#GILETSJAUNES Tour de France - 5 janvier

Dans plusieurs villes de France, des lecteurs nous ont indiqué avoir vécu les manifestations les plus conséquentes depuis le début du mouvement...

paru dans lundimatin#173, le 7 janvier 2019

Les fêtes passées, nous revenons avec un tour de France des manifestations de Gilets Jaunes de ce samedi 5 janvier. Et il faut bien admettre que l’on ne constate pas le reflux annoncé (ce qui n’indique rien sur ce que sera la suite du mouvement par ailleurs). Encore une fois nous invitons nos lectrices et lecteurs à nous envoyer leurs récits, car le mouvement des Gilets Jaunes en province subit un traitement très « léger » dans la presse nationale (qui ne cesse pourtant de noter qu’il est constitué en grande partie de personnes habitant « en régions », voire en « territoires ruraux »). Ainsi plusieurs témoins, notamment à Caen ou Montpellier, nous disent y avoir vu ce samedi les cortèges les plus fournis et les plus déterminés depuis le 17 novembre. Et des événements auxquels on n’avait pas assisté depuis bien longtemps...

S’il est pour l’instant en grande partie constitué d’une recension de tweets, cet article sera mis à jour au fur et à mesure de notre récolte d’informations.

BORDEAUX

« Tout avait pourtant commencé dans le calme pour cet acte VIII des gilet jaunes à Bordeaux ». Et pourtant ce fut une très belle manif, si l’on peut encore parler en 2019, de manif. Comme les précédents samedis nous y avaient habitué, le début d’après-midi s’est résumé a faire un tour de chauffe dans la ville avec toutefois un parcours inatendu. A 14h c’est une foule au moins aussi massive que les samedis précédents (il faut rappeler qu’à Bordeaux, la rue n’a pas désemplie depuis début décembre), qui s’élance en direction de la gare puis du gros comissariat central pour revenir à son point de départ ; la place de la bourse. « L’ambiance est alors bon enfant ». On peut observer un cortège de femmes réunies derrière la banderole « les femmes c’est comme les pavés, à force de marcher dessus, on se les prend dans la gueule ». Il y a aussi ce groupe de gens qui portent des croix jaunes, au nombre de onze, pour honorer la mémoire des gilets jaunes morts depuis le début du mouvement. Certains prennent la parole contre la répression, et il ya là, présente derrière une banderole, une des personnes qui a perdu sa main dans un rassemblement bordelais qui lève le poing avec sa seule main valide. Il est accompagné d’autres blessés du mouvement. Pour contrebalancer cette ambiance terrible, un mégaphone diffuse le zouk du gilet-jaune. Ce qui ne manque pas de faire danser quelques personnes en fluo.

On passe donc devant la gare sans l’investir malgré l’envie manifestée par certains d’y rentrer. La foule est encore trop timide, d’autant que l’absence totale de dispositif policier (si l’on excepte l’hélico bruyant et intrusif qui met la pression depuis le début) laisse tout le monde incrédule. Aucun gauchiste n’aurait pu imaginer un tel scénario. Nous nous dirigeons vers le commisariat non sans quelques hésitations de parcours, certains voulant rejoindre au plus vite le palais Rohan ; l’Hôtel de ville centre de toutes les batailles du samedi. La tête de cortège veut se rendre au commisariat où est détenu en GAV Peter, le Drouet local. En chemin, le cortège croise une dizaine de crânes rasés, qui arborent pour certains des T-shirt Bastion social. Certains les ayant reconnus leur signifient de dégager. S’ensuit une bagarre et la foule se met à chasser ces indésirables dans une rue adjacente. Ils peuvent bien diffuser l’info que « des gilets-jaunes se sont fait agresser par des antifas », ils savent qu’ils n’ont pas trop intérêt à revenir samedi prochain.

