Fascisme ou économisme ultra ? Nous voulons les deux

Par Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#164, le 8 novembre 2018

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Les républicains qui se disent « progressistes », en marche ! mais vers où ? tentent d’en appeler à une nouvelle sorte (bien avariée) de « front républicain » (« progressiste ») pour essayer de rejouer en boucle le second tour, pipé, de la présidentielle : « progressistes », mais de droite ou de centre droit, contre « fascistes », mais qu’il vaut mieux définir comme des « économistes ultras » à la Trump Bolsonaro et tous les autres autocrates avec leurs milices du capital.

Ces républicains « progressistes », toujours en marche, voudraient faire croire qu’ils représentent « une alternative », nommée « démocratique », comme la démocratie chrétienne, une option à ce qu’ils dénoncent, à ce que, encore une fois, le second tour, tordu et distordu, de la présidentielle a pu représenter (mais par hasard, à la Condorcet – Arrow – Sen) : la technocratie économique des agents comptables CONTRE l’autoritarisme, à la limite du fascisme, économique des milices mafieuses au service des possédants ; chacun sachant que ce duel supposé est un duo véritable, qui structure la droite autoritaire, française, par exemple, toujours intégriste de l’économie, et jusqu’au (défunt) « PS » ramené à ses fondamentaux atlantistes ; et qui structure une sorte de vaste marais de droite depuis, au moins, 1930, de la modernisation au développement économiques, cet économisme intégriste composant son répertoire parfait, par ses discordances et ses dysharmonies et se nommant VICHY.

Cette « modernisation économique », d’abord inspirée par l’Allemagne, puis par les États-Unis, qui porte la marche républicaine est ce qui marque du sceau de VICHY toutes les républiques postérieures, jusqu’au régime des agents comptables.

Message de LREM à propos de l’élection de Bolsonaro (au Brésil), et les leçons à en tirer pour la France :

« Cette tragédie électorale nous oblige. Nous n’avons pas le choix, nous ne devons pas échouer. Sinon nous voyons ce qui nous attend. Progressistes de tous les pays, unissons-nous. »

Le sujet caché, déplacé, décalé, dérobé, du conflit se nomme « société de consommation », métonymie de l’économie.
Depuis plus de deux siècles, l’économie est devenue l’unique moyen de maintenir l’ordre des « républiques » : la promesse, le mythe, la croyance en « la société de consommation » et en la possibilité de l’enrichissement pour tous (le rêve américain) reste le seul moyen d’assurer l’unité politique.
L’effondrement du mythe, l’abandon visible de la promesse de sortir de la misère (des grands pères) signifierait l’explosion des « républiques économiques ».
Sans le ciment économique, plus rien ne tient.
Or c’est ce ciment même, la promesse de la consommation, qu’un mouvement, comme celui de Bure, peut ronger.
D’où la qualification de terrorisme chavezien !
Aucun gouvernement « républicain » ne peut abandonner une politique économique de croissance, même distordue ou inégalitaire, car c’est la seule politique qui reste ; et au-delà il n’y a plus de politique « républicaine ».
Et comme cette politique, nécessairement économique, devient de plus en plus impossible ou « mal barrée » (pour caricaturer le Lacan) les « républicains progressistes », en marche arrière, deviennent toujours plus autoritaires ; et bientôt fascistes.
Redécouvrant le fascisme sans fascistes que décrit si bien le film de Monicelli, Vogliamo i colonelli !
Bien loin d’une opposition « républicains » progressistes CONTRE fascistes économistes ultras, bien loin d’un duel mortel, nous avons un duo d’amour.

Reprenons la question à l’envers.

