De nulle part, quelque chose

paru dans lundimatin#269, le 4 janvier 2021

« Quelque part quelqu’un est chien et aboie à la lune
Quelqu’un est née chinoise et maintenant elle a dix-sept ans
Quelqu’un c’est une blonde et sa sœur est vive, véritablement pétulante
Quelqu’un son père est highlander
Quelqu’un … et puis ça lui a retenti sur les reins et maintenant fini, il dit qu’il aime autant mourir à l’hôpital

[Photo : Bernard Chevalier]
Quelqu’un il a de grosses solives à sa maison
Quelqu’un, il veut encore un peu de crème. Mais l’autre quelqu’un, c’est l’existence de Dieu qui le chipote
Quelqu’un vient d’avoir un moment de fierté qu’il expiera durement
Quelqu’un, il pleut
Quelqu’un, cette fois il pleut fort
Quelqu’un les gens d’à côté rentrent à l’instant
Quelqu’un il n’y a pas eu de brise aujourd’hui, et la houle de fond est encore forte
Quelqu’un, il pleut toujours : mauvais pour le toit
Quelqu’un part, quelqu’un renaît insecte, se nourrissant d’excréments tout le jour, ses antennes trempant dans la substance fétide ; essayant de se souvenir d’une vie antérieure, malgré lui, il songe à une future quand les excréments seront plus nombreux et plus uniformément répandus de manière qu’il y en ait pour tous
Quelque chose quelque part est rail, sous un train six cents tonnes, et plie et vibre, et enfin se redresse … »

Quelque part, quelqu’un. Henri Michaux

Quelque chose en bonnet de nuit
Quelque chose nuit à la santé
Quelque chose c’est le jour qui l’effraie
Quelque chose le temps ne passe pas
Quelque chose l’ennui lui dévore les tripes
Quelque chose Rien n’est trop beau pour l’art, et il engloutit une barre d’esquimau
Quelque chose la vie lui pèse comme un concept
Quelque chose la mort est son smoking, son désir, sa condition et son refrain
Quelque chose elle est nue sous les étoiles
Quelque chose un couteau luit sous la lune
Quelque chose compte les morts sans pourquoi
Quelque chose ajoute des parce que à l’hôpital
Quelque chose elle sent la rose de parfum fané
Quelque chose la noyade les a engloutis
Quelque chose la nuit dehors pieds nus un 31 décembre
Quelque chose la matraque dans son slip, il attend l’ordre et la sort
Quelque chose une touffe de cheveux abandonnée au rayon céréales bio, entre deux paquets de quinoa
Quelque chose elle retrousse sa jupe à la caisse pour montrer au vigile que non rien
Quelque chose elle laisse 2/3 des marchandises sur le tapis roulant, ne pouvant en régler qu’1/3
Quelque chose c’est son beurre dans les épinards
Quelque chose c’est son beurre sur du beurre
Quelque chose la crémière violée dans l’arrière-boutique par son patron
Quelque chose un cheveu oublié sur le fromage
Quelque chose c’est un juif qui se demande « qu’est-ce qu’être juif ? »
Quelque chose c’est un Gazaoui devenu sourd et muet lors d’un bombardement
Quelque chose son Visage est son Dieu
Quelque chose si pâle de mine
Quelque chose la Sainte étude l’a rendu malade
Quelque chose il est adossé dans son fauteuil, devant son bureau, derrière lui sa bibliothèque bien fournie, pour la photo
Quelque chose un crâne mi chauve lustré par le plat de la main de la pensée
Quelque chose c’est le cuir de ses chaussures à 800 balles la paire
Quelque chose la vanité c’est son Style
Quelque chose la porte entrouverte ne supporte pas le froid
Quelque chose il n’aime la chaleur que sous la couette du Livre, le désert l’incommode
Quelque chose, plutôt Rien que quelque chose
Quelque chose, Quand tous les hommes vivront d’amour, Il n’y aura plus de misère, Les soldats seront troubadours, Et nous nous serons morts mes frères
Quelque chose il crache sur le Spectacle
Quelque chose il encadre son crachat
Quelque chose, à l’ombre d’un grand poète, déconne dans le vide
Quelque chose mesure son incommensurable rien
Quelque chose « c’est toujours mieux que rien »
Quelque chose, à force de laver la souillure, la soude lui a rongé les doigts jusqu’à l’os
Quelque chose, il regrette le va et vient des culs des lavandières au lavoir
Quelque chose, elle lui balance le torchon en pleine face, aussitôt il en fait un suaire
Quelque chose, il voudrait voyager dans le plurivers des mondes, il reste confiné dans ses 9 mètres carrés
Quelque chose il plume le dos de son désespoir, fait griller l’oiseau de malheur sur un feu de bois, ne mange que les ailes et laisse le reste à son chien
Quelque chose, il jette ses forces aux orties, revigoré il explose mais ne sait pas pourquoi
Quelque chose il déchire raison, causes et effets, et se couvre du manteau troué d’Arlequin
Quelque chose, il a froid, ses copains aussi sous un tunnel

quelqu’un

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