(G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin [4/4]

Par Eric Darsan

paru dans lundimatin#151, le 25 juin 2018

Nous publions cette semaine, en collaboration avec la revue littéraire Remue.net, le quatrième et dernier épisode de G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin d’Eric Darsan. [Nous vous conseillons de commencer par le premier épisode si ce n’est déjà fait]

Général Instin (GI), nébuleuse artistique interdisciplinaire, utilise depuis 1997 une figure trou, soldat issu d’un cimetière parisien, autorité fantomatique essaimant sous de multiples formes selon les contextes. Il est depuis 2007 un feuilleton sur remue.net, a fait paraître 3 livres chez le Nouvel Attila, apparaît aussi sous forme de festivals à Belleville, dans une campagne mondiale d’affichage street-art, etc. Il compte à ce jour 200 contributeurs.

(G)rêve, Général(E). D’Instin, l’armée ne sera pas défaite. Son chant de guerre ne sera pas tombeau. L’hiver a fait son temps, le printemps a rempli son office. L’été sera chaud, la révolution quotidienne. Il y aura des départs, mais plus de rentrée, d’inégalité de classe, d’aliénation, de cadavre dans la bouche, de mo(r)ts remâchés. Ceux qui voyaient midi à leur porte le cherchent à quatorze heures, s’emportent, se tournent vers un sauveur. Le Général les encourage à se sauver eux-mêmes, à renouer avec leur nature, à déserter leur fonction. Instin est du côté de ceux qui sont tout, mais n’ont rien. Ni dieu ni maître, ni loi ni travail, ni famille ni patrie. Son armée mène une guerre de lib(ér)ation Générale. Génération Ingouvernable, spontanée, imprévisible, elle sait où elle (ne) va (pas). Ici ses (é)cri(t)s délivrent une parole là où les murs n’étaient qu’oreilles. Les chants grandissent et se répondent, signe que l’on approche de quelque chose d’inédit. Uni·e·s, les camarades s’entrai-d/n-ent, s’organisent. Etranger·e·s à ce qu’on a fait de leur pays, mais présent·e·s. Se (re)connaissent, (re)connectent, (re)naissent ici ou là. Libèrent leurs ami·e·s. Aident, nourrissent, prennent soin. Recréent les solidarités dissipées par l’Etat. Apprennent à (se) défendre. Défient & défont, l’art et la doctrine des officines. Font tout ce qui est en leur pouvoir. Se définissent par leurs actes. N’attaquent pas les braves gens, les hôpitaux, contrairement aux brassardiers. Leur lutte est belle, po-é/li-tique, collective. Carnavals contre carnage. Chars contre chars. Défilés contre défilés. Festifs contre militaires. Second contre premier degré.

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Le roi des qu’on veut qu’on. Cesse de rire. Divise le peuple en deux catégories. Ceux qui obéissent et ceux qui ne sont rien. Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Ceux qui font les révolutions et ceux qui en profitent. L’Etat n’a jamais institué (sinon contre son gré/pour les contrer, les reprendre à son compte, les mettre à son service) ni le droit, ni les principes, ni la devise au nom de quoi il agit. C’est à la Révolution, à la Commune, au Printemps des peuples qu’il les doit. C’est pourquoi il lui faut, coûte que coûte, les effacer. Détruire, sous couvert de déconstruction, tout ce qui lui fait barrage : langage, maisons, universités et potagers autogéré·e·s. Les communes libres sont attaquées, leurs habitant·e·s expulsé·e·s, exilé·e·s. Le gaz moutarde monte au nez de celles et de ceux qui sont visé·e·s à l’aveuglette, aveuglé·e·s de force à défaut de gré. [Bot. : On nomme radiculisation la formation embryonnaire de la racine principale, au début de la germination.] Les officiels à la petite semaine poursuivent leur travail de sape : boniments et beaux noms du passé, commémorations à tout va et black-out sur tout ce qui refuse de rentrer dans l’ordre (décrété plus qu’établi). Les médias, les syndicats, utilisent le peu de marge qu’on leur laisse pour retourner leur veste et baisser leur pantalon. V(il)ainement. Les mensonges des pré-faits/fabriqués de toute pièce, prophéties autoréalisatrices d’une catastrophe programmée [menaces, mort des espèces, violence, tristesse] ne prennent plus. Seuls quelques badauds égarés, braves gens apeurés, demeurés à leur poste de télévision, tombent encore dans le panneau.