Nous allons actualiser la vieille thèse marxiste que le fascisme est le dernier rempart du capitalisme.
Thèse développée dans les années 1930, après l’élimination des SA par les notables nazis, comme gage donné aux grands capitalistes allemands de l’acier ou de la chimie. Le « national-socialisme » se transformant en « national capitalisme ».
Et le fascisme est devenu le vecteur de la répression violente « anti-communiste », anti-syndicale, anti-ouvrière, etc.
Ne voyons-nous pas cela ressurgir au Brésil ? Mais également dans tous les pays « autoritaires », comme la Turquie, par exemple.
Et comme en 1930, la droite, qui se dit « non fasciste » voire du centre, tente de jouer de la menace fasciste, mais décalée, pour faire de l’autoritarisme, anti-syndical en priorité, mais aussi contre tous les mouvements anti-économiques (dénoncés comme « chavezistes » partisans de la pénurie), pour faire de l’autoritarisme sans le fascisme : fascisme sans fascisme, comme le café décaféiné.
Et c’est bien comme cela qu’il faut interpréter l’action répressive, tous azimuts, de la droite des macrons (« le centre »), faire du fascisme sans fascisme.
Qu’est-ce donc que ce fascisme, franc comme au Brésil, ou déguisé en autoritarisme nationaliste, comme en Chine ou en Turquie, qu’est-ce que cette droite versaillaise, cet autoritarisme sous le double masque du « centre » ou de « la démocratie chrétienne » :
Tout simplement un économisme ultra.
Il faut toujours ramener les choses, dites politiques, culturelles ou morales, à l’économie ;
À l’économisme.
Le fascisme est la dernière défense, directe ou inversée (fantasmée comme menace), de l’économie menacée.
L’exemple brésilien offre une caricature éclairante de cette vieille idée.
Comment anéantir la forêt brésilienne, et les Indiens amazoniens en passant, pour le développement économique des exportations agro-industrielles (le futur pétrole vert) ?
Il faut lire l’action du gouvernement ultra libéral (économiste ultra) des macrons, dont celui de Macron en France, à la lumière violente du fascisme économiste ultra brésilien.
C’est depuis le Brésil qu’il faut regarder la France !
Quel est le problème ?
Maintenir de force, et par la force, la promesse intenable ou le rêve démonétisé de la société de consommation sans limite, sans limite d’embouteillages (pour partir en vacances), sans coupures de courant nucléaire.
Et il faut bien parler de rêve, de mythe, d’hallucination.
Qu’est-ce qui attire en Europe les miséreux du monde entier ?
Qu’est-ce qui « tient » l’Algérie (par exemple) ?
Le rêve de devenir un nouveau consommateur, « un riche », fringues à marques, smartphones dernier modèle, laptops, bagnoles allemandes (signe absolu de la réussite), etc.
Voilà le nœud à trancher !
Le mirage de la consommation, du tourisme exotique et de « la richesse pour tous », qui permet au capitalisme désastreux, inégalitaire, répressif, bientôt fasciste, de perdurer.
D’où la nécessité de la croissance : le bréviaire des macrons.
D’où la nécessité de la dévastation. Physique et psychique.
Dont le fascisme est la marque déposée.
Tout économisme, libéralisme, productivisme, de droite, de gauche, du centre, est un autoritarisme.
Ubuesque à la Trump, Énarque mielleux à la Macron, simplement d’apparence bien élevé (dans une école de jésuites), ou potentat classique oriental, l’autoritarisme économique est la porte fenêtre du fascisme ; en cas de besoin !
TOUT plutôt que d’abandonner le rêve de la consommation illimité (de « la richesse ») ou des grands voyages tropicaux (émigration inverse).
Et : TOUT = fascisme.
Car il en va de la survie des castes, oligarchies, petites bourgeoisies du capitalisme.

La guerre fait rage.
Comme une guerre « nouvelle » : sans déclaration et sans pitié.
Maintenant.
Maintenant il faut comprendre que nous sommes en guerre.
Le fascisme qui vient.

Maintenant.
Il faut défendre les opposants anti-économiques de BURE.

Dérive sur BURE

Détournement de Jean Genet, L’Ennemi Déclaré qui hurle depuis Le Balcon.

L’Agent Comptable (AC) et le Préfet des Consommateurs (PC) assistent à une représentation théâtrale où les acteurs sont en BURE.

AC : C’est tout à fait intolérable d’avoir à supporter ces chavezistes du Barrois, ces virus de la pénurie et du marché noir. Tout le peuple des touristes, que je guide, me demande de les faire disparaître ; dans l’intérêt des consommations.

PC : Bien sûr, Monsieur l’Agent Comptable, en tant que protecteur de la consommation, qui exige l’énergie la plus durable, ah ! ah ! En tant que défenseur des consommateurs, qui ont d’abord peur des pénuries, il me faut agir avec fermeté. Il me faut agir contre tous ces terroristes vénézuéliens.
Qu’ils énoncent ce qu’ils veulent ; et comment ils pensent maintenir le pouvoir d’achat, tout en réduisant les productions.
Je les déclare terroristes parce qu’ils ne peuvent résoudre leurs contradictions, ah ! ah ! Moi, je les dissous leurs contradictions !

AC : Bravo ! Nous devons exercer sans faille et sans tremblement notre fonction sacrée et populaire d’agents de l’économie.
Rigueur, peut-être ! Austérité, oui ! Pénurie, non !
Le pire terroriste est celui qui prétend limiter les conditions de développement de la consommation merveilleuse et du tourisme aimé.
Partez en Chine, Messieurs les disciples de Chavez.

[1Premier détournement. Détournement du titre du film Nous voulons les colonels, Vogliamo i colonelli, Mario Monicelli, 1973, avec François Périer, Ugo Tognazzi, Claude Dauphin.

Ce film inspiré par la dictature des colonels en Grèce, 1967 – 1974, et les tentatives de coup d’état fasciste en Italie vers 1970, développe une thèse remarquable :

Même si le coup d’état fomenté par Tritoni/Tognazzi et ses affidés néofascistes sombre dans le cafouillage et le ridicule, un gouvernement de droite classique, parlementaire, profitant opportunément de l’émotion du pays et agissant sous couvert de maintien de l’ordre public républicain, n’en impose pas moins des lois liberticides comme l’interdiction des grèves, des manifestations et des rassemblements de plus de trois personnes.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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