En descendant la rue Ramponeau

« La rue Ramponeau n’est pas longue mais l’on n’y compte pas moins de cinq plaques commémoratives... »

Eric Hazan - paru dans lundimatin#9, le 2 février 2015

La rue Ramponeau n’est pas longue mais l’on n’y compte pas moins de cinq plaques commémoratives.

Tout en haut, derrière les grilles du jardin de Belleville, la mairie de Paris a récemment apposé une plaque rappelant qu’ici eurent lieu les derniers combats de la Commune de Paris. Ce qui est juste, Lissagaray le dit : « La dernière barricade des journées de Mai est rue Ramponeau. Pendant un quart d’heure, un seul fédéré la défend. Trois fois, il casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Paris » (de Belleville aujourd’hui, à 300 bons mètres de là : ce fédéré était un fin tireur !) Mais ce que la plaque ne dit pas, c’est que pendant la Commune, les Louis Blanc et consorts, les socialistes homologues des édiles parisiens d’aujourd’hui se trouvaient à Versailles et non à Paris. Lissagaray encore : « Quand les républicains de la petite bourgeoisie provinciale virent le fameux Louis Blanc, l’intrépide Schœlcher et les plus célèbres grognards radicaux insulter le Comité central… » Cette gauche, ces socialistes allaient partout bêlant qu’ils n’étaient pour rien dans cette malheureuse affaire. Leurs héritiers actuels, bien représentés par la mairie de Paris, n’ont aucun droit à se réclamer de la Commune. Leur hommage est une manœuvre : ils cherchent à inclure la glorieuse révolution du 18 mars 1871 dans le grand récit républicain qui est leur fond de commerce.

Plus bas, trois plaques s’alignent sur le trottoir de gauche. L’une, juste avant le commissariat, fleurie par la mairie, honore la mémoire de « notre collègue André Perrin, mort pour la France et la libération de Paris, le 19 août 1944 ». M. Perrin était sans doute un brave homme et un homme brave, mais ce que la plaque ne dit pas, c’est que sans la collaboration active de la police parisienne dont il faisait partie, la Gestapo aurait été infiniment moins efficace, que les policiers résistants n’étaient qu’une poignée, et que la participation de la police à l’insurrection parisienne était, comme le dit l’un d’eux à Maurice Rajsfus, « une action nécessaire. Dans le cas contraire, il y aurait eu de nombreux gardiens de la paix et gradés, inspecteurs, qui se seraient retrouvés pendus à des crocs de boucher, tant ils avaient laissé de mauvais souvenirs aux Parisiens. Si nous étions restés passifs, lors de la Libération, on nous aurait fait notre fête, sans chercher à savoir lesquels d’entre nous avaient été résistants. » La fourragère rouge pour la police parisienne résistante, c’est un gadget de la fable gaullo-communiste sur l’unité nationale.
À quelques mètres, deux plaques non fleuries rappellent, l’une, qu’ « Ici demeurait Albert Chelbluns, membre de la LICA, maquisard, mort pour la France le 14 janvier 1945 à l’âge de 20 ans » ; l’autre, qu’ « Ici demeurait Raphaëlle Chelbluns, membre de la LICA, maquisarde, morte pour la France le 31 juillet 1945 à l’âge de 18 ans ». Sans doute un frère et une sœur, sans doute de famille juive polonaise. De telles plaques, il y en a beaucoup sur les murs de Belleville, qui rappellent le temps où les juifs n’étaient pas du côté du manche. [1] Dans Belleville Belle Ville, Etienne Raczymow se souvient : « Je voudrais vous parler des trois frères Feffer, qui habitaient passage Deschamps (détruit) et qui avaient été à l’école Julien-Lacroix. Les parents ont été déportés. Un des jeunes de l’organisation FTP-MOI a été pris par Barbie, il a été fusillé place Bellecour à Lyon. Un autre garçon, Guy Landowicz, a une plaque dans le préau de l’école Ramponeau. En mars 1944, huit jeunes FTP-MOI dont quatre de l’école Ramponeau ont exécuté trois membres de la Gestapo. Guy faisait partie de ce groupe. Il a été pris, on l’a martyrisé et huit jours après, il a été fusillé. » La LICA dont ces plaques font mention n’avait rien à voir avec l’actuelle LICRA, officine qui soutient inconditionnellement l’État d’Israël : elle défendait les juifs pauvres, souvent communistes, toujours persécutés. Souvenons nous de ce temps où « juif de droite » était un oxymore et où la cause des juifs était celle de tous les opprimés, saluons la mémoire d’Albert et Raphaëlle Chelbluns.

Sur le trottoir d’en face, une plaque noire sur le mur de l’école Ramponeau rappelle que nombre de ses élèves ont été déportés de 1942 à 1944 parce qu’ils étaient nés juifs, et exterminés dans les camps de la mort. Il est utile que les mamans arabes, chinoises, maliennes, qui sont en majorité parmi les parents d’élèves de cette école, lisent ces lignes. Il serait aussi utile que tous les passants aient conscience de ce qui advient aux enfants d’aujourd’hui qui n’ont pas la chance d’être de bons Français. Qu’ils sachent ce qui se passe dans les zones d’attente, à Roissy en particulier, où, par une fiction juridique qui exclut ces zones du territoire français, des enfants qui parviennent jusque-là tout seuls sont enfermés pour être refoulés vers un pays qui voudra bien d’eux – « refoulés » et non « expulsés », puisqu’ils ne sont pas censés être entrés en France. Qu’ils apprennent que dans les centres et locaux de rétention administrative, des enfants sont emprisonnés en violation du droit, puisque la loi veut que les mineurs n’aient pas besoin de titre de séjour, que par définition ils ne puissent jamais se trouver en situation irrégulière. Que pour déterminer s’ils sont vraiment mineurs, l’administration leur fait subir des tests osseux, des radios dentaires, des évaluations pubertaires – tous examens précis à quatre ans près – avec pour but de contester l’état civil de leur pays d’origine, ici encore au mépris du droit en vigueur. Que l’aide sociale à l’enfance, si vite submergée devant l’arrivée de jeunes syriens, irakiens, afghans, fait tout pour en écarter le plus grand nombre possible, qui se retrouvent à la rue dans la grande ville, avec l’assentiment de l’appareil judiciaire. Ils ne sont pas gazés, c’est vrai. Mais sachons au moins ce que recouvrent les mots de « valeurs de la République », de « France terre d’accueil » ou d’ « égalité devant la loi ».

[13 ans et demi après la parution de cet article, de fidèles lecteurs nous ont fait remarquer le caractère problématique de cette phrase d’Éric Hazan : « De telles plaques, il y en a beaucoup sur les murs de Belleville, qui rappellent le temps où les juifs n’étaient pas du côté du manche. » Nous avons apporté quelques clarifications dans cet article.

Eric Hazan est écrivain et éditeur français. Il a fondé les éditions La Fabrique
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