Confinement du printemps

par Claire Le Men

paru dans lundimatin#237, le 6 avril 2020

Claire Le Men, auteure et illustratrice a publié l’année dernière son premier roman graphique Le syndrome de l’imposteur (aux éditions La Découverte) inspiré de son internat en psychiatrie. Le poème qui suit « évoque le confinement de façon un peu décentrée, un témoignage du printemps à l’ère anthropocène ».

Ils criaient que la terre s’était tue
Dans leurs murs désormais rapprochés,
Quel vacarme ils faisaient !
Et chaque soir ils comptaient,
Leurs chiffres devenus étrangers
Puisque même leurs nombres avaient perdu la raison
Puisque même leur Science n’avait plus rien à dire
Puisque même leurs Mots étaient assignés au silence.
Nous ne voulons plus entendre vos contes de fée !
S’insurgeaient ceux qui étaient enfermés
Nous ne voulons plus voir la beauté !
Répétaient ceux qui croyaient
qu’ils pouvaient encore décider.

Ils criaient que la terre s’était tue
Et leurs bruits même couvraient
Jusqu’au rugissement du torrent
Pourtant plus libre qu’eux maintenant.
Tout est arrêté ! Hurlaient-ils. Nous avons tout figé !
Alors que la Nature s’éveillait tranquillement,
Alors que tous ses occupants riaient
De ceux-là si brillants
N’ayant pas su apprécier
Qu’ils ne faisaient que passer.

Ils criaient que la terre s’était tue
Et ils pleuraient le Monde
Quand ils parlaient du leur seulement.
Tout est fini ! Se lamentaient ils
Quand tout reprenait enfin.
De leurs espaces qu’on avait sur eux-mêmes retourné
Ils ne pouvaient pas distinguer
L’indifférente intelligence
Qui se passe d’eux pour avancer.
Ces drôles de créatures...pensait elle en silence
Mes propres créations, persistent à se penser
Comme uniques décideurs, seuls en ma résidence.

Ils criaient que la terre s’était tue
Regrettant simplement leurs habitudes perdues
Déterrant des mots aux sens oubliés
Déplorant ce confinement de leurs terriers
« L’heure est grave. » disaient-ils
Quand tous les autres se réjouissaient
« Même battre des mains n’est plus anodin. »
Quand partout la vie revenait.

Ils criaient que la terre s’était tue
Quand elle n’avait jamais autant chanté.
Son printemps enfin débarrassé
De l’espèce la plus compliquée.
Et chaque oiseau reprenait sa mélodie
Que ces malheureux ne pouvaient plus entendre
Car plus personne ne se souvenait
Que les mésanges zinzinulaient.

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