Construire sa forme de vie en 7 étapes. [Quand j’entends le mot culture]

Une lecture de Blast, la bande dessinée de Manu Larcenet

Ut talpa - paru dans lundimatin#, le 19 avril 2020

Nos diététiciens ont établi les étapes d’un nouveau régime de développement personnel, nous te garantissons un retour au monde et une conquête de ta forme-de-vie en à peine sept étapes ! Les citations sont extraites du Tome I de Blast, Grasse carcasse.

« Il va forcément dire des choses importantes.. ; Elles seront cachées sous un fatras irrationnel, mais il va lâcher des noms, des dates, des lieux, des détails… Il va esquisser des vérités. Si tu sais faire le tri, alors on commencera à savoir qui il est… Tant qu’il parle, il reste accessible… »
Blast, Tome 1, Manu Larcenet

« En elles-mêmes, les formes-de-vie ne peuvent être dites, décrites, seulement montrées, nommées, c’est-à-dire dans un contexte nécessairement singulier. »
Tiqqun II, Introduction à la Guerre civile, proposition 9

S’il est un concept de Tiqqun et Giorgio Agamben pour lequel mon imagination n’a pas de prise, c’est bien celui-ci. Sans cesse je me demande : qu’est-ce qu’une « forme-de-vie » ?
On répond : c’est une vie dont la forme est expérimentation d’une manière de vivre. Une vie dont la forme interroge, avant tout autre chose, en « comment vivre ? ».
On ajoute : c’est l’effort d’une vie presque poème. Poiéma signifie, en Grec, le « ce que l’on fait ». Une forme-de-vie, c’est le « ce que l’on fait » de ce que l’on est.
Mais je ne comprends pas. Alors peut-être que ça ne se définit pas une « forme-de-vie ». Ça se tente ou ça s’expérimente. Comme Polza Mancini, une forme-de-vie ça doit tenir à peu près ce langage : « Si vous voulez me comprendre, il faut que vous passiez par où je suis passé. »
Essayons.

Étape I :

Oublier ou trancher tous les fers familiaux comme tout ce qu’ils contiennent de culpabilité, de remords, de surmoi, de filiation. Se faire, en somme, le dernier de sa race.

Polza :
Je suis «  le dernier d’une glorieuse lignée de pitoyables inutiles », mon frère, mon père, tous ont péri, l’un dans un crash, l’autre d’un cancer. Et ma mère, disparue. Mon père. Un modèle d’homme rude et fort. Un communiste italien qui trimât toute sa vie. « il parlait peu.. tout occupé qu’il était à survivre. » Sa vie ne fut qu’une triste « litanie de responsabilité. » Et « j’étais une d’entre elles.  » Je m’appelle Polza. « Pomni Leninskie zavety » : Souviens toi des préceptes de Lénine. Autant dire que j’ai vécu la chute du mur de Berlin comme une revanche personnelle. Avant sa mort, son médecin m’a dit : « Votre père ne souffre pas, ce qu’il perçoit du monde est comme une spirale… au début il comprenait qu’il était à l’hôpital, puis son monde s’est limité à sa chambre.  » Une vie spirale, concentrique, descendante : une vie ? une mort. Une lente mort par enveloppement, par réduction, par contraction calcinant tout dehors. Une vie ? Une survie. Une vie nue. Scindée. Divisée. Un meurtre.
Que je finisse dans la rue, clochard par élection, c’était la plus grande frayeur de mon père. Pourtant c’est exactement ce que j’ai choisi quand j’ai su qu’il était mort. Enfin, «  affranchi des fers familiaux, j’étais illimité. »

Palabre :
Les généalogies, les racines, les filiations, les descendances restent de fausses raisons de s’aimer. Il n’y a rien de moins aimable que la structure de la parenté. Polza ne sait pas as dire qu’il « aime » son père, seulement, qu’il le sait « important ». Sans liens d’amitié ou d’amour, il y a prépondérance - sans qu’on n’y prenne part. La ligne verticale de la paternité ne s’en sort qu’en devenant collatérale : frère ou soeur, c’est ainsi que nous savons aimer nos parentés. N’a-t-on jamais ressenti que nos parents auraient pu être de notre bande ?
Refuser les vies spirales de la parenté, vies qui ont tant d’ascendant sur la notre, ce n’est pas seulement tenter de vivre en les laissant mourir - solution de Polza, solution d’Oedipe et solution du moindre bloom ; c’est bien mieux parvenir à les laisser nous vivre, sans précédant.

