Civiliser le désert américain

« Que s’est-il passé ?
Boom ! 574 émeutes ; 2 382 cas de pillage. »
Idriss Robinson

paru dans lundimatin#295, le 6 juillet 2021

Le texte qui suite est extrait d’une conférence intitulée « what just happened ??? » qui s’est tenue le 28 mai 2021 pour le premier anniversaire du soulèvement George Floyd.

Que s’est-il passé ?

Eh bien, alors, en vrai, ce qu’il s’est passé, c’est…
Boom ! 574 émeutes ; 2 382 cas de pillage.

En plus de tout ça… 97 voitures de flics incendiées ; 13 flics, eux-mêmes, ont été abattus ; et 9 d’entre eux Daeshisés dans des cas de délits de fuite.

Alors, je peux aussi vous dire ce qui ne s’est pas passé...

Ce qui s’est passé de mai à juin 2020 n’était pas une série, pour la plupart, de ’manifestations pacifiques’.
Comme ce n’était pas non plus à l’initiative d’un crétin blanc en chemise hawaïenne.
Et pour cause, la peur d’une initiative révolutionnaire noire court si profondément dans ce pays que, à la fois les libéraux et les conservateurs, MSNBC et FOX News, sont maintenant en compétition pour voir qui peut concevoir la plus folle des théories du complot.
Tout cela pour simplement dissimuler les faits sur qui a déclenché l’un des soulèvements les plus importants et les plus larges de l’histoire américaine.

James Baldwin a dit un jour : ’L’un des dangers à être un Noir américain est d’être schizophrène, et je veux dire « schizophrène » au sens le plus littéral.’
Pourtant, pendant un bref instant, un instant suffisamment long pour reprendre son souffle au propre comme au figuré, les rôles ont été complètement inversés : leur confusion est devenue notre raison, leur chaos est devenu notre paix.
Mais surtout, parmi la masse des députés-citoyens solitaires, isolés, autonomes, morts-vivants de la friche américaine, avec leurs névroses incurables et leurs routines dérangées, nous avons vu, pour la première fois, comme un bref aperçu d’humanité.

C’est l’introduction du projet humaniste fanonien, posé à la fin des Damnés de la Terre : une véritable mission civilisatrice.

Mais seulement pour ceux qui ont participé, sur un plan presque spirituel, corps et âme, au non-mouvement, plutôt qu’au mouvement social.

Courir avec les nègres des champs qui se sont libérés ; se sont lâchés sur les banques et se sont lâchés sur les bureaux de libération conditionnelle.
Mais même moi, je peux sentir les chaînes se resserrer ; et je me demande combien de temps ils vont encore me laisser me lever ici et parler de ce merdier.

C’est-à-dire qu’après une année de pandémie, d’agitations et de catastrophes naturelles, tant de choses se sont passées, et pourtant, tant de choses restent les mêmes….
Par exemple, à part les Noirs, 99,9% des Américains continuent de se diviser en deux catégories, ce qui reflète le système bipartite : soit ils sont ouvertement racistes, soit simplement narcissiques et chiants.
Bien trop souvent, c’est un terrible mélange des deux.

Lorsque la crise éclate et que les refoulés font leur retour, les mécanismes de défense fonctionnent à plein.
Voilà pourquoi le jargon des universitaires sonne désormais d’autant plus creux et vide.
En effet, il semble que seul.e.s Yannick Giovanni Marshall [1] et Dr Joy James [2] aient eu le courage de dire ce qui devait être dit.

Pendant ce temps, le reste de l’intelligentsia noire a continué à essayer d’articuler son propre et unique mode de souffrance bourgeoise.

L’obsession de soi semble être le meilleur moyen d’ignorer l’agencement noir, car ils ont été totalement incapables de s’adresser à leurs frères et sœurs dans les rues, qui brûlaient et pillaient.

Soyez sûr que notre société mobilise toujours tous ses efforts pour éviter minutieusement le problème fondamental.

Il ne s’agit pas de diversité et d’inclusion.

Il ne s’agit pas non plus du traitement des personnes de couleur, qui ou quelles ou qu’est-ce qu’elles soient…

C’est le fait que les négros, et non les bipocs [3], sont enfermés en prison, et surtout que tout le monde, et même probablement vous-même, au moins à un niveau subconscient, pensez que c’est là, en réalité, qu’ils doivent être.

C’est le fait qu’un jour sur deux un jeune homme blanc tire sur une école ou un supermarché, mais que rien n’évoque plus la peur dans le cœur d’un Américain qu’un jeune homme noir avec un ventilateur suspendu à son rétroviseur.

[Traduction : BFL]

[1Enseignant chercheur en études africaines

[2Philosophe américaine. Chercheuse en études africaines

[3Black, indigenous and people of color 

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