Aux abords du commisariat, à l’entrée de Mériadeck qui est aussi le quartier de la préfecture, on croise le premier dispositif de police. Le cortège préferera dévier sa trajectoire avant que la situation ne se tende davantage, pour revenir à son point de départ non sans que quelques façades de banques se fassent redécorer de jaune au passage. Malgré des tentatives de reprendre une route qui traverse l’hypercentre, via les rue commerçantes, pour atteindre l’hôtel de ville, le gros des troupes rejoint le point de départ. Quand la tête de cortège annonce que le défilé s’arrête ici (mais qu’elle n’empèchera personne de continuer) la supercherie est trop grande et c’est la quasi totalité des gilets jaune qui continue sa marche laissant les quarante organisateurs « sympas », seuls avec leur mégaphone au milieu d’une place vide. La marche reprend donc, avec une toute nouvelle fraicheur. On emprunte le trajet le plus court pour rejoindre la mairie, certains allumant des barricades au passage. Il faut dire que depuis bien 2h que l’on marche à petits pas, tout le monde avait envie de se dégourdir les jambes. Dixit un gilet jaune à son collègue : « à marcher comme ça, on gagne rien, on gagne que des ampoules aux pieds ». Arrivés à Pey-Berland, on ne tarde pas à se faire doucher par le canon-à-eau. Ce qui galvanise la foule de plus belle. S’ensuivent 2 heures d’affrontements, face aux grilles anti-émeutes qui protègent la mairie de l’intrusion des gueux. Au fil des minutes, c’est une véritable industrie de dépavage qui se met en place alimentant régulièrement en projectiles les émeutiers en première ligne. Bien que cet affrontement soit un peu stérile et qu’il tend à se ritualiser samedi après samedi, certains parviennent encore à trouver des brêches. C’est le cas quand le canon à eau parait tomber en panne après ce qu’il faut bien appeller un ridicule jet de pistolet à eau. Une clameur emplit la place qui parait alors, d’un bloc, se diriger derechef vers les grilles de police. Auraient-elles été envahies sans l’intervention providentielle de forte doses de lacrymo ? Ce qui est sûr, c’est que personne ne veut partir de cette place qui est désormais la nôtre. Et qui sait, les flics n’auront peut-être bientôt plus de gaz non plus.

Prévenant l’arrivée de renforts par les rues adjacentes, certains gilets jaunes ont enflamé une voiture en guise de barricade en amont de la place. Une batucada énergique et peu froussarde joue au plus proche des affrontements. Quand le soleil commence à décliner, deux nouvelles voitures sont enflammées face au canon à eau (en panne rappelons-le) sous les vivats de la foule. On se rassemble autour de ce feu de joie qui permet aux gens de sécher leurs habits trempés par le canon-à-eau. Le carillon de la cathédrale Pey-berlan se met alors à retentir, se mélant au son des tambours martiaux de la batucada, au bruit des cailloux qui se cassent et à la clameur de la foule. Il faut bien dire que c’est une scène « son et lumière » d’une grande beauté.

Après deux bonnes heures donc, les flics finissent par réussir à se déployer dans les rues adjacentes à grand renfort de LBD, non sans se prendre de bonnes volées de pierres bordelaises. Encore une fois le son et lumière, la pyrotechnie ; sans doute les restes d’un nouvel an en famille ou entre amis. La foule toujours très nombreuse doit se replier car les flics sont clairement venus là pour « casser du gilet-jaune », et sont de surcroit équipés d’armes très dangereuses. Fâchés d’être évincé de la sorte, le cortège se met alors à tout casser sur son passage, talonné de près par les lignes de GM. Banques bien sûr mais aussi agences immobilières, arrêts de tram et magasin de vélo bordeaux-metropole en font les frais. Un agent immobilier témoin de la scène, dira au micro de france 3 : « c’était des gilets-jaunes hein, pas des casseurs, des gilets-jaunes ». Gilets-jaunes qui cassent, casseurs qui revêtent un gilet jaune ?, on ne sait plus guère ; confusion de cette époque.

Chassé par les GM et la Bac, le reste des troupes qui ne s’est pas encore dispersé continue en direction de la gare érigeant dès qu’il est possible des barricades enflammées pour ralentir la progression des flics (selon les méthodes que tout le monde a appris intuitivement depuis plus d’un mois). Après une ultime division du cortège, une centaine de gilets ira tenter d’incendier le commisariat du quartier des Capucins avant de s’évanouir dans la nuit bordelaise. Tandis que d’autres continueront vers la gare en hésitant sur le chemin à prendre.

