Que lire pendant les occupations ?

[Bonnes feuilles] Angel de la Calle - Peintures de guerre

paru dans lundimatin#145, le 10 mai 2018

Comme il semble que le multiforme mouvement en cours ait rompu avec la vieille et mauvaise habitude française consistant à faire la révolution jusqu’à la date du départ en vacances, et que, dans les universités, de Limoges à Paris et dans d’autres lieux présents et à venir (pôles logistiques, entreprises ou bâtiments officiels), les occupations se poursuivent ou reprendront, Lundi matin vous offre quelques suggestions de lecture pour les temps qu’on dit morts (et qui en réalité, non encadrés par des nécessités sociales, contiennent à l’état brut les infinis potentialités de la vie). Que cela ne nous dispense pas de réfléchir aux moyens de mettre en réseau et résonance ces diverses occupations pour enfin nous occuper à autre chose qu’occuper.

Serge Quadruppani


Dans les cinq épisodes de ce roman graphique, Angel de la Calle raconte le destin d’artistes révolutionnaires fuyant dans les années 70 la répression en Uruguay, au Chili, en Argentine, au Mexique, pour se retrouver à Paris. « Ange de la rue » comme le dit son nom, trouve dans les rues d’une ville qui n’est plus capitale des arts mais que hantent encore de beaux fantômes (de Guy Debord à Jean Seberg) le décor où croiser ces fils narratifs reliant les épisodes d’exaltation créatrice, de bouillonnement amoureux, de bouleversements sociaux et de rues envahies par des foules heureuses, avec l’horreur des trahisons, des supplices et de la mort dans l’absolu du désespoir. Le ton est donné par un premier épisode chilien hallucinant où lors d’une réception dans une villa patricienne, tandis que s’échangent les propos insignifiants d’un milieu artistique aussi pénible qu’ailleurs, l’un des invités, critique d’art en quête des toilettes, s’égare pendant une coupure de courant, descend au sous-sol et découvre l’abomination. Angel de la Calle sait tout mêler, du récit documentaire montrant le rôle des anciens de l’OAS dans la formation des bourreaux sud-américains, à l’intrigue policière et au réalisme magique – ainsi du destin de ce rescapé du massacre de la place des Trois Cultures le 2 octobre 1968, qui réussit à fuir sa prison avec l’aide d’un peintre suicidé en 1959. Ce pourrait être une belle métaphore de ce récit choral, où le mort se saisit du vif, mais pour le libérer…











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