Faisons connaissance

[Vidéo ajoutée] Tartuffe à l’Odéon #2

paru dans lundimatin#147, le 1er juin 2018

Le vendredi 25 mai au soir, les Intermittents du désordre ont interrompu la représentation de Tristesses à l’Odéon 6e, en réponse à la répression policière du 7 mai. Ce jour-là, Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre, avait fait appel aux forces de l’ordre pour réprimer des étudiants contestataires, aux abords de l’Odéon où se tenait une commémoration de mai 68.
Pendant quinze minutes, nous avons pris la parole de façon théâtrale et poétique en dénonçant l’action du directeur de l’Odéon dans une pluie de tracts. La metteuse en scène Anne-Cécile Vandalem a témoigné de sa solidarité, au micro sur scène accompagnée de tous ses comédiens, avant que nous quittions volontairement la salle, accompagnés de soutiens et de spectateurs mécontents. Le spectacle a ensuite repris.
À la sortie du théâtre, les Intermittents du désordre ont tracté et discuté avec les spectateurs, les comédiens et la metteuse en scène. De beaux échanges ont alors émergé.
Nous avons également donné une série de rendez-vous à commencer par le 8 juin à la Comédie Française pour la mise en scène par Stéphane Braunschweig de « Britannicus ».

[La vidéo de la soirée est enfin disponible]

L’Odéon commémore comme un mort, ou L’Esprit de Mairde from Les Intermittent.e.s du Désordre on Vimeo.

Les Intermittent.es du désordre surgissent de la moiteur silencieuse des salles comme le black bloc sort des foules : pour questionner la parole et le silence, l’ombre et la lumière.

Dans ce monde où certain.es monopolisent le verbe et les projecteurs tandis que d’autres sont condamné.es à la position assise, la scène feint de plus en plus souvent de donner la parole à la salle. Nous interrogeons l’authenticité de ce dialogue supervisé, comme nous questionnons la place des individus dans le débat dit démocratique.

Car donner la parole c’est l’avoir d’abord confisquée. Le conditionnement du théâtre, à l’image de celui de la société, neutralise la discussion d’égal à égal entre les individus. Aux comédien.es, aux expert.es toutes les armes ; aux spectat.eurs.rices, aux simples citoyen.nes, la timidité, l’improvisation et les bons sentiments.

Puisque les éditos des théâtres nous y invitent sans cesse, nous prenons la parole. Mais nous entrons dans le débat public avec nos conditions, c’est-à-dire à notre heure, avec nos textes, nos mots, avec notre travail de concertation, de réflexion, de répétition. Pour n’être plus pris de cours, nous faisons irruption.

Aujourd’hui, les injustices en torrent gonflent les rues mais le barrage des scènes et des pupitres ne cesse de réduire le filet qui s’en échappe. Durant des années, ce barrage a tenu. Aujourd’hui, ici et ailleurs, le barrage craque sous la pression, les portes se dégondent. Nous ouvrons l’avenir au pied de biche.

Les gendarmes des salles nous feront remarquer à raison que nous ne sommes pas dans notre droit, parce qu’il y a sabotage, parce qu’il y a destruction de quelque chose qui ne nous appartient pas. Comme une émeute notre action ne recherche pas le consensus. Car, en effet, nous interrompons un spectacle, nous dérangeons un public qui a payé sa place pour y assister.

Nous connaissons ce public et les justifications de sa colère : nous en faisons partie. Nous nous croisons dans les couloirs des théâtres, des cinémas, des salles de concert. Nous sommes d’entre vous. Nous avons difficilement fait le choix de nous lever parmi les assis.es, de prendre un risque en nous exposant à vos colères, à votre violence.

Nous nous permettons également d’interrompre les comédien.es dans leur travail, les technicien.es, l’ensemble des petites mains qui participent au divertissement, parfois même à la réflexion. Nous sommes aussi d’entre eux et nous ne jugeons pas, ici, de la forme de tel ou tel spectacle.

Ce que nous interrompons ce n’est pas un spectacle c’est son rituel.