C’était, lisait-on dans les médias à propos de l’acte 8 des gilets jaunes à la veille de ce samedi 5 janvier, une « journée-Test ». Particulièrement à Bordeaux. Et bien, on saura désormais qu’il ne faut pas « Tester » un gilet-jaune. Au milieu de la dispersion, vers 19h30/20h, en tout cas, d’un seul regard, avec les yeux rougis par les lacrymos mais tout autant pétillants de malice, rendez-vous était pris pour samedi prochain.

MONTPELLIER

Selon Midi Libre (presse locale), les premiers gaz seraient tombés vers midi et il y avait déjà un blessé à 12h30 (atteint au visage par un tir de LBD40). Arrivés un peu en retard, à 13h30, nous resterons dans le coeur de ville quasi-piéton jusqu’après la tombée de la nuit, aux alentours de 19h.

Jamais nous n’avions vu cela à Montpellier : ni aux fameux « Carnaval des gueux » alternatifs, ni à l’occasion des appels régionaux des plus grandes manifs contre la « loi travail », ni à l’occasion de celles contre la sélection à l’université/en soutien aux cheminots… Et même pas lors des week-ends précédents celui-ci dans la mobilisation « gilets jaunes » ! Lunettes de protection, casques de chantiers et de moto par dizaines, masques à gaz, boucliers fabriqués maison et amenés sur place, plusieurs banderoles renforcées… A peine arrivés au rassemblement sur la Place de la Comédie (place centrale), nous suivons le cortège vers la Préfecture. Celui-ci est sûr de lui, la légitimité qu’il porte ne semble jamais avoir été aussi solide. Des visages de manifestants blessés la semaine précédente sont imprimés sur de grandes pancartes et brandis par certains. Les gens sont souvent venus en famille ; pères, fils et collègues se côtoient en premières lignes.

On est samedi d’après-Noël : nous sommes vite mêlés à une foule de consommateurs promeneurs un peu surpris, mais affichant régulièrement du soutien ! Quelques-uns rejoindront la foule à la vue de sa détermination : des groupes de jeunes, des personnes plus âgées, en bref une manif hétérogène comme rarement vu ici… On ne peut même plus se compter mais on finira par s’aligner sur « plus de 2000 » !

Les feux d’artifices dialoguent avec les lacrymos, les principaux bars du centre sont évacués (des gilets jaunes aideront des commerçants à remballer leurs tables et leurs chaises), les forces de l’ordre reculent à plusieurs reprises. Commencent à se mettre en place un petit jeu du chat et de la souris dans toute la partie Sud du centre-ville : allers et retours entre la Place de la Comédie et la Préfecture ; affrontements larvés au niveau de la Préfecture et de ses Halles ; petites rues commerciales, sinueuses comme il faut, investies par une foule solidaire et motivée ; plusieurs départs de cortèges sauvages improvisés, vers Observatoire, le Jeu de Paume et le Peyrou, mais surtout vers la Gare – évacuée – où des barrières sont forcées, le parvis investis de force, et les vitres attaquées pendant de longues minutes ; des banques défoncées par des profils tout à fait insolites ; des barricades érigées par dizaines ; des feux de poubelles allumés jusqu’au début de soirée ; les grilles de la Cour d’Appel incendiées (sur l’avenue la plus riche de toute la ville, où trône l’Arc de Triomphe)…

En bref, plus de cinq heures d’émeutes dans le centre bourgeois de la Métropole, et un dispositif policier complètement à la ramasse. Cela dit, une répression qui a l’air comme à son habitude très violente, avec plusieurs blessés (un hospitalisé, et de nombreux « blessés légers ») et au moins 5 interpellations. De son côté, la Préfecture annonce quatre policiers blessés, dont le commissaire Patrice Buil, chef de la sûreté départementale de l’Hérault !




