PRAEVISIO MUNDI
Proposition I
L’imprévu se retourne toujours contre lui-même – il n’y a d’imprévu que ce qu’il nous reste à prévoir.
Démonstration
De l’imprévu nous faisions l’éloge, le printemps était sans surprise et tout nous surprenait. 2018, lorsque nous occupions la rue de notre lycée quelques jours durant en avril et mai. « La rue Charlemagne est une zone que nous défendrons comme premier lieu, lieu de repli, camp de base du printemps à venir, vers tous les autres lieux qu’il nous faut reprendre. » disions-nous. Lorsque nous occupions le lycée même quelques heures durant en juin. « Nous occupons le lycée Charlemagne, à Paris, depuis 18h, afin d’imaginer ensemble l’avenir après le désastre macroniste. » disions-nous. Nous n’aimons pas les commémorations. Nous n’aimons pas plus le sarcasme de leurs mises en scène. Alors que le lycée est dorénavant calme nous voilà surpris par leur capacité à prévoir ce qu’ils n’avaient pas prévu. CQFD
Corollaire
La prévision du monde est nécessairement révision du monde.
Démonstration
8/12/2018, 15/12/2018, l’académie de Paris ferme tous les établissements scolaires de la capitale. Les lycées ne firent pas exception au siège de Paris. Il était déjà trop tard, les émeutes du 24/11 et du 01/12 étaient passées – de cet imprévu qui se garde d’éloges. En cela, le siège de Paris ne formait pas plus une protection présente qu’une réponse différée aux événements des dernières semaines. De même que l’exercice organisé le 16/04/2019 ne cherche en aucun cas à prévoir d’éventuels soubresauts de l’époque mais n’est qu’un signe d’une incapacité à voir avant, à percevoir ce qui vient et ce qui déjà est. Les institutions remplacent leur incapacité à pressentir par leur capacité essentielle à réagir. CQFD
Scolie
C’est oublier que la réaction arrive toujours trop tard et que toute prévision est de fait périmée, dans la mesure où elle ne considère non pas ce qui sera mais ce qui fut.
Proposition II
Les intrus ne sont jamais au-dehors.
Démonstration
Au printemps 2018 (voir la Dém. Prop. I) nous étions accusés de dégradations sur l’église adjacente au lycée, dorénavant « des casseurs » « commencent à dégrader les vitrines voisines et jettent des projectiles sur les fenêtres de l’établissement ». Au même moment nous étions une cinquantaine à être évacués de notre lycée, dorénavant un « exercice de mise en sûreté » nous prépare à l’éventuelle intrusion de casseurs. Le fait est simple : il n’y a aucune séparation entre ceux qu’ils confinent et ceux dont ils se protègent. Ils menacent d’exclusion leurs élèves déviants et les évacuent au besoin par la force. Il s’agit de mettre sans cesse au-dehors celui désigné comme ennemi, de le rendre périphérique par un geste ou une dénomination ; mais l’ennemi est toujours intérieur. CQFD
Scolie
En cela, il n’y a nulle intrusion puisque les intrus sont de tous côtés. Le confinement ne protège pas d’une éventuelle intrusion mais figure un fait moins avouable : il faut fermer les portes pour nous empêcher de prendre part à l’émeute. Nous sommes de ceux qui cassent, ceux qui dégradent, ceux qui s’attaquent au fenêtres, ceux qui ouvriront les portes de tous les confinements à venir. Notre confinement n’est que la paradoxale matérialisation de notre intrusion permanente.
Proposition III
« Le terrorisme est la ’guerre civile mondiale’ qui investit à chaque fois telle ou telle zone de l’espace planétaire. » [2]
Démonstration
Le 11/10/2018 était déjà organisé un « Plan Particulier de Mise en Sûreté face aux risques majeurs » dans tous les lycées de la capitale. La mise en scène était tout autre, elle simulait l’intrusion d’un (ou de) terroriste(s) armé(s) au sein du lycée. Or, l’exercice et les consignes étaient identiques à ceux du 16/04. Il est simple d’observer ici l’établissement d’un rapport d’identité entre l’émeute et l’attentat. Les deux sont traités de la même manière, et ainsi indifférenciés. La vague classification introductive les rassemble comme « accident majeur d’origine humaine ». L’époque est magique, le terrorisme est conjoncturel et tout intrus (voir la Dém. Prop. II) sème la terreur dans la polis. CQFD
Scolie
Accident : événement inattendu, non conforme à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir
Accidere : entamer, entailler, couper