Loi Travail : des lycéens s’expriment sur les « incidents »

« Ils nous empêchent sans cesse de manifester là où nous voulons manifester, détournant sans cesse nos parcours, usant d’armes qui tuent »

paru dans lundimatin#53, le 22 mars 2016

Dans la profession, c’est ce que l’on nomme un marronnier : des lycéens, des étudiants, des travailleurs, prennent la rue et cela occasionne quelques dommages sur les forces de l’ordre, sur les banques ou autres échoppes. On s’empresse de condamner la violence, et de définir les contours d’un manifestant acceptable à partir de son contraste : le méchant casseur.
Nous sommes pourtant des centaines de milliers en France, voire peut-être des millions, à s’être un jour fendus d’un caillou jeté contre les forces de l’ordre, d’un tag plus ou moins inspiré sur un abribus ou d’une banque esquintée à l’angle d’une rue. Le droit de manifester s’est toujours accompagné de la nécessité de dégrader. Qu’on le veuille ou non, c’est ce qui de tout temps s’est rejoué. Par delà les simplifications médiatiques ou politiciennes, des lycéens s’expriment.

Depuis le début de la lutte contre la loi ’Travaille !’, nous avons pu remarquer un fort rejet de la part des manifestants se disant non-violents à notre encontre. Nous ? Les grands méchants ’casseur-euse-s’, ce terme policier qui, pour vous, englobe tout ceux dont on ne voit pas le visage, ceux ne voulant pas être pris en photo dans l’Etat sécuritaire qui est le notre, comme les personnes ayant des pratiques violentes pour lutter : ceux qui s’en prennent à la marchandise et à des cibles logiques, comme les banques ou les agences d’intérims qui seront les premières à nous exploiter.

Tout d’abord, sachez que les pratiques violentes en manifestations ne sont pas apparues spontanément avec ce mouvement. Au contraire, elles existent depuis qu’existent les contestations. Nous avons remarqué que les manifestants non-violents aiment se saisir d’exemples comme mai 68 ou les luttes contre le CPE. Revenons-y donc. C’est après mai 68 qu’un grand nombre de rues parisiennes ont été goudronnées, parce que les étudiants les avaient dépavées sans se poser de question pour tenir en respect les policiers. La violence était aussi au rendez-vous durant l’occupation de la Sorbonne en 2006, lorsque des échelles et des chaises ont été lancées sur les CRS. Idem lorsque que Rennes écrit, sur sa banderole ’Nous sommes tous des casseurs’. Comment pouvez-vous nier que les ’casseurs’ ont déjà fait cortège commun avec les non-violents ? Il n’y a pas d’extérieur et d’intérieur, mais des réalités de luttes différentes.

Il est cependant légitime de vous demander, pourquoi par exemple s’attaquer aux banques ? Parce que c’est pour nous le meilleur moyen de montrer notre détermination. Déçus de voir que notre gouvernement n’avait rien à faire des simples manifestations, nous avons décidé de passer à des pratiques plus offensives pour lui montrer notre détermination. Et plus que le gouvernement, nous sommes extrêmement déçus par l’immobilisme toujours grandissant dont font preuve les partis politiques et les syndicats. Nous en avons marre que la pauvreté grandisse toujours plus et que les riches s’enrichissent. S’en prendre à la société marchande, c’est s’attaquer au réel et créer une brèche dans la passivité de nos sociétés ; ce n’est pas une fin, mais un moyen, pour poser une conflictualité, qui sera force de proposition et permettra de faire naître de nouvelles formes de luttes.

Si, pour vous, un groupe de personnes aux pratiques de manifestations violentes ressemblent à un grand groupe désorganisé tapant sur tout ce qui bouge, détrompez-vous : nos pratiques sont réfléchies et en plus de notre rage, qui demande à sortir, nos cibles sont bien précises. Tout d’abord, les institutions d’Etat, car cet Etat puant qui nous gouverne ne mérite rien de mieux que ce que nous lui offrons avec nos marteaux et notre peinture. Ensuite, les banques, car elles participent largement à notre précarisation et sont des symboles du capitalisme. Elles jouent avec l’argent, ne font que spéculer, considérant une vie humaine comme un chiffre ou une donnée statistique, extorquant toujours plus d’argent à ceux qui n’en ont pas assez pour pouvoir obtenir un prêt. C’est la même chose pour les agences d’Intérim, qui participent, elles, à nos précarisations en nous offrant toutes sortes d’emplois sous-payés, ne nous laissant d’autres choix que de les accepter si nous voulons pouvoir manger en rentrant chez nous. Quant aux heurts avec la police, ils nous empêchent sans cesse de manifester là où nous voulons manifester, détournant sans cesse nos parcours, usant d’armes qui tuent. Lorsqu’ils ne commencent pas, si nous allons au contact, c’est parce que nous les détestons. Nous détestons ces hommes ou femmes se sentant monter en puissance une fois en uniforme, abusant de leur pouvoir pour se défouler sur les citoyens ne faisant pas grand chose, voir même rien du tout. Nous détestons le bras armé de l’Etat, cet Etat que nous détestons autant que le capitalisme qu’il représente !

Cependant , des pratiques manifestement différentes ne font pas de nous des ennemis. Nous avons un Etat à haïr et une insurrection à mener. Il est passé le temps des guerres intestines ! Aujourd’hui, nous devons faire bloc face à la police. Aujourd’hui, nous devons faire face à une loi qui veut détruire nos vies ! Aujourd’hui, nous n’en pouvons plus de vivre dans ce système nous rabaissant à des chiens ! Alors, demain, plutôt que de nous affronter sur des débats stériles, marchons ensemble , que vous soyez cagoulés ou non, non-violents ou casseurs, révolutionnaires ou réformistes, radicaux ou moins radicaux, pour cracher toute notre haine à ce système qui nous opprime !

N’oubliez jamais que notre but est commun et que sans solidarité, l’insurrection n’est rien !

Le Service du Désordre - Branche dissidente du Mouvement Inter Luttes Indépendant (Mili)

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