NANTES

SAINT-NAZAIRE

RENNES

CAEN

Comme les semaines précédentes le samedi de manifestation est précédé d’une action le vendredi soir pour donner le ton. Et celui-ci est sans appel, 100 personnes font le trajet vers 23h à Ouistreham, le port ferry de la Manche, à 15km de Caen. Là bas, l’objectif est de bloquer l’embarquement des camions et de leurs marchandises. Si les médias continuent à nous faire douter sur la détermination des gens il faut donc encore une fois se défaire de cette idée, pour qu’un tel nombre de personnes parte tard un vendredi soir pour une action de ce type, c’est que la mobilisation est loin de faiblir. Sur le port, la situation se tend rapidement et les gendarmes interviennent à coup de gaz. La colère est grande et on se promet que demain sera chaud.

Effectivement, les ambitions sont grandes pour ce samedi. Au rassemblement il y a du monde, 3000 personnes, et du monde d’équipé ! Après un petit sketch informatif, le cortège avance et grossit, empruntant des chemins ignorés des manifestations syndicales. Si le cortège est festif et bruyant on sent pourtant quelque chose qui cloche, personne ne comprend où il est baladé, et c’est après une heure de marche qu’enfin on comprend qu’on se dirige vers le commissariat central ! Voilà qui est pour le moins inattendu, la foule se scinde en deux pour atteindre le commissariat de deux côtés. Les flics sont évidement de sortie et les groupes se regardent sans agir. Quelques Marseillaises entonnées, quelques promesses mais rien de plus. Ça tourne en eau de boudin et comme dirait un tract passé, il semblerait que des pacifistes en marge de la manifestation la fassent dégénérer…

Alors plutôt que ce stérile face à face on s’en retourne en ville pour « honorer les morts et les blessés ». Nous voici à la mairie, puis devant la préfecture où un vieux fasciste et ses chiens voulaient monter un coup de com (il en sera pour ses frais en terme de com). À nouveau le face à face, mais cette fois, pas question qu’on fasse la morale à qui voudrait jeter sa haine à l’endroit de ceux qui nous mutilent pour protéger leur ordre. Les pierres volent et les lacrymos aussi. La foule se disloque pour mieux se retrouver mais pour encore surprendre par sa mobilité. En deux groupes, les gilets jaunes partent en ville pour se réunir à la banque de France. Afin dit-on d’y vérifier ce dicton rouennais « porte qui brûle fait foule en liesse ». Mais la porte ne sera jamais atteinte, quand un groupe voit l’autre au loin sous les nuées de gaz, il file le rejoindre et place de la Résistance, en centre-ville, c’est la réunion.

A 13h 30, le chantier du tram qui traverse la ville commence à être démembré. S’en suivent 6h d’émeute comme la ville n’en a pas connu depuis au moins 40ans, d’aussi loin que s’en souviennent les plus âgés d’entre-nous. Sur la place les barricades s’enchaînent et s’enflamment, le sapin de Noël aussi. Il y a les barricades qui visent à entraver la vision des flics et leur mouvements par le feu et les barricades mobiles pour protéger celles et ceux qui balancent les pierres, boulons, etc. sur les CRS. Les tags commencent à fleurir et toute la foule prend plaisir à mettre la main à la pâte. Qui, par le désossement du chantier, qui, par la mise au feu, qui, par la recharge en pierre, la recharge en bouffe, le guet, etc. De tous âges, et même des badauds s’en viennent à nous
prêter main forte.

Quand la bac tente une incursion ce sont des dizaines de gilets jaunes qui se font une joie de leur sauter dessus, alors ils restent à distance de tir. Les policiers sont en sous-nombre, même après que des renforts de CRS parviennent dans la ville, la police ne saura que faire reculer les manifestants mais jamais disloquer le rassemblement. L’intelligence de la situation est aiguë, les barricades ne sont pas seulement de front face à la police elles sont aussi sur les rues attenantes, et en flammes. Il y a ainsi jusqu’à une dizaine de barricades simultanées et tenues. Au milieu c’est la liesse et les regards incrédules. La force s’éprouve comme jamais, les tactiques s’affinent. On progresse parfois et faisons reculer la police. Les flash balls pleuvent et l’avenue est un brouillard de gaz mais ce sont bien 500 personnes qui demeurent tout du long.

