – histoire conspiratoire et non pas délire complotiste, stratégie sans stratège, qu’il faut dénouer.
Insistons, cette histoire conspiratoire est celle du souffle, de l’esprit, des économistes, de la secte à l’église et aux finances ; esprit d’entreprise qui est la cause génératrice, respiratoire, de l’épidémie et des autres désastres.
L’arasement, écologique, mais d’abord moral (la corruption répandue – BlackRock), l’uniformisation, religieuse, la conversion de masse pour l’unité de la foi religieuse, toutes ces méthodes religieuses de la conversion forcée à la foi économique, avec ses « retours sur investissement » (comme la consommation débridée et ses commodités attachantes), toutes ces méthodes économiques (et biopolitiques) sont « causes » de la catastrophe.
Certes, ce désastre épidémique (et déjà désastre moral ou politique) n’est qu’un minuscule désastre parmi les désastres provoqués par la marche impérieuse des légions désastreuses, les légions pour la propagation de la foi économique, des conquistadors (fascinés par l’or) aux maîtres de plantations, aux industriels (avec leurs moulins sataniques) et aux techniciens de l’innovation (biochimique, par exemple) en passant par les grands et petits prêtres de la colonisation (ou de la croissance), prêtres regroupés dans l’église économique.
Et si l’épidémie est le résultat conspiratoire du souffle économique, ce n’est pas tant que ce résultat involontaire ait été voulu, calculé, anticipé (c’est même tout le contraire, l’imprévision et son chaos ayant dominé), mais que cet effet de souffle (et soufflant) a pu, rapidement, être intégré, récupéré, ingéré, utilisé comme « méthode providentielle » pour rebondir vers toujours plus de contraintes, de contrôles, de surveillance de la foi, vers plus « d’artificialisation » ou de conformation, en réhaussant le caractère sacré de la consommation, des déplacements ou des fêtes, en renforçant l’ingestion dans la gigantesque machinerie biotechnologique, et le vaccin sauvera le monde, sans qu’il y ait rien d’autre à changer, au contraire en renforçant l’emprise techno-industrielle.

Le texte sera divisé en deux parties.
D’abord l’exposé direct et rapide de « la conspiration des économistes », en mobilisant l’analogie à « la conspiration chrétienne » (celle de l’esprit conquérant – mais il est toujours question de prosélytisme – d’évangélisme).

L’économicisation (arasement) du monde se réalise au moyen d’un déploiement spirituel (le souffle conspiratoire), celui de la conversion massive (à l’esprit d’entreprise et ses supposés libéralités et avantages, comme pouvoir exploiter en paix – le libre commerce, la libre circulation), celui de la fabrication industrielle en masse des « nouveaux croyants », des adeptes mécanisés de la foi (consumériste), toujours plus bigots que les évêques, que l’on peut, eux, soupçonner de cynisme arriviste.
Et cette conquête spirituelle, cette guerre sacrée, s’opère selon les méthodes les plus validées de la christianisation, conversion de masse vampirique ou forcée.
Avec un projet très long, le contenu pestilentiel du souffle (l’économicisation), et une organisation nécessaire, une église, un parti, un État. Projet de dimension historique qui, évidemment, est traversé par des « contradictions », des conflits, des guerres civiles (internes), les guerres de religion (comme la guerre froide).
Mais comme tente de nous l’expliquer Hegel, le grand maître de tous les conspirateurs, c’est par les conflits et les oppositions (la négativité positive, à condition que la négativité soit positivante) que le souffle se réactive sans cesse et gagne en force. La dialectique classique hégélienne étant la grande doctrine de la conspiration, d’abord chrétienne, économique ensuite – la théorie conspiratoire de l’histoire, où l’histoire est poussée par le souffle de l’esprit. La philosophie hégélienne étant le bréviaire métaphysique des conspirations (des mouvements téléologiques, comme la marche de l’esprit chrétien ou celui de l’économie de l’abondance).

Arrivons alors à notre petit reg spatio-temporel : l’épidémie virale (en 2020) n’est qu’un symptôme, le symptôme, localisé spatio-temporellement, de la grande conspiration, du grand mouvement prosélyte (et politico-religieux) pour la conversion totale à l’économie.
Ce qui est nommé « effet externe », malheureux, mais tant pis, ou effet involontaire, imprévu, d’une marche volontaire. Effet malheureux mais bienvenu, autant que l’église économique, comme toute église hégélienne, est capable de rattraper ses erreurs pour affirmer son service.

L’économicisation se déploie par le désastre, épidémique ou écologique, comme la christianisation a su se déployer par les guerres civiles de religion, par « la protestation » ou l’hérésie surmontées (sursumées), par exemple par « l’usage » de la proximité des franciscains aux hérétiques du « christ pauvre », comme la christianisation a su « progresser » des premiers évangélistes aux derniers et nouveaux évangélistes (qui sont aussi des évangélistes du marché).
Définissons la BIOPOLITIQUE comme la tentative de la conversion spirituelle intégrale ou comme la conspiration, le souffle pour INTÉGRER (ce qui veut dire unifier sous la bannière de la foi) tout corps, transformé en agent mécanique, « auto-entrepreneur » par exemple.
La biopolitique s’empare des corps et les transforme en croyants zélés. En machines de la guerre sainte pour la propagation de la foi en l’économie et en ses richesses pour tous.
Cette politique de conformation conversion intégrale, ou totale, le fameux totalitarisme de marché, bien que pensée, disputée, modélisée, agencée (le fameux hégélianisme implicite), s’appuyant sur des agents nouveaux convertis (comme « les socialistes libéraux ») ou des fonctionnaires zélés du déploiement religieux (les mouvements de patronage et des patrons) se heurte, nécessairement, à des obstacles, des « contradictions » et, ainsi, avance erratiquement – mais avance ! La biopolitique de la conversion économique, qui fabrique des corps sains, sportifs, jeunes, croyants, volontaires, se déploie par ses ERREURS, toujours récupérables (et toujours Hegel).
La grande épidémie (de 2020) n’est qu’une erreur de parcours, mais une erreur utile [2].

