De CasaPound Italia au Bastion Social, itinéraire de la mouvance identitaire française en pleine refonte [1/2]

« Comprendre la montée en puissance de l’extrême droite non institutionnelle en France et en Europe »

paru dans lundimatin#161, le 16 octobre 2018

Comprendre la montée en puissance de l’extrême droite non institutionnelle en France et en Europe, rendre palpable les débats internes qui agitent la constellation de ces groupes, ses contradictions idéologiques, ses liens d’armes, affinitaires, idéologiques, sa porosité avec l’État et avec certains services de la police, et les liens avec l’extrême droite institutionnelle, nous semble primordial pour ne pas rejouer le scénario de l’antifascisme républicain. Rendre intelligible ses liens avec les institutions politiques et policières permet de ne pas les envisager seulement comme les héritiers du fascisme ou nazisme mais comme des nouveaux outils de l’État pour faire face aux enjeux politiques contemporains. En même temps, les considérer juste comme des instruments du pouvoir nous semblerait aussi passer à côté de la complexité de la situation. C’est dans ce cadre de travail que nous avons voulu dresser un portrait d’un groupe formalisé nationalement, le Bastion Social. Pour, dans un second temps, réduire la focale sur la situation lilloise et livrer une généalogie des différentes mouvances qui s’y sont implantées.

La première partie de ce travail se concentre donc sur la naissance du Bastion Social dans le paysage français, et de son modèle d’inspiration, le mouvement CasaPound Italia. Ce texte, qui se veut factuel, dresse le portrait de la nouvelle vague identitaire qui se forme dans nos villes. Ce travail est aussi un appel à partager les expériences et les informations sur ces jeunes mouvements qui, dans certaines villes telle que Lyon ou Strasbourg, ont une présence importante.

CasaPound Italia

Avant d’être un mouvement politique à part entière, CasaPound Italia (CIP) s’est caractérisé par l’occupation et la réquisition d’un bâtiment dans l’un des quartiers de Rome durant l’hiver 2003.

Ce squat baptisé Casa Pound (du nom de l’artiste et poète Américain Ezra Pound qui fut rattaché entre autre au courant moderniste, et qui, durant la période Mussolinienne, chante les louanges de l’italie fasciste) se caractérise par ses revendications sociales autour de la question de la crise du logement qui sévit dans le pays.

Fort de cette expérience, l’Italie voit apparaître en son sein dans les années qui suivent un circuit national d’occupation dit « non-conforme » . L’utilisation de ce terme tend à se distancer de la pratique d’occupation (et donc de « squat ») des cercles d’extrême gauche italiens.
Assez rapidement, le mouvement se fraye une petite place dans le paysage médiatique italien par le biais d’interviews sur des grandes chaînes de télévision, qui s’intéressent principalement à sa vocation solidaire.
En 2008, le mouvement adopte l’appellation d’utilité sociale et prend donc la forme d’une association sans but lucratif.
Le CPI tend à se caractériser comme édifice d’une culture urbaine politisée, et organise une importante activité culturelle et artistique.

Agglomérant ainsi plus d’une dizaine de groupes de musiques identitaires, c’est Zetazeroalfa qui tient place comme étant le groupe de référence de CasaPound, dont l’un de ses musiciens, Gianluca Iannone, se trouve être l’un des fondateurs du mouvement.

Autour de la musique se structure des activités théâtrales avec la création de la troupe Teatro non conforme F. T. Marinetti, la mise à disposition d’une galerie d’art mais aussi d’un club de cinéma.

Ce dernier, Akira, se développe dans l’organisation de festivals de films.

CPI revendique aussi la création d’un courant artistique non-conformiste, le turbodynamisme. Une de leur performance notoire est d’avoir projeté sur des immeubles romains le portrait de Robert Brasillach, qui fut rédacteur en chef du journal collaborationniste et antisémite Je suis Partout pendant l’occupation et fut fusillé pendant l’Épuration.

Le CPI se revendique notamment des théories de Julius Evola, un aristocrate individualiste italien qui cherche à concilier les doctrines traditionnelles avec une action politique contre-revolutionnaire.

Sa force stratégique tend à dépasser et rompre une certaine logique de ghetto de l’extrême droite en développant un travail autour de la question sociale et en axant ses intérêts autour de la culture, de la solidarité, du sport et de la politique.

Il s’agit de « prendre d’assaut le présent »(comme l’affirme Gianluca Iannone), ici et maintenant, en tenant la rue par les différentes activités mises en place, dans une forme d’ambiance plus ou moins récréative, en mettant l’accent sur une dimension autant idéalisée de l’action qu’esthétique.

Au vue de sa réussite, il n’est pas étonnant de voir l’expérience fondatrice de CIP devenir une méthode inspirante pour les autres pays Européens, et principalement dans l’hexagone.