L’accord est général, fini de tendre l’autre joue, fini de se plier à l’ordre, même l’une des figures médiatiques de Caen, négociatrice en début de mouvement avec la préfecture l’affirme dans son live de la journée « on a été gentil on
s’est fait foutre de notre gueule maintenant les gens sont en colère et ils ne s’arrêteront pas » . Et oui, il faut bien être aux commandes depuis trop longtemps pour croire que ceux qui subissent l’ordre vont s’en tenir aux règles d’un jeu qui les brise. La foule reculant dans l’avenue emporte avec elle les vitrines de banques, d’agences d’intérim, les horodateur sont brisés ou en flamme. Un chantier sur le côté est investi de force et tout son matériel vient renforcer les barricades. Y compris un grand bidon d’huile qui égayera sacrément un feu. Les colonnes humaines transportent le matériel sous les vivats et les conseils. La nuit tombe et la foule s’amenuise mais pas la détermination, encore une fois la police ne parvient pas à rompre l’unité et ne fait que nous faire reculer. Mais dans le sens que déterminent les manifestants, et celui-ci longe évidement le chantier du tramway.

Dans la nuit, le spectacle est magique, les colonnes de feux sont immenses et bientôt un engin de chantier vient se mêler au brasier et plus loin un deuxième. La Bac tente une nouvelle entrée sur le côté mais ne parvient pas non plus à briser le cortège. Il est 19h30 et ce samedi à Caen ne ressemble à aucun autre. Celles et ceux qui repartent se donnent rendez-vous au samedi prochain quand ce n’est pas plus tôt, la gorge et les poumons détruits mais avec des étoiles
dans les yeux. Si la majorité des gens continent à dire qu’ils ne sont pas des casseurs c’est bien par ce que l’appareil médiatique a mordu sa propre queue. En effet, si les casseurs sont des gens hors du mouvements qui cassent sans raison n’importe quoi et n’importe qui, la foule elle sait ce qu’elle casse et pourquoi : il n’y a donc pas de casseurs en son sein et elle n’en a jamais vus.

ROUEN

BEAUVAIS

VALENCIENNES

SAINT-ETIENNE

LYON

Le matin, un rassemblement était prévu à 10 h devant l’ancienne gare des Brotteaux par la Coordination des Gilets jaunes de Lyon. Il est placé sous le signe des « attentes pour une véritable démocratie, pour une justice sociale, fiscale et pour une transition écologique ». L’objectif de cette manifestation est « de faire de bruit », et les participants sont invités à amener sifflets et instruments. (...) À noter que l’action n’a rien de « secrète » contrairement à celle du samedi matin précédent et qu’elle est même annoncée dans la version numérique du journal Lyon capitale. 200 à 300 personnes au départ, mais on se rend vite compte que cette action n’a pas de but défini, qu’il n’y a pas de blocage prévu alors que nous sommes assez nombreux pour en tenter un. Malgré l’habituel laïus des porte-voix de la Coordination sur les consignes en cas d’arrestation, on comprend bien vite qu’un parcours a dû être déposé puisque c’est une simple manifestation promenade dans le quartier résidentiel du 6e arrondissement qui nous est proposée.