Celui de la réalité confisquée à certaines heures, celui du paraître d’une société qui n’écoute la douleur que lorsqu’elle s’artificialise. Nous interrompons le rituel du spectacle lorsqu’il ne met pas sa bouche au service de ceux qui n’en ont pas.

Nous ouvrons des brèches ici et là, maladroitement peut être, à contre courant sûrement et au risque de nous faire mal comprendre.

Nous sommes un écho des cris venus de l’extérieur qui se heurtent à des murs.

Nous sommes une piqure de rappel, désagréable, nécessaire.

À propos de notre première pièce : L’Odéon commémore comme un mort ou L’Esprit de Mairde

Notre décision de jouer au Théâtre de l’Odéon est née du désir de répondre à l’attitude exécrable de son directeur Stéphane Braunsweig lors des évènements du lundi 7 mai 2018, jour de la commémoration nostalgique et encravatée d’une émeute.

Ce jour-là, des étudiants d’aujourd’hui, dans la continuité d’un vaste mouvement de lutte sociale, venaient rappeler au soixante-huitard.es qu’aujourd’hui encore, partout en France, des travailleu.r.se.s et des étudiant.es font grève et occupent les facultés ou des lieux de travail dans l’indifférence d’un gouvernement autoritaire. Révélant son hypocrisie, la direction du Théâtre demanda le concours de plusieurs brigades de CRS pour gazer et tabasser les étudiants contestataires afin de poursuivre sa commémoration dans le calme.

Drôle de manière de célébrer l’esprit de mai comme l’ont fait remarquer les observateurs attentifs du Canard enchaîné (16.05.2018), de Libération (« Le théâtre de l’Odéon évacue les dix-huitards » 08.05.2018) ou de Lundi Matin (« Tartuffes à l’Odéon » 14.05.2018).

Les Intermittents du désordre se sont donc invités vendredi 25 mai dans la grande salle de l’Odéon pour rappeler à monsieur Braunschweig et aux autres engagés de salon que le débordement ne s’expose pas comme un trophée, qu’il n’a pas sa place dans les vitrines, si ce n’est sous la forme de pavés.


En réponse à cet acte profondément mairdique nous avons proposé une œuvre fondamentalement politique.

L’Odéon commémore comme un mort ou L’Esprit de Mairde est la première pièce d’un recueil à construire. Elle a été pensée et préparée collectivement puis interprétée par plus de quinze spectat.eurs.rices amat.eur.rices. Elle est le fruit d’un travail théâtral et dramaturgique autour de la notion de prise de parole, résultat de discussions, de collages, de rencontres et de répétitions. Nous laissons aux critiques de la salle le soin de rappeler la poésie, l’humour et l’engagement de notre jeune troupe.

Nous tenons à remercier Anne-Cécile Vandalem, l’équipe de Tristesses, le personnel de l’Odéon et tou.s.tes les spectat.eurs.rices qui ont fait preuve de bienveillance et de solidarité.

Merci Stéphane.

Face aux chien.nes de garde de l’ordre qui récupèrent les luttes du passé pour les neutraliser, face aux institutions de l’État qui folklorise le combat de ses adversaires, nous nous faisons force de proposition, aux côtés des zadistes, des cheminot.es, des postier.es, des infirmier.es, des étudiant.es, de tous ce.ux.lles qui luttent, ici et là pour une vie plus humaine, aujourd’hui.

Le 7 mai 2018 l’Odéon a prouvé, à ce.ux.lles qui en doutaient encore, qu’il est un.e de ces chien.nes de garde. À Braunschweig, et aux armées de Cohn-Bendit nous disons : MAIRDE.

Nous ferons d’autres piqures de rappel.

Nous ne sommes personne, nous n’existons que par nos actions qui sont des fenêtres ouvertes. Il tient à chacun de s’y engouffrer, dans ouvrir d’autres.

[ Pour d’éventuelles commandes théâtrales (lycées, facs, théâtres, entreprises…)
Ecrivez à : intermittents-du-désordre at protonmail.com ]

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