Le roi des qu’on appelle à la restauration de l’ordre, se réfugie à Versailles. Et fait tirer sur la foule. Les gens d’armes, trop confiants, s’exécutent. Tous ignorent ou feignent d’ignorer (paresse d’esprit, graisse autour du cœur) qu’ils signent leur arrêt de mort. Les cimetières sont remplis de gens qui se croyaient irremplaçables et dont le trépas – contingent(,) dispensable – se révèle nécessaire après coup. Le choc de la répression est tel que les braves gens réalisent que la vie des rois et de leurs pantins, aussi protégés soient-ils, ne tient pas à des fils plus fermes ni plus difficiles à briser que celle des autres hommes. C’est une prise de conscience bien rude que celle du pouvoir de vie et de mort. Quand ils comprennent que l’État, la police et la troupe, en (ab)usent depuis toujours sans hésiter, ils dévalisent les armureries. Etau, les tirs détonnent. La masse croissante oublie la liasse, perce la nasse dans la liesse. Se libère et se déverse. Ici, et là. Partout dans le(s) pays. Les braves gens sont des braves qui s’ignorent, se dit GI. Alerte Général, Instin survit. Face à lui, nuit et brouillard, d’autres fantômes, de chair et sans esprit, invertébrés carapacés, déconnectés de la réalité, s’avancent en battant de leurs moignons des tôles en plexi. Instin, partisan d’une avant-garde généralisée, fait le tour des forces. En présence de l’ordre et de sécurité, militaires à la solde, chiens de garde dressés pour aboyer, mordre et en démordre, il surprend l’arrière-garde et découvre avec stupeur. Le repaire des faut qu’on. La classe morte des rombières et barbons fourbissant des jeunes qu’on. Prend pour des. Imbéciles à raison, sans scrupule ni pensée propre. A commencer par le roi des. Tout l’or du monde en numéraire, et pas une once d’humanité.

Dehors, zef et zbeul partout, terreur nulle part. La rue est noire de monde. L’insurrection est plus populaire. Qu’on ne le croit, ne le dit. Elle n’est pas le fait de la majorité, mais l’œuvre de chacun. Plus personne n’est au charbon et le vent souffle sur les braises. Les braves gens qui s’ignoraient toujours, se croyaient encore protégés par la légalité et le bon droit, sortent de leur bulle et se réunissent. En petits conciliabules qui, au contact des habitué·e·s, deviennent comités. Le GénéraI Instin les appelle, une fois en corps, gens d’armes inclus. A (re)prendre leur (temps et lieu de) vie en main. A sortir de l(’)a[ ](mono)tonie(,) du pays. A cesser de confondre, de privilégier, confort et sécurité au détriment de leurs enfants. A se battre à leur côté. Mais les braves gens ne se rendent jamais qu’à l’évidence, qu’au camp victorieux. Qu’on choisit pour eux. Ne courent pas les rues. Restent sur place quand la caravane passe. Aboient, oies ou chiens de garde. Qu’on gaz-/gav-e, carotte ou bastonne selon les besoins. Il n’y a rien à attendre d’eux. Alors quoi. Alors, cours camarade, le vieux monde est derrière toi. Ton cœur bat la chamade, et tes tempes, à chaque pas. Ta sueur et tes larmes, de douleur et de joie, ruissellent sur tes joues en feu. Et si les braves gens, tous contr(a)i(n)ts ou haineux, ne bougent pas ou se retournent contre toi. Tu auras, en revanche, ta conscience pour toi, ta vie entre tes mains. Et, devant tes yeux, la terre, l’eau, l’air et le feu. Sans attendre ni renfort, ni répit, ni repos, le Général Instin et ses ami·e·s célèbrent la victoire en chantant. L’armée fait front, malgré la prison, l’échafaud. Chars et charges font un raffut de tous les diables. Les morts qui reposaient en paix se retournent dans leur tombe et se lèvent à leur tour.

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Le cimetière tout entier est comme un seul cimeterre brandi en direction de l’ennemi. Tombes en embuscades et calvaires, cercueil pour le tyran (Sic semper tyrannis). Jazz au caveau, bières et spiritueux pour les ami·e·s. Opiddum du peuple et cour des miracles, chaque jour la nécropole se vide et se remplit davantage. Les catacombes sont en grève, l’on marche sur les os. Au front, dès le petit matin, le Général est en sang. A 7 h il perd la main et l’ouïe. A 13 un œil voire les deux. A 20 la tête. Mais ça ne lui fait rien, ou si peu. Instin est hanté par les gueules cassées par les gens d’armes et la police. Alors si sa mort peut éviter celle des autres, le Général est heureux. Tour à tour, il s’effondre et se rassemble, rend coup pour/sur coup. Jeux de construction, de situation, de piste, de rôle grandeur nature, course d’orientation et murder party : Instin a toujours une idée en réserve. Et sur lui, pour quelque camarade, plus que le strict nécessaire, le minimum vital. Vademecum qui contient : [x] eau [x] nourriture [x] trousse de premiers soins [x] sérum physiologique [x] foulard [-_-] masque philosophique. Bien entendu, le Général a peur. On a beau être mort, la Mort nous fait encore quelques frayeurs. [OO] Deux trous au côté, le souffle coupé [Ne pas se laisser aller – Nature, berce-le et tout ça – se reprendre.] Mais la mort n’a pas de prise sur le Général Instin. Il est en phase, sait prendre le temps et le large. Vade mecum, viens avec moi, dit-il à celle, à celui qu’il rencontre en chemin. Et sous sa garde, en avant, toutes et tous – mort·e·s et vivant·e·s, hommes, femmes et enfant·e·s – progressent contre l’expéditive, l’inepte et l’inique, l’arbitraire et totalitaire loi des prétendus puissants.

Ce matin, le Général s’est levé des deux pieds : un pour leur botter le derrière, l’autre pour foutre le camp.

Crédit photo : (Creative Commons BY-NC-SA) Suvann, via La rue ou rien (Messages politiques aperçus dans l’espace public depuis mars 2016).

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