Fatal Error, le Mac O ne répond plus

« Les PDG étaient furieux, l’ensemble de leurs entreprises étaient soit occupées soit pillées, et le CAC 40 avait brutalement disparu »

paru dans lundimatin#173, le 7 janvier 2019

Une fois n’est pas coutume, voici une nouvelle d’anticipation qui projette notre futur ex-président déchu dans la figure d’un ordinateur dernier cri victime d’un bug mystérieux.
"La réunion de direction avait été épouvantable. La presque totalité des PDG lui étaient tombée dessus tel un seul homme, comme si la responsabilité de la situation, certes catastrophique, fut entièrement sienne. Et pas moyen de leur faire entendre raison ; pour la plupart venus d’écoles commerciales et administratives, ils n’entendaient rien aux questions techniques. Pour eux, la machine devait répondre à leurs objectifs comme par magie, aucun esprit pratique. Avec ça, allez leur faire comprendre que l’intelligence artificielle du modèle Mac O R.5.2 (version mise en service sous l’appellation mieux connue et plus glamour de “Mac Rond”) ne pouvait pas réagir autrement qu’elle ne l’avait fait."

La réunion de direction avait été épouvantable. La presque totalité des PDG lui étaient tombée dessus tel un seul homme, comme si la responsabilité de la situation, certes catastrophique, fut entièrement sienne. Et pas moyen de leur faire entendre raison ; pour la plupart venus d’écoles commerciales et administratives, ils n’entendaient rien aux questions techniques. Pour eux, la machine devait répondre à leurs objectifs comme par magie, aucun esprit pratique. Avec ça, allez leur faire comprendre que l’intelligence artificielle du modèle Mac O R.5.2 (version mise en service sous l’appellation mieux connue et plus glamour de “Mac Rond”) ne pouvait pas réagir autrement qu’elle ne l’avait fait. S’ils avaient été en mesure de comprendre qu’un tel ordinateur produisait des réponses en fonction, et en fonction seulement, des données qui avaient nourri son unité centrale –son “cerveau positronique”- ils auraient peut-être saisi tout le poids de leurs propres choix dans le fiasco actuel.

Ce n’était en effet certainement pas la faute des ingénieurs si le Mac Rond s’était retrouvé avec les chiffres du CAC 40 en lieu et place de l’Histoire de l’humanité initialement prévue. Les ingénieurs avaient réalisé le modèle le plus abouti jamais conçu. Tout le monde avait loué sa forme aérodynamique qui tranchait avec les vieux appareils encore en service et, qu’à défaut d’utilité prouvé, l’on envoyait à l’Assemblée (les concepteurs de ces derniers étaient encore fiers de voir leurs DP.U.T lever les bras et retransmettre des messages préenregistrés quand l’équipe Mac lança la version R.5.2, les reléguant au rang de vulgaires marionnettistes).

La version Mac Rond était malléable à l’envie. Du haut de sa parfaite blondeur (choisi par le laboratoire L’Oréal, grand pourvoyeur de présidents depuis des lustres), il pouvait réciter des philosophes et créer ses propres sophismes. Une merveille technologique. Mais ces imbéciles de commerciaux avaient insisté pour qu’il soit connecté en temps réel à l’ensemble des bourses électroniques du monde entier, afin d’être toujours programmé pour chercher le bénéfice maximal des entreprises du CAC40. C’était idiot mais, d’une certaine façon, nationaliste, si bien que les ingénieurs avaient fini par céder. D’autant, qu’en dernier recours, c’était bien les commerciaux qui finançaient le programme.

Les publicitaires avaient lancé le produit. C’était une gageure pour la pub mais, retrouvant un peu de l’esprit caustique qui avait hissé la discipline au rang d’art le mieux apprécié de l’époque, les publicitaires avaient planché sur le concept du rien qu’il
leur revenait de vendre. Et ils avaient simplement renversé le problème. C’est ainsi que la campagne “Un président ergonomique sinon rien” avait rencontré le succès que l’on sait.

Les ingénieurs étaient cependant inquiets, ils avaient été interpelés par un spin doctor un peu dérouté qui leur fit remarquer que le Mac Rond mélangeait allégrement des notions de philosophie mémorielle avec les cours en bourse de Danone SA et Vinci. L’équipe d’ingénieurs réunit des psychologues, des historiens et des traders afin de tester le Mac, et se rendirent vite à l’évidence : le bug se trouvait au cœur du système d’exploitation. Ne pouvant le réinitialiser sans risquer de perdre le disque dur, ils bricolèrent un patch, lequel permit au Mac Rond d’établir une sorte de bourse des valeurs mémorielles. Vaille que vaille, il parvenait ainsi à discourir, l’ergonomie faisant le reste.

On le voit, les ingénieurs ne furent pas à l’origine du problème. Les PDG auraient dû, tout au contraire, féliciter l’équipe technique pour les multiples patchs qu’elle s’était échinée à concevoir en toute urgence pour répondre à la multiplication des disfonctionnements. Le travail était d’autant plus éprouvant que les ingénieurs le savaient vain. En effet, le Mac Rond avait très vite révélé une faille mortelle qui le condamnait à brève échéance : un délire mystique (Fatal Error System). Pour une raison confuse, forcément confuse, la merveilleuse machine avait commencé à s’identifier à un dieu de l’Olympe (ou un héros de l’Elysée, c’était selon), et tout se détraquait d’heure en heure.

Les PDG étaient furieux, l’ensemble de leurs entreprises étaient soit occupées soit pillées, et le CAC 40 avait brutalement disparu. Cette disparition était d’ailleurs à l’origine du dérèglement final du Mac Rond qui avait ainsi perdu sa source d’alimentation. Il allait dorénavant, triste pantin la chemise en lambeaux, perdu dans les rues de la ville, clamant : “les foudres de Zeus seront terribles !”. Parfois, un passant le reconnaissait et se prenait un selfie avec le pauvre robot qui avait voulu être dieu.

Johan Sébastien

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