Destroïka

Le siège de la BCE menacé d’émeute.

paru dans lundimatin#8, le 26 janvier 2015

Alors que l’Union Européenne s’inquiète de la victoire en Grèce de Syriza, une toute autre menace semble mettre en émoi les polices européennes : une initiative populaire et citoyenne s’est donnée pour objectif d’empêcher par tous les moyens l’inauguration du nouveau siège de la BCE.

Cela fait des mois que la rumeur circule sans que l’on en connaisse véritablement l’origine : des dizaines de milliers d’européens auraient pour projet de fêter à leur manière l’inauguration du nouveau siège de la Banque Centrale Européenne à Francfort.

La construction de la tour avait déjà pris beaucoup de retard ; le budget avait, lui, dépassé toutes les prédictions initiales. Au lieu des quelques 850 millions d’euros prévus, l’impressionnant bâtiment aura finalement coûté 1,3 milliards. Cela aura suffit à ce que de mauvais esprits ironisent quant aux qualités managériales de cette institution européenne en charge d’organiser l’austérité.

Du fait de la grandeur architecturale, symbolique et politique de ce nouveau siège de la Banque Centrale Européenne, une inauguration à hauteur de building est annoncée de longue date. Pourtant cela fait six mois que les francfortois attendent qu’une date soit finalement arrêtée, au point que certains pensaient que l’inauguration n’aurait finalement pas lieu. Ce n’est que très récemment que la date du 18 mars 2015 fut publiée et assumée.

Une nouvelle internationale, l’axe de la plèbe

Certaines rumeurs voudraient que ce retard n’ait finalement rien à voir avec la complexité des agendas des ministres européens mais soit en fait lié à la propagation d’un appel anonyme à venir prendre d’assaut le bâtiment le jour où il serait inauguré.

En effet, depuis l’été dernier, un étrange appel circule massivement sur les réseaux sociaux européens. Intitulé « Appel de la Destroïka à toutes les réalités antagonistes », on en trouve des traductions françaises, anglaises, allemandes, espagnoles, italiennes, grecs et portugaises. Le texte, rédigé dans une langue impeccable, semble avoir été diffusé avant même que les travaux n’aient été terminés ; et donc des mois avant que l’inauguration ne soit annoncée. Et c’est pourtant cette inauguration qui est ouvertement visée.

"Plus le pillage est éhonté, plus s’approfondissent et se généralisent la soumission et la discipline, plus s’impose la nécessité de contre-attaquer – de défendre nos lieux, nos territoires, nos infrastructures et nos amitiés partout où elles sont confrontées à une attaque en règle, que celle-ci soit encore au stade de projet ou déjà en cours. Voilà pourquoi nous irons à Francfort : parce que la meilleure défense, c’est l’attaque.

Il nous faut porter nos expériences locales de mouvement sur un plan offensif plus élevé. Il se pourrait bien que la meilleure façon de vaincre les États nationaux qui nous font encore obstacle consiste à les prendre en sandwich – en nous portant directement en tant que force locale sur le plan européen. L’inauguration du nouveau siège, flambant neuf, de la Banque Centrale Européenne à Francfort nous procure enfin l’occasion de nous retrouver et de joindre toutes nos forces contre un ennemi commun tout désigné.

Il est pour le moment très difficile de savoir si cette initiative sera massivement suivie ou non mais au vu de son importance sur les milieux sociaux et de l’intérêt que le mouvement altermondialiste semble y prêter, on ne s’étonnera pas du fait que la police allemande s’attende à plusieurs dizaines de milliers de manifestants. C’est en tous cas ce à quoi ce mystérieux appel semble prétendre :

"Nous parlons de rassembler à Francfort toute la plèbe d’Europe – que ce soient les salariés au bord de la crise de nerfs, les citoyens floués, les travailleurs journaliers, les ouvriers restés sur le carreau, tous ceux qui, comme nous, veulent voir le vrai visage de l’ennemi, et le mettre en pièce.

Il s’agit de donner une juste cible à la rage diffuse qui monte partout sur le continent. Il s’agit de présenter la note pour tout ce que nous avons subi ces dernières années, de diriger notre rage contre ceux qui ont ourdi centralement, depuis le confort de leurs bureaux, leurs plans contre nous, de se soulever contre toutes les administrations qui, partout et chaque jour, les ont mis en oeuvre."

Bien qu’aucune action spécifique ne soit annoncée, il y a toutes les raisons de croire que si les participants sont nombreux, nous n’assisterons pas à un lâché de colombes. Au vu du ton aussi désespéré que déterminé de l’appel, il est fort probable que de nombreux européens l’entendent et décident d’y répondre :

« lls pensent pouvoir faire leurs affaires sans nous. Ils ne voient même pas que nous sommes toujours plus nombreux à déserter leur monde de l’autovalorisation permanente, à échapper à leur manie de la mesure généralisée. Il y aura vengeance pour toute leur politique de paupérisation, de destruction, de dévaluation de tout ce qui vit. Pour toutes les humiliations dans les bureaux des administrations, pour toutes les fois où l’on nous a fait courir comme des hamsters en cage, pour toute la crainte de n’être pas assez jeunes, pas assez athlétiques, pas assez flexibles. Et parce qu’ils ne démordent pas de leur monde qui s’effondre de plus en plus visiblement, parce qu’ils ne comprennent pas d’autre langage que celui-là, nous leur disons : voici la note, vous allez payer, et cher ! »

Reste à savoir si ce qui se passera à Francfort le 18 mars prochain sera contenu dans les formes déjà connues et quelques peu épuisées du mouvement altermondialiste ou si nous allons assister à la naissance d’une forme d’expression inédite du mécontentement, à l’échelle européenne.

Destroika by lundimatin

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