Une autre différence avec la semaine précédente, la police est discrète, n’interpelle personne et nous laisse partir. Au lieu du maximum de bruit attendu, c’est une manif atone du type syndicale à peine troublée par quelques Marseillaises, des « Tous ensemble » des « deux pas en avant trois pas en arrière ». Malgré la présence de quelques militants libertaires ou Lutte ouvrière, mais sans leurs badges, on peut dire que le cortège est plutôt de tendance « nationale » (type Frexit), « apolitique » plus que « social » et fortement différent des cortèges des samedis après-midi qui se caractérisent par un débordement systématique par rapport aux « apprentis organisateurs ». Ici ce qui l’emporte c’est le « Gilets jaunes-pas casseurs » scandés vers l’Hôtel de Ville après un bref arrêt coupant l’axe Nord-Sud au niveau du Pont Morand où la majorité des Gilets jaunes vont se mettre en position « lycéens de Mantes-la-Jolie ». Ce point est intéressant parce qu’il montre comment fonctionne le mouvement ou du moins une partie de celui-ci. En s’agenouillant (ce que nous « les militants » nous refusons de faire car ce serait adopter une position victimaire), les Gilets jaunes indiquent qu’on les traite comme des moutons à l’abattoir, mais en même temps ils gueulent « résistance », alors que nous nous aurions tendance à penser, surtout à Lyon, en canuts : « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ».

C’est un peu comme si les manifestations du matin, décidées et organisées à partir des réseaux sociaux et surtout de Facebook regroupaient et façonnaient une sorte de militant type des Gilets-jaunes : un peu refermé sur ses propres sources parallèles d’information, ses vidéos qui tournent en boucle, son gilet jaune, occupé à fabriquer ses propres références qui ne sont pas trop celles du passé, au risque de tendre vers une sorte d’entre soi. Quoi qu’il en soit, cette manifestation comprenait une énorme proportion de porteurs de Gilets jaunes par rapport au reste des manifestants, alors que les après-midi, c’est du 50/50 et encore à grand-peine. C’est une dimension que la presse, nationale comme régionale ne semble pas prendre en compte alors qu’elle nous semble importante non seulement pour rendre compte fidèlement des faits, mais aussi des devenirs possibles du mouvement, c’est-à-dire de savoir si, comme le pensent la plupart des Gilets jaunes tout le monde doit devenir Gilets jaunes ou si le mouvement va grossir de telle façon que le Gilet jaune ne sera plus le signe de reconnaissance ou qu’un signe parmi d’autres.

Par exemple, les personnes qui viennent sur Bellecour, y viennent assez indépendamment des réseaux sociaux parce qu’elles savent que c’est le point de fixation de 14 h tous les samedis quoiqu’il advienne, que s’y opère un vaste brassage et que le nombre de présents augmente vite, que c’est là que le mouvement fait masse et montre sa force. C’est encore ce qui s’est produit aujourd’hui avec une manifestation partie très vite (à peine 14 h), comme si ça pressait, comme s’il fallait prendre un chemin bien précis, celui que nous laissaient les forces de l’ordre (que cela ait été négocié à l’avance ou pas).

Nous empruntons donc la rue de la République jusqu’aux Terreaux puis la manifestation essaie de franchir le pont la Feuillée en direction de St Paul, mais pour des raisons que nous ne connaissons pas un mini affrontement a lieu avec la police ; quelques coups sont échangés. Malgré cette situation conflictuelle la manif prend le quai rive gauche de la Saône. Arrivée au pont Bonaparte, nouvelle tentative, minoritaire de passer sur St-Jean, mais le gros de la manif avançant assez vite tout le monde se regroupe et passe sur le côté de Bellecour. Après la grande Poste le cortège vire à droite en direction de l’axe Nord-Sud qui n’est que partiellement bloqué. Nous sommes environ 2000. Les forces de l’ordre contrôlent la situation, mais de loin.

Comme le week-end précédent, les automobilistes manifestent toujours autant leur empathie pour le mouvement malgré le tracas occasionné lors de cette remontée de l’A7. À l’arrière et tout à coup, à hauteur de l’ancienne prison St-Paul, la police bloque complètement la circulation aussi bien sur les deux voix que par les deux côtés. À l’avant elle nous expose au choix entre grenadages à découvert ou prendre le pont Pasteur en direction de Gerland, parce qu’elle nous coupe complètement un retour vers Perrache puis la presqu’île via le cours Charlemagne. Malgré cela le centre commercial Confluence à fermé en prévision car quelques groupes de manifestants semblent avoir atteint ses parages.