Ce n’est pas une erreur due à une défaillance dans la prédation (écologique disons) ou dans la vampirisation (conformatrice – les consommateurs hallucinés ou allumés et fétichistes) qui va pouvoir stopper un mouvement conspiratoire dont l’inertie historique est si massive.
Les massacres religieux, l’extermination des indiens convertis (annihilés justement par une épidémie), la colonisation et les traites négrières, les tortures de l’inquisition, etc., tout cela n’a jamais empêché les croyants de continuer à croire. Au contraire, sitôt que l’on pense le conflit, interne ou externe, comme le grand moteur de toute conspiration, dans la volonté de « déplacer les montagnes », alors la fameuse « stratégie du choc » devient une stratégie générale « d’empowerment ».

L’objectif biopolitique de s’emparer des corps et des esprits pour générer l’économicisation totale, cet objectif de colonisation intégrale, subjective et matérielle, de constitution de croyants robotisés (ou zombifiés, possédés – la possession psychique étant plus importante que la possession physique), cet objectif est tellement « pesant » que ce n’est pas un petit effet externe, à peine malheureux, une grippe, qui va gripper le mouvement de conversion religieuse. Pendant la peste la fête continue !

Encore une fois, au contraire, dès que l’erreur de parcours peut être spiritualisée (dialectisée), elle va servir à renforcer la cause, ici à approfondir l’intégration au monde désastreux.
Traiter les symptômes, l’épidémie n’étant qu’un symptôme de la grande conversion, de l’économicisation radicale ; ne jamais traiter les causes, puisqu’il s’agit de « causes sacrées ».
Lorsque l’épidémie devient un moyen récupérable pour améliorer l’usinage des croyants (en menaçant la débauche consumériste de Noël, en provoquant la privation psychique et la frustration, horreur, pas de sports d’hiver), alors l’effet externe est internalisé. Susciter la peur, agiter la menace, la répression policière (l’inquisition), manipuler le manque (et l’amour in fine), toutes les méthodes religieuses peuvent être adoptées et adaptées.

Il s’agit de ne jamais changer les causes (par exemple abandonner l’idéologie néolibérale de l’entreprise salvatrice) mais toujours de renforcer la police de la foi, d’énoncer que les causes sont « indéboulonnables ».
Après cet exposé direct, (A), de la conspiration ou du souffle de l’esprit saint (et sain), exposé que nous avons bien introduit, nous développerons une partie annexe, elle-même divisée en deux, (B1), une réflexion générale sur le conspirationnisme, à la lumière de ce que nous avons dit de la conspiration, du souffle, (B2), une introduction au cœur de cette conspiration des économistes, une présentation des évangiles du despotisme économique ou des livres saints de la nouvelle religion économique.
Mais avant tout cela, donnons un tableau de cette conspiration évangélique (tableau qui sera un peu complété en (B2).)
Présentons ce tableau à la manière historiographique classique :

Causes lointaines :
Le développement du capitalisme (depuis le 15e siècle) intégré dans le déploiement de l’idéologie économique, libérale puis néolibérale. Ou, si l’on préfère, le capitalisme construit comme religion.
Le dogme de l’entreprise salvatrice.
La croyance en la supériorité de la propriété privée et de la liberté économique.
Dont résulte le public management actuel et l’expansion de la bureaucratie (du contrôle financier).

Causes proches :

La destruction des services publics.
Particulièrement, l’hôpital déstructuré (pour le bénéfice des fonds de pension comme BlackRock).
La mise en roue libre de la bureaucratie de gestion (les ARS et autres agences de santé).
La corruption générale du despotisme économique libéré.

(A) La conspiration des économistes comme conspiration objective

Nous voudrions, ici, insister sur un point : une conspiration, qui est un mouvement historique long et sans sujet, n’est pas un complot, que l’on imagine lié à des comploteurs invisibles mais désignables, trop subjectivé donc et avec des sujets vivants (que l’on pourrait lapider), des comploteurs que l’on peut rencontrer (et en faible nombre, Bill Gates, George Soros, etc.) ou des sectes qui organisent des messes orphiques dans des caches troglodytiques. Dans une conspiration il n’y a pas de caves éclairées par des torches sataniques, tout se déroule dans les salons lumineux des palais ou des hôtels (Mont Pèlerin au-dessus de Vevey ou Davos au milieu des vaches grisonnes, qui sont grises ou hégéliennes).

Certes une conspiration (pensons toujours au christianisme), qui est un mouvement historique objectif sans sujet, implique des agents ou des fonctionnaires, des officiers, des servants, des cadavres vivants ; et il peut être « facile » de présenter la conspiration au travers de ses agents (comme nous l’avons fait dans notre série sur la conspiration des ingénieurs) ; mais la conspiration n’est pas « pilotée » à la manière dont les complotistes l’imaginent (nous reviendrons sur ce thème en (B1) ). La « maintenance » d’une conspiration, échelonnée sur plusieurs siècles, s’effectue de manière beaucoup plus erratique qu’un simple « pilotage » (style Obama guidant les drones).