Étape II :

Se familiariser avec la manière d’être de son propre corps, qu’il soit l’ignoble, l’immonde ou bien l’hapax d’un monde qui juge. Faire de ce poids pesant comme un boulet qu’on traîne, l’aimable gravité de toute sa présence.

Polza :
Mon corps. « Grasse carcasse » que je ne saurais assumer, boule infecte, lourde, pesante, chameau porteur de soi comme une épave, une tare, une faiblesse. Ils le pensent tous : « …toute cette graisse qu’il se trimballe… ça… me dégoûte… ça ballotte dessous ses bras… je suis sûr qu’il a des seins, tiens ! arh ! rien que d’y penser ça me… » Lacérations, excès, mon lent suicide physiologique. « Je ne m’apprécie pas particulièrement moi-même », haine de mon corps, dégoût de soi par haine du corps. Je ne m’aime pas, je ne m’aime pas, tu ne m’aimes pas non plus. « Comment ne pas se haïr quand il est si naturel de se faire haïr ?  » Pris dans les fils idéaux de ton mépris. Tu me parles, tu me dis : « Tu te rends compte à quel point il faut se détester pour s’infliger ça ? » Oui, je m’en rends compte, et « peu à peu, l’anomalie n’est plus une simple fraction d’une personnalité plus complexe, plus riche.. L’anomalie est votre identité.  » Et l’anomalie, on s’en débarrasse. Grille-pain sans fonction, inutile, brisé. « Fatalité du grille-pain  ». Sans espoir de se faire ready-made.
« Vous voulez savoir qui je suis ? Alors contemplez. » Contemplez mon énorme ventre. Eh bien, avec « un tel fardeau », avec ce corps, je peux « m’envoler ». J’ai retrouvé en cette vie, quelque chose qui m’appartenait depuis longtemps. J’ai suivi le conseil de Bojan : « Il te faut renouer avec ta sauvagerie. » J’ai cru le faire. Eh bien, je l’ai fait.

Palabre :
Une forme-de-vie apparait « quand, par exemple, nous nous trouvons devant un être entièrement abject mais dont la façon d’être abjecte nous touche jusqu’à éteindre en nous toute répulsion et nous prouve par là que l’abjection elle-même est une qualité.  » (Tiqqun) Polza, c’est cette rencontre de l’abjection.
Après avoir défait ce qu’il y a de morbide dans la filiation, c’est par le corps qu’il lui faut vaincre. Ce qui n’a pas de territoire, s’habite au moins lui-même. Et s’habiter soi, c’est décliner sa force le long de ce que le corps promet. « Chaque corps est affecté par sa forme-de-vie comme par un clinamen, un penchant, une attraction, un goût. » (Tiqqun, « Introduction à la guerre civile », proposition 3) Lorsque la vie est séparée de sa forme-de-vie, de son clinamen, de son goût, le corps commence alors à se morfondre, se contredire, s’annihiler. Le corps spirale du père de Polza. Le corps laissé à l’abandon devient tombeau de l’âme. Il ne s’agit pas de maigrir lorsque l’on est gras, ni de grossir lorsque l’on est maigre, ni de faire croître sa musculature, ni de renforcer son squelette. Là où le corps fait masse à sa vérité, nous laissons bien souvent croître notre tombeau.
Une forme-de-vie ça va, ça va bien.

Étape III :

Assumer la peur, l’imperfection, l’impureté du départ. Ne pas se laisser envoûter par la honte renvoyant la fuite à l’évasion, et l’évasion à la fuite. Parce qu’il faut s’en sortir, il faut aussi bouger de là. Bien que certains, de loin, accusent et norment.