Mouvement d’Action Social

En France, c’est le Mouvement d’Action Social (MAS) qui s’expérimente à reprendre la méthode italienne. Dans un contexte où depuis l’attentat raté de 2002 visant J.Chirac par Unité Radicale (dissout dans la foulée par l’état) les groupuscules identitaires s’organisent et se recomposent sans grande vigueur, le MAS voit le jour dans la période 2007/2010 durant laquelle le FN connaît une large crise de confiance.
Alors proche des membres du GUD, le MAS se revendique comme luttant contre « La tyrannie de l’Avoir et le despotisme du Fric », le tout mixé à une écologie radicale, une logique décroissante et anti-système, allant jusqu’à se considérer comme néo-solidariste.
Que l’extrême droite tente de reprendre certains codes de l’extrême gauche n’est pas chose neuve en France. Déjà dans une période post-68 des tentatives similaires d’allier mouvance anarchiste et néo-nazie apparaissent, sans forcément obtenir de véritables résultats.
C’est de cette manière que s’est retrouvé dans certaines ZAD (Celles de NDDL et de Sivens entres autres) quelques membres du MAS.

Malgré un schéma calqué sur le modèle italien, le MAS peine à convaincre et à attirer, et gravite avec un nombre assez limité de membres. Il s’auto-dissout en 2016. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une émission de radio « Méridien Zero » diffusé sur les ondes de la radio internationale de Casapound,

Bastion Social

C’est donc au tour du Bastion Social (BS) d’apparaître dans le paysage français en mai 2017. Il reprend la méthode Casapound, avec, comme premier fait d’arme, la réquisition d’un bâtiment dans le second arrondissement de Lyon. L’occupation se positionne elle aussi dans une lutte centrée autour de la question du logements et du nombre des habitats vides qui composent les villes, le tout dans une logique de « préférence nationale », c’est à dire que ces lieux d’accueil ne bénéficieront que pour les bons français, au détriment des personnes immigrées qui sont dépeintes comme « privilégiées ». Il faut comprendre, à travers l’appel lancé par le BS, que ce genre d’occupation tend à réparer ces injustices sociales envers les français dans un « monde moderne détruit par le capitalisme et l’ultra-individualisme. » Bien sur, entre l’image du sauveur de bonne volonté dont ils se dotent et les faits concrets, il ne reste que quelques bonnes photos d’illustration nourrissant les comptes Instagram. Car au final, ce squat d’accueil pro-français qui sera expulsé trois semaines après son ouverture, n’arrive pas à convaincre et à y faire venir la population désirée par ses tenanciers.

Mais qu’importe, le Bastion est lancé, et avec lui, c’est toute une identité visuelle nouvelle qui se crée autour d’ une forte utilisation des réseaux sociaux classiques et d’une organisation peu classique pour un groupuscule identitaire, renouvelant ainsi les codes de la communication.

Et c’est donc tout logiquement que leur premier local ouvre ses portes dans la ville lumière, avant de s’étendre plus tard dans 5 autres villes que sont Marseille, Aix en Provence, Strasbourg, Chambéry (avec le soutien du groupuscule fasciste Edelweiss-Savoie) et plus récemment à Clermont-Ferrand.

Pour ce qu’il en est du local lyonnais, il est financé en partie grâce aux trois boutiques que les identitaires tiennent dans la ville (un bar, un tatoo shop et une boutique de vêtements).

Le Bastion commence peu à peu à se structurer autour de différents satellites, tel que CICERO, une forme d’aide juridique et financière pour les membres du BS poursuivis en justice ou ATEPORAMOS « une association culturelle visant à la promotion et à la transmission de l’identité lyonnaise et européenne », qui vient à peine d’être inaugurée. Le BS va même jusqu’à tenir sa première université cet été en Bourgogne, avec une promotion du nom de l’ancien numéro 2 du Front National dans les années 80, François Duprat.

Le mouvement se structure rapidement et tisse son réseau autant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Les liens entre le BS et des membres d’Aube Dorée (Parti Grec d’extrême droite) ou de CPI s’affirment. Certains sont même invités officiellement pour les différents événements organisés dans les différents locaux disséminés dans l’hexagone.

La forme se veut nouvelle par un effort fait sur l’image. Mais sur le fond qu’en est-il vraiment ?

Entre deux distributions de bouffe et quelques photos de promo, le Bastion ne tend pas à négliger ses sorties en ville et ses provocations, à l’instar de ses grands frères, causant quelques poursuites judiciaires pour les membres et notamment pour son dirigeant. Car à l’origine du BS se tient Steven Bissuel, ancien membre actif du GUD Lyonnais.

Il fut chef de file du mouvement national jusqu’en septembre dernier, poste qu’il quitte pour des raisons personnelles avance-t-il mais qui s’avèrent être surtout judiciaires puisqu’il est condamné pour incitation à la haine raciale et inquiété pour une rixe dans un bar lyonnais il y a quelques mois de cela. Considéré comme un des gros cerveaux du mouvement, il laisse sa place à Valentin Linder, 24 ans, alors chef du local Strasbourgeois, l’Arcadia.

Depuis son ouverture en décembre 2017, ce local a invité à sa porte des personnalités tel que Gabriele Adinolfi (figure de l’extrême droite italienne, actif dans les années 70 et auteur d’un attentat dans la gare de Bologne causant la mort à 80 personnes), des membres actifs d’Aube Dorée, ou encore Marko Borisavoff, fasciste serbe notoire, partisan de l’épuration ethnique.

Capter les tenants de l’idéologie de CIP s’avère donc nécessaire à la compréhension du mouvement du Bastion Social, de son implantation dans les métropoles françaises, et de sa montée en puissance.

La question qui se pose donc est de savoir quel lien entretient exactement une mouvance comme le BS avec le reste des groupuscules d’extrême droite qui composent la nébuleuse française et européenne ?

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