Cette maintenance exige, au moins la constitution d’une église, d’un collectif qui est capable de transcender le temps ; mais cela, nécessaire, est loin d’être suffisant.
Nous tombons alors dans les débats classiques de l’évolutionnisme darwinien : si le résultat d’un mouvement historique peut (toujours !) être expliqué après coup, il est (toujours !) imprévisible et inexplicable, avant.

Une conspiration est soumise à la contingence et tombe dans le registre de l’aléatoire, du stochastique des mouvements incontrôlables (mais totalement rationalisables à la fin – toujours l’ombre de Hegel). Alors qu’un complot est supposé être déterministe et guidé de manière suivie.
Dans une conspiration l’involontaire règne et le chaos domine (comme pour cette épidémie). Un complot, au contraire, est supposé être organisé par un ensemble d’actions volontaires coordonnées, « décisionnistes », avec des « décideurs » calculant des stratégies (une politique d’entreprise est un complot, mais une politique économique est une conspiration).
Soit alors notre « sujet » : le mouvement de déploiement de l’économie libérée, qui dure, au moins, depuis cinq siècles.

Pourquoi ce mouvement historique (qui fait l’objet de l’histoire des faits économiques ou du capitalisme) et donc aléatoire et plutôt erratique, peut-il être désigné comme « une conspiration » ?
Nous l’avons dit : parce qu’un souffle commun pousse une multitude d’agents diversifiés (des marchands, des entrepreneurs, des pirates aux pasteurs évangélistes) vers un objectif unique, celui de la mise sous domination économique du monde. Pour en permettre l’exploitation optimale et sans entrave. Pour la richesse de tous.

Si donc l’entreprise physique de prédation est nécessaire (les conquistadors) elle est loin d’être suffisante ; l’exploitation matérielle doit se doubler d’une légitimation globale et d’une idéologie de surplomb (les missionnaires religieux accompagnent toujours les conquérants colonialistes – et il faut toujours un État militarisé pour protéger tout cela, pensons à Bolloré).
On pourrait parler de projet totalitaire.
Mais il est beaucoup plus simple de partir de l’idée que l’économie est une (nouvelle) religion (qui surpasse et intègre les anciennes religions traditionnelles).

La conspiration dont nous parlons n’est autre que la trajectoire (objective) de la conversion à l’économie (que nous pouvons décrire comme biopolitique, transformation des corps par la possession).
Il y a bien eu une « conspiration chrétienne » pour la conversion à « la vraie religion », conspiration dont on peut raconter l’histoire difficile (toujours le darwinisme évolutionniste, ou la chouette hégélienne, une conspiration se « raconte » après, lorsqu’elle ne s’est pas évanouie – une conspiration qui échoue n’est pas une conspiration rationalisable).
Puis à la suite d’avanies bi-millénaires cette « vraie religion » a cédé la place à une nouvelle « vraie religion », l’économie. Bien entendu le passage d’une religion à l’autre n’est pas instantané : il faut toujours tenir compte de l’épaisseur historique d’une conspiration, de ses contradictions internes, mais contradictions qui font souvent plus avancer que reculer (toujours Hegel).

Insistons : l’objectif d’une religion, d’une conspiration religieuse, soit ancienne comme le christianisme, soit nouvelle comme l’économie, est toujours la conversion, la soumission psychique, l’intériorisation de normes, de règles, d’objectifs (supposés communs), et, finalement, la fabrication d’un agent mécanisé (agenouillé dirait Nietzsche) – le croyant propulsé par la foi.
La conspiration, le souffle, se tient dans cette capacité à générer de la propulsion.

Pour se référer à l’histoire longue du christianisme, des orphiques aux néoplatoniciens et aux multiples sectes du « christ pauvre », de l’église primitive aux guerres de religion, on sait bien qu’un « souffle commun », un esprit, une conspiration, une respiration, tout cela implique une organisation fonctionnelle, une église, un parti, une secte généralisée, et s’exprime à travers une multitude de disputes violentes, de conflits dogmatiques, mais qui renforcent « l’esprit saint » (toujours lire le Hegel de la dialectique classique comme le plus grand théoricien de la conspiration chrétienne).
Cette compréhension (dialectique) de ce qu’est une conspiration s’applique facilement à cette nouvelle christianisation qu’est l’économicisation.
Une conspiration est donc un mouvement historique objectif, sans sujet, mais avec des agents embarqués, des inquisiteurs aux profiteurs.

Pour sortir par le haut de la vision complotiste proposée par le film de propagande Hold Up, il faut en arriver à une analyse de la conspiration économique qui plutôt que d’organiser un vol (toujours l’idée de la cupidité et des bas instincts comme le moteur de l’économie – non, l’économie « spiritualisée » se propulse par « l’idée » du bien-être ou de la supériorité morale, la cupidité elle-même étant « spiritualisée », négativité sursumable) tente de passer des menottes psychiques.

Encore une fois, le plus simple est de penser l’économie en termes de religion. Religion économique, libérale, néolibérale, libertarienne, socialiste, communiste (les dissensions qui unifient par la division et renforcent l’emprise économique – voir le schéma socialiste économiste). Et religion « évangélique », avec des évangiles, une constitution dogmatique, et une église, et les pères du Mont Pèlerin. Église qui, finalement, comme l’autre, a réussi à noyauter le pouvoir impérial et, ainsi, stabiliser son pouvoir.

(B1) CONSPIRATIONNISME

Le « conspirationnisme » est un objet polémique et non pas analytique.