Polza :

J’aime cette phrase de Jacques Brel : « Quand quelqu’un bouge les immobiles disent qu’il fuit ». Je n’assume pas complètement la sainteté de mon escapade : j’oscille entre le pur départ et la coupable fuite. Est-ce que je suis un lâche ? un effaré ? De mon père, « je devais passer chercher les cendres, en fin d’après-midi… J’ai jamais eu le courage. » Et pourtant, le 19 Juin, à 6h 30, je suis parti entre ceux qui rentraient se coucher et ceux qui allaient bosser. Quelle joie ce fut de n’être ni l’un ni l’autre. Je n’ai pas eu honte d’abandonner ma femme. « Je ne serais jamais un saint. » Mais j’ai vidé mon compte en banque : « je voulais que le chemin soit difficile, pas impossible ». Le chemin pour où ? Je ne savais pas. Je n’ai pas choisi de destination, je me suis laissé porter. Je n’allais pas « quelque part ». « Comme je n’avais pas de but, je m’en remis au hasard. Ce fut tellement facile. » « Le voyageur change ses yeux, le touriste ses billets. » m’a dit l’inconnu au matin de mon premier blast. Voilà ce que je voulais faire. Changer mes yeux. Puis à l’assaut des contingences répétée, une destination s’est finalement offerte, comme sortie du chemin lui-même : « Rapa Nui », l’île de Pâques.
Difficile de cerner ce qu’il y a en moi d’hypocrisies, de lâchetés, de renoncements et ce qui s’y mêle d’affirmations, de ruptures franches, de rédemption. Les vies humaines sont bien complexes. Tant que les immobiles pèsent encore sur moi, je ne me sens jamais que comme celui qui fuit. Pourtant, je ne suis pas celui qui fuit, mais celui qui renait.
Car je suis mis au monde une seconde fois.

Palabre :
Chacun, autant qu’il peut, lutte pour s’en sortir. Plus que de s’émanciper, il s’agit de cela. On ne lutte pas pour la Liberté ou l’Émancipation. On ne lutte pas contre l’Oppression, la Domination, l’Aliénation. Ces mots sacrifient l’universel à l’autel d’oppositions vieillottes. Chacun, autant qu’il peut, lutte pour s’en sortir. S’en sortir n’implique pas d’être aux prises avec un adversaire, mais de construire avec l’adversité. C’est seulement composer avec les forces qui nous détiennent. Il n’y a pas de substantif à « s’en sortir ». Ce n’est pas un concept, ce n’est jamais qu’une sorte de savoir-faire côtoyant l’effraction. Si tout le monde n’est pas Libre, partout, ça se débrouille, ça essaie, ça tente, ça s’efforce et ça trouve. Polza est un faisceau de contrariétés.
Trop souvent, au nom des grandes palabres, on ne fait que pulvériser le réel pour en spiritualiser la poussière.

Étape IV :

Se laisser ébranler un instant au saccage d’une conversion ou d’un retour au monde. Quelque chose monte en nous qui nous refoule ou tranche : le dehors relégué devenant adéquat.

Polza :
Le blast. « C’est un mot anglais difficilement traduisible. Ça correspond à l’effet de souffle, l’onde de choc d’une explosion… Une explosion c’est une onde de surpression… si elle se propage plus vite que le son et qu’elle entre dans votre corps, elle provoque des dégâts internes considérables… vous vous retrouvez alors avec cette surpression d’un côté et la pression atmosphérique de l’autre.. suspendu pendant une fraction de seconde, détruit de l’intérieur avant même que la chaleur ou les débris ne vous atteignent. Le blast, c’est cet instant là. »
«  Un craquement d’abord, dans ma tête… exactement le même son insupportable d’un os qui se casse. Puis c’était comme si un trou s’était ouvert au sommet de mon crâne. Une fatigue primale remontait de ma naissance. Je pesais cent fois mon poids. Je vous laisse imaginer ! J’étais suspendu entre terre et ciel, j’étais mis au monde une seconde fois. J’étais léger. Moi ! C’était limpide. Je voyais le monde tel qu’il était et non tel que je le pensais. Et non seulement j’en faisais partie, mais j’en étais la nature même.. l’origine.. J’ai entrevu un monde illimité et débarrassé de toute morale. Et c’était magnifique. Le trou dans mon crâne s’est brutalement renfermé. Le monde suspendu s’est volatilisé.  » La couleur s’est éteinte.

