Communiqué du MILI à propos des interdictions de manifester

Stratégie de la tension : interdiction de manifester & état d’urgence

paru dans lundimatin#62, le 28 mai 2016

Publié sur le site Mediapart dans la soirée.

Des membres du Mouvement Inter Luttes Indépendant (Mili) et d’autres camarades ont vu leur week-end de la pentecôte gâché par une visite des services de police aussi imprévisible que désagréable. Hormis ceux qui ont eu la chance d’être en « course » au moment du passage des policiers, les autres se sont vus remettre une interdiction de séjourner dans plusieurs arrondissements et place de la république qu’ils ont été contraints de signer, parfois sous pression. Si au cours de cette visite les policiers n’ont pas démérité dans leur tentative habituelle d’intimidation et d’humiliation - coups de téléphone aux parents pour ceux qui résident chez eux ou encore remise du papier devant la famille - c’est surtout le contenu de cette interdiction qui nous étonne.

En réalité, il ne fait aucun doute que cette interdiction a pour seul objectif d’empêcher une frange organisée de la jeunesse de manifester. Les personnes concernées par la mesure sont interdites de séjourner le 17 mai 2016 dans le 6, 7, 14 et 15 ème arrondissement de Paris de 11h à 20h et de 18h jusqu’à 7h le lendemain dans le quartier de République, autrement dit, il leur est interdit de se rendre à la manifestation de mardi contre la loi El-Khomri et a la Nuit Debout. C’est une interdiction politique et à travers cette mesure M. Cazeneuve s’octroie le droit de choisir qui peut, ou non, se rendre à une manifestation, dans l’espoir de faire taire toute contestation par l’intimidation. Si nous savons depuis trop longtemps que l’état de droit est une fiction, qui plus est sous état urgence, il nous semble nécessaire de rappeler certaines choses.

En premier lieu, le caractère arbitraire de ces mesures et son rôle dans une stratégie de terreur à l’encontre des manifestants. Ces interdictions de manifester sont, au-même titre que les assignations à résidences, des décisions administratives. Elles relèvent d’une décision unilatérale et ont pour seul fondement le jugement subjectif des services de police, plus précisément de certaines notes blanches recueillies par les renseignements généraux. Elles ne sont pas contrôlées par la justice et sont mises en place simplement quand il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », c’est-à-dire qu’elles reposent sur des présomptions et non des faits ; autant dire le régime de l’arbitraire et le retour des lettres de cachet.

C’est l’ensemble de ceux qui ont contesté la loi qui sont susceptibles d’être touchés par cette interdiction, comme en atteste la diversité des groupes ciblés : un lycéen, un photographe indépendant, des militants antifascistes, des étudiants ou des jeunes. Peu importe qui vous êtes ou ce que vous avez fait, ce qui compte c’est votre simple présence en manifestation et le fait de ne pas dissocier le discours des actes. La lettre du préfet dit une chose : « nous savons que vous avez contesté l’ordre établi, nous savons où vous habitez, nous pouvons revenir ». Tout comme les coups des matraques ou les tirs de flash-ball ce qui compte c’est moins ceux qui sont ciblés directement que ceux qui sont autour, car l’effet est indirect, mais bien présent. Ne nous y trompons pas ne sont pas uniquement les membres du Mouvement Inter Luttes indépendant qui sont visés par ces interdictions de manifester, mais l’ensemble des sympathisants et plus largement la jeunesse fer-de-lance de la contestation.

La police espère voir tous ceux qui contestaient et contestent encore la loi El-Khomri, voir plus, déserter la rue et rentrer chez-eux sous l’effet de la peur de la répression, plutôt que d’espérer la fin des débordements en interdisant une trentaine de personnes de manifester.

Il faudrait être terriblement naïf pour croire que les débordements sont le fait d’un petit groupe, quand on voit des milliers de manifestants se masquer le visage et s’organiser de façon autonome pour mettre en échec l’État et la police. Ces interdictions de manifester sont donc des interdictions pour l’exemple, qui ont pour but de terroriser ceux qui depuis plusieurs semaines tiennent la rue pour y battre le pavé.

En second lieu, il nous semble important de rappeler ce que ces interdictions signifient également que le système perd pied. Nous nous posons une question : n’est ce pas un aveu d’impuissance que d’utiliser une mesure prévue pour lutter contre le terrorisme à l’encontre des jeunes d’une vingtaine d’année et d’un lycéen de 17 ans ? De toute évidence, ça l’est. Le pouvoir est en train d’être submergé par une succession de débordements. Face à cela il n’a pas d’autre choix que de se compromettre avec ses propres (supposés) principes. Il détourne les mesures permises par l’état d’urgence contre le terrorisme à l’encontre de la population civile : population musulmane, militants écologistes et actuellement les jeunes (et moins jeunes) contre la loi travail. Le reste a échoué, ainsi le gouvernement en est arrivé là. Lors des précédents conflits sociaux, c’est la distinction entre manifestants dit violents et dit non-violents, ainsi que le mythe du casseur, qui permettaient de diviser la contestation, mais aujourd’hui les gens se tiennent ensemble, dans leur diversité tactique. Les nombreuses soupapes qui séparaient les contestataires du pouvoir, comme les bureaucraties syndicales, ont explosé. Face au déploiement d’un armement militaire par la police et à ses techniques ridicules, les foules ne fuient plus, mais de semaine en semaine s’organisent pour revenir plus fortes, plus nombreuses et avec plus de détermination.

Nous soutenons donc toutes les personnes frappées par les interdictions et souhaitons bonne chance à celles qui essayent d’y échapper. Mais surtout nous appelons à intensifier la mobilisation, à prendre la rue dès que la situation le permet, à occuper des lieux pour y construire d’autres manières de vivre et à s’organiser contre la répression sans tomber dans son piège, qui est celui de créer des clivages.

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