L’accusation de conspirationnisme (voire de conspirationnite) est une arme de guerre (dans la guerre culturelle pour « défendre le capitalisme » – parler de « capitalisme » étant déjà conspirationniste !).
L’accusation de conspirationnisme a pour fonction de disqualifier un adversaire en refusant un débat de fond. Cette accusation de conspirationnisme, accusation pour discréditer sans débat, est un beau conspirationnisme inconscient qui consiste à éviter de traiter le fond d’un problème et à remplacer le débat argumenté par des accusations personnelles (ou personnalisées).

Je connais bien la querelle, ayant écrit pour LM une série en 10 + 1 épisodes sur « la conspiration des ingénieurs » (relire l’intro au premier épisode : conspiration = respiration commune, projet commun, même implicite – et ce point de « l’implicite » est essentiel : il faut distinguer conspiration (systémique et sans sujet, il n’y a pas « d’agent » de conspiration, seulement des assujettis ou des « porteurs ») de complot (organisé dans une chambre ou une grotte par des « agents comploteurs » désignables).

Il faut donc bien distinguer plusieurs choses :
1– L’accusation dépréciative de conspirationnisme remplace la vieille accusation d’anti-sémitisme.
Cette accusation soutient un discours dénonciateur que l’on ne veut pas argumenter : c’est une attaque politique contre ceux que l’on juge trop peu militants engagés (pour la république) ou trop peu défenseurs des politiques gouvernementales suivies et ne manifestant pas assez contre les anti-capitalistes (politique « culturelle » traditionnelle du PS sous Lionel Jospin), par exemple ne criant pas : le capitalisme n’existe pas (il n’y a pas de société capitaliste, toujours Jospin), et si le capitalisme n’existe pas on ne peut le critiquer, et la critique de ce qui est censé ne pas exister revient au conspirationnisme (délirant, évidemment), comme imaginer qu’il y des « organisations secrètes » à dénoncer, les lobbies, les multinationales, la NSA, etc.

2– Il y a de « vrais » conspirationnistes (qu’il faut appeler complotistes) dont le prototype est la dénonciation du « complot juif ». Ce pourquoi on confond conspirationnisme et anti-sémitisme.

Mais nous n’avons pas atteint le fond du problème (qui est la dénonciation des hérétiques).

Les deux formes, 1- le dénigrement, 2- la croyance au complot, cachent un gigantesque problème, celui de l’existence (ou non) de « lois sociologiques », de régularités, de règles, de machinations (au sens d’Heidegger), règles AU-DESSUS de l’agir humain, règles sans sujet.
C’est la question de « l’anti-humanisme » qui est soulevée : existe-t-il, oui ou non, des systèmes, des structures de conformation qui prennent, emprisonnent les « agents » ?
Supposons que l’on réponde « oui » : s’il y a des règles supérieures (« transcendantes ») qui dirigent et canalisent les conduites, alors on peut parler de « conspiration objective » (comme je le fais dans ma série sus-mentionnée).

Par exemple, Annie Lacroix-Riz documente en détail une telle « conspiration objective » (et il faut lire toute son œuvre et tous les documents qu’elle exhume), que l’on peut résumer sous le titre : mener la guerre de classe contre le peuple (le grand livre d’Annie est Le Choix de la Défaite, puis le choix de s’intégrer à l’Europe allemande – pour éliminer les potentialités de révolution en France : la conspiration, ici, est le mouvement historique de la contre révolution).

3– Conspiration(s) et lois sociales

Arrivons au fond du problème, le plus souvent caché.
Y a-t-il, oui ou non, des régularités, des règles de fonctionnement qui permettent de penser la société (ou une entité supérieure) SANS passer par l’intermédiaire des interventions humaines directes (conspiration objective qui n’est pas un complot dirigé par des sectes secrètes).
Y a-t-il, oui ou non, des lois sociales ou des tendances globales.
Tout le marxisme répond « oui », évidemment ; et c’est sur la base de cette réponse que l’on peut penser la révolution comme changement de système (un système étant une entité non humaine faite de règles et d’automatismes, de mécanismes).

On comprend alors l’accusation de conspirationnisme (la croyance en des règles structurales ou en des structures sociales) comme une attaque contre la pensée révolutionnaire : non, il n’existe pas de « système capitaliste », par exemple, et donc ceux qui « le » mettent en cause inventent un ennemi inexistant (et risquent de tomber dans l’anti-sémitisme, en personnalisant le système, censé être commandé par « les juifs » – mais que faire des « juifs judéo-bolchéviques » ennemis des « juifs capitalistes ou financiers », Trotski & Rothschild ?).
L’idée sociologique philosophique de « lois immanentes du capitalisme », lois guidant des mouvements mécaniques, est une forme du « conspirationnisme objectif » (qu’attaquent les anti-conspirationnistes).

Toute la sociologie est fondée sur l’hypothèse de lois sociales sans sujet : depuis Durkheim jusqu’à Bourdieu, la société est pensée comme une « machine automatique ».
Bien entendu, toute la philosophie, l’ontologie en style hégélien ou heideggérien repose sur la même hypothèse.

Toute analyse, marxiste, sociologique (à la Bourdieu) ou ontologique (à la Heidegger) de l’histoire est un « conspirationnisme objectif » SANS SUJET ; le « sujet » de la conspiration est la régularité sociale, le conformisme régulateur (la discipline, l’obéissance), régularité qui s’impose aux assujettis humains et leur impose « une respiration commune » ; tout « conspire » à défendre la société.