Palabre :

Il y a une différence entre l’ouverture d’une forme-de-vie et sa « fêlure  » (Tiqqun, Introduction à la guerre civile, proposition 7). Une forme-de-vie est fêlée justement lorsqu’elle ne parvient qu’à suivre une mort concentrique, une vie spirale et centripète, qui s’achève en monade calcinée. Est fêlée toute forme-de-vie dont l’aptitude à s’ouvrir, à se casser le crâne, à fendre l’os, se trouve infiniment affaiblie. Le blast de Polza appelle l’expérience plus tranquille des Noces de Camus, le courage des théologies négatives de Jean de la Croix ou de Maître Eckhart, les médiocres nausées de Sartre ou Heidegger. Le blast est l’expérience rare de ce qu’une forme-de-vie recherche lorsqu’elle suit la pente de l’accroissement de puissance. Difficile de palabrer d’un blast que l’on a pas vécu. Sachons seulement que nous ne sommes pas seuls à l’aller quérir.

Étape V :

Développer une science qui n’appartienne qu’à l’expérience vivante des mondes. Passer les universaux poétiques au tranchant d’une épreuve sensible. Rechercher le blast une fois vécu. Savoir qu’il est source de science.

Polza :
« L’éventail incroyable des possibilités me donnait le vertige. » Après le blast, je suis parti. J’ai pris un train jusqu’au terminus. Je me suis éloigné des villages et des routes. « L’évidence était d’expérimenter pleinement cette liberté nouvelle avant de m’échouer à mon tour sur un lit d’hôpital. » Mais ce fut bien plus fort qu’une simple parenthèse entre deux évanouissements. Je suis entré dans la forêt. « Pas à pas je me détachais de mon histoire comme d’une mue, gonflé d’une assurance nouvelle. » Face à moi, le nouveau monde, inédit, avide. La nature se refermait sur moi, je comptais « parmi ses discrètes légions  ».
Je découvris que le simple fait de vivre élimine les bêtises du verbiage. Le silence et la solitude, par exemple. « Le silence comme la solitude sont des inventions poétiques… Il suffit d’une nuit allongé sur le sol de la forêt pour s’en convaincre !  » Tout ce bourdonnement confus de la terre. On ne peut pas s’y sentir seul. «  Le ventre contre le sol, je sentis la grouillante marche du monde. » Et cette marche me ressemblait, insatiable.
Je fus comme introduit à une nouvelle science. Je pense qu’«  il est un mystère dans la nature », elle ne se dévoile qu’à celui qui l’écoute. Patient, immobile, attentif. « J’appris en silence car rien n’était dit. » J’ai suivi la parole de Bojan : « si tu sais être silencieux et écouter comme un animal, alors tu entendras des vérités insaisissables. Mais tu seras alors alourdi d’un fardeau supplémentaire.  » J’étais déjà si lourd, le poids des vérités insaisissables, je ne sais pas si j’ai su le soutenir.
J’accompagnais mes contemplations de quelques grammes d’alcool dans le sang. « L’alcool, au même titre que n’importe quel produit qui modifie la perception, est un formidable outil d’expérimentation intellectuelle. » Je n’ai rien à répondre à ceux qui ne voient en moi qu’un ivrogne qui se donne des excuses de poètes.
« …j’ai réellement commencé à vivre à ce moment-là.. J’ai enfin trouvé une alternative à la norme... »

Palabre :

Polza n’opère pas un de ces « retour à la nature » où se « ressourcer  ». Il ne s’agit pas de quitter brièvement la ville pour qu’il devienne loisible d’y retourner. Ce n’est pas non plus la simple quête d’un dérèglement de tous les sens. Pour Polza, il s’agit de la découverte d’un monde au-delà de toute morale. L’activité d’une forme-de-vie au-delà de toute morale, c’est la science et l’expérimentation. Non pas la science telle qu’elle est capturée par l’appareil d’État, mais la science telle qu’elle déploie l’expression d’une forme, singulière en sa manière d’être adéquate aux réalités auxquelles elle appartient. Non pas convenir à la Loi, mais percevoir la loi des Convenances.

Étape VI :

Ne pas laisser les Républiques revenir.