Nous nous retrouvons donc à Gerland, mais là changement de décor, après la visibilité aux yeux de tous les automobilistes, c’est le no man’s land qui nous attend… avec les grenades qui vont avec. Sur ce terrain défavorable fait de grandes avenues, nous essuyons, sans aucune sommation de la part de la police, toute une série de grenadages par exemple sur le boulevard Yves Farge et les petites rues alentours accompagnée de charges de police auxquelles répondent quelques tentatives inutiles de petites barricades faites de poubelles et barrières.

Passant à grandes enjambées Jean-Macé les flics nous suivent de près et balancent des lacrymos plusieurs fois depuis l’arrière dans cette traversé du 7éme arrondissement. Nous rejoignons malgré tout les quais, mais les ponts de la Guillotière et Wilson sont fermés aux piétons par des cordons de CRS ; certains d’entre nous passent alors par le pont de l’Université, d’autres par le pont Lafayette car les flics ne peuvent apparemment pas tous les tenir et nous revoilà à Bellecour. De fait la rage et la ténacité des GJ est incroyable. Il est impossible de les disperser. Sans cesse ils se regroupent et là encore vers 17h30 tentent de quitter en manif la place Bellecour en direction du Vieux Lyon. Nouveaux grenadages. Les gens s’insurgent, insultent les flics, les bacqueux chargent à nouveau et bastonnent quelques manifestants sans toutefois les arrêter. Un flic se permet même de répondre aux insultes des manifestants en disant : « moi je suis républicain ». On ose penser au bourrage de crâne qu’ils doivent subir contre l’image des extrêmes qui leur est proposée par leurs supérieurs ! Mais en même temps leurs ordres ne sont pas clairs car ils n’ont pas arrêté ceux sur lesquels ils ont tapé. Ils les ont laissé repartir ; il faut dire que c’était sous les huées de dizaines de témoins qui les insultaient à leur tour. Tout cela a duré un moment où sur la place des jets de pierres ou autres répondaient à des grenades avec les paumés de la BAC qui, dans la nuit tombante, cherchaient à tout prix à mettre la main sur un « casseur ».

Après un énième copieux grenadage nous nous sommes dispersés pour nous retrouver devant le ciné Pathé rue de la République. Moins de Gilets jaunes visibles et ce pour éviter de se voir refoulé mais une réelle détermination à être présent là ou il y a du monde. Nouveau grenadage puis ensuite aux Célestins et ainsi de suite jusqu’à la rue Mercière puis à hauteur du lycée Ampère. Ce qui est remarquable c’est la peur qui habitait les policiers dans les petites rues qu’ils ne connaissent absolument pas vu que la plupart ne sont pas de Lyon. Par petites cohortes de 10-12, ils étaient là à chercher s’il en manquait un, pauvres chiens sans collier. Un « spectacle » à la fois lamentable et dérisoire laissé par le pouvoir.

À 19 h tout était terminé.

TOULOUSE

  • RDV 13h devant le capitole, peu de flics visibles mais beaucoup de camions et le fameux camion à eau.
  • Début très calme en plein centre-ville, plusieurs tours du centre, entre 3 et 4000 personnes.
  • Les flics sont repoussés plusieurs fois, quelques tags et de la peinture sur les flics et quelques magasins.
  • La manif se dirige vers les boulevards et surtout la préfecture, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Le cortège s’attarde un peu, quelques jets de peinture et feux de poubelle sur le batiment mais visiblement la surprise était trop grande pour qu’elle soit vraiment prise d’assaut.
  • La manif était autorisée jusqu’à 16h30. De retour vers le centre, les flics se montrent plus agressifs : gros gazage rue Alsace-Lorraine qui a pour conséquence d’enrager la foule qui s’en prend à tous les magasins et autres banques en allant vers les Carmes.

  • Le cortège contourne ensuite le dispositif pour se retrouver à nouveau rue Alsace-Lorraine et des affrontements éclatent à nouveau. Une touriste étrangère qui était là se prend un truc dans la tête, elle s’effondre, ils continuent de gazer comme des batards. Un gros chantier est dépouillé et des barricades sont montées dans la plus grosse artère commerciale de la ville.
  • Bonne année 2019 !

POUR FINIR

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