Dans le conspirationnisme objectif tout sujet conformé, croyant converti, est un conspirateur zélé. Il n’y a pas de « chefs » à rechercher (même si cela peut faciliter le repérage historique, en posant des noms témoins, comme Adam Smith – mais notre Adam n’est qu’un fonctionnaire des compagnies coloniales qui recherchent la respectabilité).
Toute la science sociale philosophique est « holistique » et, donc, « conspirationniste ».
Renvoyons aux notions de Foucault ou d’Agamben de « dispositif ».
Ou aux notions essentielles de machine sociale symbolique ou de machination.
Agamben est un « conspirationniste objectif » revendiqué (toute archéologie est conspirationniste).
L’ontologie heideggérienne d’Agamben est conspirationniste : il existe, des structures, des lois, des tendances qui guident les assujettis comme des marionnettes.

Les assujettis ne sont pas manipulés par des « comités secrets » (qui peuvent, cependant, exister) mais sont, cependant, manipulés. Et par cette manipulation, cette conversion (inversion), deviennent les soldats dangereux (parfois fascistes) de la conspiration.

L’attaque contre le conspirationnisme, la dénonciation de ce conspirationnisme est donc un anti-structuralisme, la tentative d’effacer plus d’un siècle de recherches sociologique (en fait partie la dénonciation de Heidegger comme antisémite, acceptant une forme vile de conspirationnisme).

Indiquons, encore, que toute analyse sociologique, ontologique ou « holiste », bien construite est conspirationniste objective : il existe des mécanismes de guidage, mécanismes qui peuvent être appropriés ou manipulés par des « conseils secrets ».
Lire, par exemple, Moishe Postone, son petit livre d’introduction, Marx est-il devenu muet ? Ou bien, en plus complexe, Werner Bonefeld, Critical Theory, The Critique of Political Economy, On subversion and negative reason.
Werner est un ami, et un « zapatiste » ami de John Holloway.

J’en profite pour indiquer que je suis très proche du « zapatisme théorique » de Holloway (lire mon article dans LM 108 du 13 juin 2017, Généraliser la Révolution Copernicienne Opéraïste).

Voir Negativity and Revolution, John Holloway, Fernando Matamoros, Sergio Tischler, Werner Bonefeld (viva Mexico).
Je vous recommande tout le travail de mon ami Werner Bonefeld.
Aussi, Michael Heinrich, An Introduction to the Three Volumes of Karl Marx’s Capital.
Et, finalement, Agamben Qu’est-ce qu’un dispositif ?

Le grand débat, conflit ou guerre, est alors A- entre ceux qui pensent qu’existent des structures sociales (ou un système capitaliste, par exemple), structures avec des règles de comportement qui encodent les humains (humains qui deviennent des marionnettes assujetties), parlons de holisme méthodologique, et B – ceux qui rejettent toute idée de structure, de machine, de mécanisme, toute idée d’ordre social qui ne serait pas DIRECTEMENT le résultat des ACTIONS INDIVIDUELLES, parlons d’individualisme méthodologique.

Les « individualistes » veulent que TOUT soit l’effet de décisions volontaires ; la question volontaire volonté / involontaire emprise, étant centrale.
Les « individualistes » refusent les idées sociologiques de lois, règles, tendances.
Ils veulent défendre « la démocratie » ; en prétendant que TOUT est décidé volontairement, après débat rationnel argumenté.
Le débat est, donc, entre ceux qui pensent que « nous sommes en démocratie » et ceux, comme moi, qui pensent que « nous ne sommes PAS en démocratie ».

L’accusation de conspirationnisme (au sens péjoratif) cache l’accusation d’être un mauvais citoyen qui refuse de soutenir l’ordre démocratique, accusation d’être un mauvais croyant, mécréant, impie, hérétique (et à brûler en place publique en guise de débat rationnel argumenté).
Les « individualistes » pensent, comme Thatcher, que « la société n’existe pas ».
Le grand défenseur à la mode de cet « individualisme démocrate » est Bruno Latour.
Qui s’oppose à Marx, à Bourdieu, au « sociologisme », à l’École de Francfort, à Foucault (la bête noire) et à Agamben (le délirant), et à toute ontologie un peu globale.
Qui se dresse contre l’idée impie que notre « société » serait despotique (impossible puisque la société n’existe pas).
L’accusation de conspirationnisme cache une défense de l’ordre démocratique capitaliste ; c’est un rejet du marxisme et de tout « holisme » révolutionnaire.
La question de fond est : pour ou contre la révolution ?

L’individualisme démocratiste est une pensée conformiste qui doit rejeter dénier toute idée de conformisme ou de conformation ; qui doit rejeter toute critique du « système » en affirmant qu’il n’y a pas de système.
Il n’y a pas de structures, de systèmes, pas de règles, pas d’emprise, pas de coercition, pas de gouvernement secret ou de cabinet noir, tout est démocratiquement transparent : voilà ce qu’affirme la critique (idéologique) du conspirationnisme. Qui, finalement, est un beau conspirationnisme ! Chasseur de moutons noirs.

(B2) Les évangiles du despotisme économique. Constitution dogmatique de la religion économique

La conspiration du Mont Pèlerin (Hommage à Philip Mirowski).
Revenons sur le thème de « la conspiration », bien à la mode.
Ici, comme dans notre série sur « la conspiration des ingénieurs », conspiration désigne « un souffle commun » (comme on parle du souffle d’une bombe).
Conspiration, souffle commun, traduit l’idée, introduite par Mirowski, de « thought collective », collectif de pensée, collectif dogmatique (ou religieux), pensée commune, esprit commun, de nouveau le souffle.
Mais cette idée de conspiration, qui a déjà été introduite, sera, de nouveau, développée dans la suite et dans une autre direction.
Le cadre de cette nouvelle introduction au conspirationnisme sera celui de l’histoire, exactement une mixture d’histoire des faits, l’histoire du capitalisme, et d’histoire des idées (ou de la pensée), l’histoire du « libéralisme » (cette notion étant à définir) que nous reconfigurons en histoire de la dogmatique économique.
Le modèle transparent, pour suivre une analyse analogique, l’analogon essentiel (ici) est celui de l’histoire de l’église chrétienne, avec ses vicissitudes bien connues.
Avec la question ironique : qu’est-ce que « la conspiration » chrétienne ?