Polza :

Je t’ai rencontré, République mange-misère, miroir de celle qui vous avait exclu, vous, des parias s’efforçant de bâtir un monde à l’image de l’ancien ! République nationale ou République mange-misère, petit royaume ou grand royaume, je n’ai que faire de toutes les chaînes, qu’elles soient mendiantes ou mondaines. « Gardez là votre république jumelle de celle qui vous a mis dehors... Je ne cherche plus ce genre de confort... Je ne mendie plus ma place... »

Palabre :
Tout l’art d’une forme-de-vie est celui de la destitution permanente. «  Une forme-de-vie est constitutivement destituante. » (G. Agamben, L’Usage des corps, « Épilogue », p. 376)

Étape VII :
Ils voudront te comprendre. Ce sera leur manière de ne pas te laisser vivre. Ils voudront des explications, du sens, des commentaires. Ils ne supporteront pas l’arbitraire, la contingence, le détachement. Ils te réduiront à la Loi. Affirme la complexion de ton mystère.

Les flics :

« Je veux qu’il parle, qu’il reconnaisse tout », « maintenant que vous l’avez serré, il faut le comprendre. » Faites le parler, ne le brusquez pas, « tant qu’il parle, il reste accessible…  » « On est des flics, on est pas là pour te juger, mais pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Et crois moi, t’as intérêt à ce que quelqu’un comprenne… » Tu es absolument irrationnel. Tu dis des conneries. C’est marrant chez les prévenus ce besoin de philosopher avec les flics.

Polza :

Rien n’est jamais entier ou sans nuance. Ce qui distingue un homme d’un flic, disent les mauvaises langue, c’est justement la nuance. Vous voulez du logique, du cohérent, des enchaînements lisses qui mènent d’hier à aujourd’hui sans trou, sans mystère, sans nuit ? Vous n’avez peut-être rien compris. « On pense que le mystère n’existe que pour être dissipé… on pense que tout est explicable. » On cherche ce qu’il y a de juste, de moral ou d’éthique, mais vous vous conformez à la mathématique de la Loi, je m’en remets aux soubresauts de la nature. Et dans la nature, il n’y a pas de justice.
Je ne suis pas le développement nécessaire d’un programme : Polza Mancini, 38 ans, orphelin de père, de mère, de frère, écrivain, clochard, meurtrier, « sept internements en hôpital psychiatrique durant les six dernières années… Automutilations, comportement asocial, altération du jugement, état délirant, hallucination.  » Non, « mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume toute entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… »

Palabre :

Blast, c’est l’histoire rétrospectivement racontée depuis la salle d’interrogatoire de la prison. Les quatre tomes de Manu Larcenet savent si bien jouer là dessus, et sont excellents. Mais peut-être n’a-t-on jamais eu sous les yeux la plénitude d’une forme-de-vie. Justement parce que toutes les histoires que l’on nous rapporte reposent dans les archives des Inquisitions, de la Police, dans les rapports de justice, les voie-de-fait. Parce qu’au fond, les formes-de-vie que nous connaissons ont déjà subi l’opération d’éclaircissement des procès verbaux et des jugements rendus. Seul y échappe peut-être celle de nos amis.
C’est pourquoi une forme-de-vie a souvent fait ses preuves dans l’histoire comme l’objet d’une infâme terreur : «  La question de savoir pourquoi tel corps est affecté par telle forme-de-vie plutôt que par telle autre est aussi dénuée de sens que celle de savoir pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Elle signale seulement le refus, parfois la terreur, de connaître la contingence. A fortiori d’en prendre acte. » (Tiqqun, Introduction à la guerre civile, proposition 6) La forme-de-vie réussie s’exprime négativement dans la panique des blooms. Le bloom veut du sens, des raisons, des explications, la forme-de-vie veut seulement qu’on lui foute la paix. Quel est le sens de la vie ? en voilà une question qu’elle ne se pose que pour rire.
L’arcana imperii de tout pouvoir est : se taire, faire taire et faire parler. Cela a un nom, et il se cache, c’est le mystique. Contre l’arcane de tout pouvoir, la forme-de-vie : se taire, laisser se taire et laisser dire. Cela a un nom, et il se montre, c’est le mystère.

À Mexico,
le 15.01.17

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