Qu’est-ce que ce souffle endurant et perdurant, qui traverse les siècles, avec ses institutions politiques (les institutions de protection de la conspiration ; l’église et (est) le saint esprit) ? Et avec ses conflits, ses guerres, ses fractures ? Ne voyons-nous pas, par analogie, « la secte des économistes » se transformer en église du libéralisme offensif ? Et la christianisation intégrale, le but de la conspiration chrétienne, ne trouve-t-elle pas son analogue (et bien plus) dans « l’économicisation » intégrale, le but de l’offensive économique ?

Convertir au christianisme, tel était « le bon projet », fabriquer de l’agent économique (avec ses modulations morales, depuis l’esclave des plantations jusqu’au touriste hors sol en passant par le travailleur soldat) n’est-ce pas le nouveau « bon projet », de « la bonne économie » ?

Comme nous pensons et définissons l’économie en termes de religion, une analyse analogique à l’histoire du christianisme semblait s’imposer (pour se simplifier la vie).

Par exemple, mais nous rentrerons dans les détails ensuite, le marxisme économiste (y en a-t-il un autre ?) peut être envisagé comme « une déviation doctrinaire », une « hétérodoxie » (il y en a eu beaucoup dans le christianisme, avec des conflits armés à la clé), même pas une « hérésie » ! Interpréter le marxisme économiste comme un « libéralisme » déviant n’est pas original ; le lien de Marx à Smith a conduit à des tombereaux de gloses, toutes renforçant l’idée que le marxisme appartient à la sphère de la pensée économique ; Marx serait un économiste hétérodoxe !

La focalisation sur les « sources » de Foucault, vers 1970-1980, résumer l’École de Chicago à Gary Becker, qui, certes, a eu son quart d’heure de célébrité à ce moment, ce pourquoi Foucault en parle (mais la culture économique de Foucault est trop restreinte), résumer le néolibéralisme américain à Chicago, l’École de Virginie (Buchanan) étant plus radicale et plus englobante (fusionner politique et économie, droit et économie, etc.), montrer que le problème n’est pas (seulement) « la marchandisation » mais se trouve dans « l’économicisation », avec le schéma néoclassique comme patron normatif, tout cela nous ramène aux années 1980, au tout début de la prise du pouvoir par les « néolibéraux » (libéraux néoclassiques qui se présentent, souvent, comme « socialistes »).

Mais, depuis, l’eau du fleuve héraclitéen a bien coulé. Il y a même eu une cataracte d’études sur ce « néolibéralisme ». Études qui remettent Foucault en perspective (comme on dit).
Toute étude historique (faits ou pensée) du « libéralisme » exige une critique interne de l’économie et de ses supposées « découvertes ».
Renvoyons uniquement à Mirowski qui est un économiste (déconstructeur).
Quarante ans après la mort de Foucault, il est temps d’effectuer une mise à jour ou un dépassement critique.
Agamben nous donne l’exemple, mais Agamben ignore l’économie.
Il est donc temps de produire une étude, une thèse, sur le sens directement politique de l’économie ou du néolibéralisme.

Sur la base d’une critique technique ou interne de l’économie (néoclassique) il faut produire une étude qui englobe TOUT le néolibéralisme, qui englobe TOUTE la dogmatique (pour critiquer le christianisme on ne peut en rester à Thomas d’Aquin, il faut aller des évangiles, surtout les apocryphes, aux pères de l’église et « traverser » les controverses mortelles qui ont fracturé l’église).
Commençons par indiquer quelques éléments qui seront précisés.

Penser les Physiocrates contre Smith ; ne jamais imaginer que Smith « dépasse » les Physiocrates (thèse du dépassement qui a piégé Marx). Smith « fuit » devant les Physiocrates et trouve un truc pour détourner l’attention (la fameuse main invisible).
Penser Walras et les néoclassiques franco-américains comme des disciples des Physiocrates et non pas de Smith ; Walras est un anarchiste physiocrate. Et Pareto, le véritable fondateur de l’économie mathématique néoclassique, est un fasciste socialiste.
L’économie brise tous les codes admis ; ce qui conduira à différents monstres, dont le socialisme libéral, qui est, en fait, « la vérité » du dogme néoclassique.
L’ordolibéralisme allemand est à étudier plutôt avant-guerre qu’après, plutôt vers 1920-1930 que vers 1950-1960. Il faut mettre à jour et analyser son accointance (louche !) avec le nazisme : il faut toujours exhumer le sous-jacent autoritaire.
Le grand débat (de 1900, Pareto, à 1940, Hayek contre Lange) sur la possibilité du calcul économique dans l’économie planifiée socialiste (où le marché devient l’auxiliaire du plan) doit être mis au centre de toute analyse du néolibéralisme (et exige une déconstruction technique de ce débat, renvoyons, cette fois-ci, à Joseph Stiglitz).
Compréhension du débat (ou l’on découvre que plan = marché) nécessaire à la critique de Carl Schmitt et de son libéralisme autoritaire (qui doit être bien plus autoritaire – contrôleur ˗˗ que cet auteur, dit autoritaire, l’imagine ; Schmitt reste trop hégélien ; relire Jean-François Kervégan, Hegel, Carl Schmitt, Le Politique entre Spéculation et Positivité).
Nous arrivons alors à l’ordolibéralisme français, Rueff, et à, Hayek.
Hayek est un nœud essentiel (vers le libertarianisme américain, par exemple).
L’École de Chicago (nous arrivons à Becker !) n’étant qu’une pièce du dispositif. Chicago où l’on trouve Friedman (et son monétarisme à la Rueff) et, encore, Hayek.
Passer de Becker à Hayek permet de mettre en pleine lumière l’objectif politique des économistes. Buchanan et l’École de Virginie sont encore plus importants.
On a besoin d’une synthèse de tout cela. Pour comprendre la conspiration qui se concentre sur le Mont Pèlerin.

Impossible de comprendre le christianisme sans rentrer dans le détail historique des disputes. Le christianisme n’étant qu’une suite ininterrompue de conflits, suite qui définit « la conspiration chrétienne » : un dogme se tient par son évolution contradictoire mais encadrée (on sait (ce) qui est « chrétien »).
Il en est de même pour l’économie, depuis cinq siècles environ (la question de l’épaisseur du temps et du contrôle de ce temps immense est ce qui définit une église, c’est-à-dire l’organisation formelle d’une « conspiration » : comment traverser le temps sans disparaître, au-delà des personnes qui incarnent, un moment, le dogme).

Ce que je nomme « conspiration du Mont Pèlerin » (en hommage à Mirowski, mais au-delà de Mirowski) englobe tout cela :
La reconstruction de l’Allemagne défaite et sous l’autorité américaine, voilà un nœud à étudier.
L’anti-communisme qui dépasse de très loin la guerre froide contre « les soviets » et qui doit être pensée comme un élément clé de la guerre civile américaine, guerre civile américaine propagée dans tous les protectorats, Allemagne, France, Italie, voilà un autre nœud à introduire.
Pour en arriver à la construction européenne comme autre élément de cette guerre civile américaine propagée.
Avec Macron qui s’autodéfinit comme celui qui « règlera » le conflit pour la France, France qui a résisté, mais de manière très ambiguë, avec son national libéralisme gaulliste d’essence vichyste.
Voilà des thèmes de recherche. J’en oublie, du plus théorique, qu’est-ce que l’économie comme projet politique ? au plus descriptif historiographique.

La conspiration du Mont Pèlerin est une véritable conspiration subjective (un complot même) à l’intérieur de la grande conspiration objective des économistes [3] : c’est le nom que l’on peut donner (par anachronisme et pour résumer) au projet long de reconstruire le monde sur une base économique et censée apporter paix et bonheur ; c’est un projet religieux, métaphysique.
Qui entraîne dans une guerre civile infinie.

Conversion, dressage, redressement, châtiment, expiation, tout un bazar inquisitorial.

La conspiration (comme la chrétienne) mobilise des dogmaticiens, des philosophes, des mathématiciens, des praticiens, des juristes, des avocats et, finalement, « tout le monde », puisque les agents économiques (résultats de la conversion religieuse) deviennent, une fois convertis, des officiers zélés (le zèle du néophyte qui doit prouver son adhésion).
La conspiration est « l’agence » d’un projet de domination religieuse.
Projet qui a, au moins, retenu des conquêtes religieuses (comme la christianisation) qu’il fallait prendre son temps, slalomer entre les obstacles inévitables, s’attendre à la rébellion des incroyants (ou des « vrais croyants » qui prennent le dogme à la lettre).
La conception de l’économie comme projet politique (nettement explicité par l’École de Virginie) ou comme projet religieux et, finalement, comme religion (pour surpasser les conflits religieux à l’ancienne), voilà ce qui manque totalement dans toute analyse de l’histoire économique, faits + doctrines, et pour comprendre cette histoire comme conspiration.

Arrivons aux linéaments, aux lignes de force, au squelette d’une analyse critique de cette nouvelle religion en cours de déploiement ; et c’est loin d’être fini, car il faut éliminer tous les adversaires et les faux amis (écologistes de l’économie verte) ; mais le temps n’est pas compté (contrairement à ce que pensent les écologistes radicaux collapsologues le désastre n’est pas dirimant, au contraire l’économie est plutôt apocalyptique, elle dénude et adore les catastrophes, guerres pour les marchands d’armes, épidémies pour les industries bio-technologiques, désertification favorable à la géo-ingénierie, etc.).
Une analyse critique de l’économie (de l’économicisation) exige d’étudier les évangiles du despotisme économique (comme une étude du christianisme implique une connaissance des évangiles).
Le modèle suivi par l’économie est celui de la christianisation ; l’économicisation s’opère comme une conversion religieuse de masse.
Il faut une église (avec des évêques) pour soutenir le dogme et le temps long exigé par la conversion ; surtout ne pas être pressé.
Il faut une foi inébranlable : la certitude qu’il faut convertir (pour le « bien »).
Le projet est donc métaphysique (eschatologique, sotériologique). Superbement hégélien.
Et les avanies du pouvoir religieux (nécessaire), les disputes dogmatiques, les hérésies même, les luttes de pouvoir, la nationalisation du religieux, tout cela doit « conspirer » à la gloire (d’une manière férocement dialectique).
L’économie est, donc, nécessairement « spéculative ».
Le point de départ (et d’arrivée) de l’économie se tient dans les guerres de religion qui sont, toujours, des guerres civiles.
L’économie a prétendu apporter une solution « économique » aux guerres de religion : réunifier le peuple chrétien (le but politique central de l’économie étant l’unification), construire « une religion laïque » qui sursume (toujours Hegel) les divisions chrétiennes en conservant le caractère métaphysique du christianisme.
Historiographiquement, c’est la colonisation de l’Amérique qui représente le tournant (vers le capitalisme).

Sitôt que l’on voit le capitalisme comme un système politique (despotique, une formation de domination) et non pas comme un « mode de production », l’industrialisation devient seconde, étant rendue nécessaire par les guerres (coloniales ou impérialistes).

La colonisation est décisive : l’organisation militaire (matrice de l’usine bagne), les dépenses publiques (militaires), les pillages, l’externalisation des conflits (les protestants réfractaires sont envoyés « aux colonies »), le système de la plantation (comme modèle général), l’esclavage, la matrice raciale et la racialisation des conflits, la généralisation de la guerre de conquête, mais aux colonies.
Se met à dominer le mode d’organisation militaire.
Avec le double effet du militaire, en interne (la discipline) et en externe (la subjection ou le pillage).
Il est impossible de penser l’économie en dehors des guerres coloniales.
Quels sont les personnages de l’économie (les conspirateurs) :
Le militaire colonial, conquistador, le missionnaire prosélyte ou le catéchiseur évangéliste, le marchand des compagnies coloniales, le maître des plantations esclavagistes ou la corporation minière qui manipule les guerres congolaises.
Colonisation, mise en esclavage, dressage, pillage, plantation, extraction minière, voilà des fonctions économiques.

Le marxisme économiste est tombé dans l’illusion de croire que le développement économique par l’industrialisation, certes fondé sur l’exploitation (interne), ne devait rien aux expéditions coloniales (depuis la constitution de types humains jusqu’à l’extractivisme, l’exploitation coloniale). Et si à la suite de Rosa Luxemburg se déploie une analyse de l’impérialisme, il faut attendre longtemps (le tiers-mondisme) pour mettre la colonisation (subjective et objective) au centre de la critique du capitalisme.
Et Foucault est totalement étranger à ce style de pensée.

Indiquons pour terminer cette recension quelques points délicats :

Le protolibéralisme économique a été caricaturé par Smith sous le nom de « mercantilisme ». C’est Smith qui invente ce terme (comme celui de « physiocratie »).
Ce que tente de camoufler Smith est que le protolibéralisme (nommé mercantilisme) est entièrement mobilisé par la conquête coloniale, des entreprises (ou compagnies) coloniales aux « colonies à sucre ».
C’est à ce moment (les débuts du capitalisme, 1500-1700) que se pose frontalement la question de l’esclavage, du dressage, de la surveillance.
On peut parler de « naissance de la biopolitique » (la gestion du parc esclavagiste) dans le cadre de la plantation coloniale et de son approvisionnement humain.
La biopolitique ne concerne pas simplement les corps, la santé, la reproduction (des petits esclaves, comme des agneaux) mais surtout « le moral ».
Le grand problème de l’économie (du développement) restera celui de la conversion des sauvages à la modernité : toujours le dressage, l’éducation technique, et les religions anciennes comme complément spirituel.
À la critique par Smith des Physiocrates (au moyen d’un travestissement complet de leur doctrine, travestissement malheureusement endossé par Marx le smithien), il faut opposer une critique physiocratique de Smith le moraliste (qui s’enfuit devant la thèse du despotisme, pour défendre celle de « la liberté naturelle », ou de la société civile libre, thèse malheureusement endossée par Foucault).
Cette critique peut commencer par l’analyse des contradictions de Smith.
Par exemple, pourquoi les colonies sucrières sont-elles les plus productives, alors même que règne (aux colonies) un « mercantilisme » autocratique ?

La propagande smithienne, whig, ou whiggish, a besoin d’un adversaire inventé (anti-libéral) les mercantilistes ou les physiocrates, les partisans d’un régime autoritaire en économie (qui ne croient pas en la liberté naturelle), justement pour faire passer la pilule ingérable de la société civile.
Bien que Hayek se présente comme smithien, il est, en fait, partisan du libéralisme autoritaire qui définit le mercantilisme (le protolibéralisme conquérant).

Toute l’économie néoclassique n’est pas smithienne, mais physiocrate (Walras en étant le prototype). Bien que cherchant à « démontrer » le principe smithien de la main invisible (ou de le liberté naturelle auto-organisatrice), les néoclassiques se sont appuyés sur les « axiomes » nécessaires à la construction d’un tel système auto-organisé, axiomes qui définissent organisent un système centralisé de planification au moyen du marché définit comme automate programmable.
On peut dire que la théorie néoclassique est une psychologie normative nomothétique ; les fameux axiomes définissant « l’économie libre » sont des normes comportementales. Normes mathématisées et donc rigidifiées.
Indiquons pour finir que la généralisation des comptes et de la monnaie repose intégralement sur cet ensemble de contraintes (psychologiques ou behavioristes) déterminant les actions économiques « acceptables ».

On le voit donc, il est temps de réécrire Foucault. Pas seulement de le lire.

Et ainsi nous deviendrons des conspirationnistes savants, des praticiens de la science sociale (nécessairement conspirationniste, objective).

[1Comme simple introduction à la critique du capitalisme, Katerina Kolozova, Capitalism’s Holocaust of Animals.

[2Vive le coronavirus : Rêve épidémique, LM 250, 29 juillet 2020, Un virus très économique, LM 258, 12 octobre 2020.

[3De même l’histoire longue du christianisme est parsemée de complots, dans la conspiration, et dont l’objectif est de défendre la respiration chrétienne saine, voire de la purifier (le thème de la purification étant essentiel pour toute conspiration, pour tout conflit interne au mouvement). L’histoire terrible des Franciscains peut se lire de cette manière. Mais on pourrait aussi parler des Templiers (très à la mode) ou des Hospitaliers, etc.

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