{Chaviré}, Nantes, la métropole et ses ennemis

Chronique musicale

paru dans lundimatin#111, le 17 juillet 2017

Un lecteur de lundimatin amateur de punk politisé nous a confié cette chronique d’un étonnant groupe nantais.

S’il est courant de voir dans la scène punk Do-It-Yourself des textes en prise avec les problématiques sociales et politiques, reste que l’on tombe bien souvent, d’un point de vue littéraire, dans les clichés d’une époque révolue. Avec Chaviré, c’est loin d’être le cas. Au-delà d’avoir sorti un album qui ravira les fans du genre, les habitants de la capitale du monde d’après l’accompagnent d’un recueil de huit textes s’enchainant parfaitement ; le tout soutenu par des riffs mélodiques aux progressions nostalgiques qui n’en donnent pas moins l’envie de brûler des Porsche devant une Préfecture de Police. Paradoxalement, c’est de silence que parlent leurs bruits qui restent. D’un silence, placé autour du désastre, qu’il faut rompre.

On entame cette première face avec un appel à déserter ce désastre. Pour les emotiers, la métropole ne peut plus contenir nos rêves d’aventure si ce n’est dans leurs éternelles capacités à enfermer et, au fond, « Toutes les prisons de Nantes, sont faites pour emprisonner », quoiqu’en dise l’idéologie de la patrimonialisation. Par cette phrase, c’est l’histoire populaire de la ville qui est signalée, comme une inscription dans le continuum historique d’une cité de tout temps marquée par ses luttes. Très logiquement, l’aménagement du Bouffay continue d’être évoqué dans « Le voyage forme La Jeunesse ». Les villes-musées momifient la perception et enserrent l’ennui dans une errance marchande que les industries culturelles manipulent : « Quand l’art investit la ville, c’est toujours à grands coups de capitaux, dans des métropoles de pacotille où tout ce qui brille ne fait pas de cadeaux ».

DÉSERTONS LE DÉSASTRE
On tient bon mais on cherche des interstices dans le bruit et le vide d’une époque qui joue la montre en fin de vie. On tire les conséquences du match nul du siècle, les diseurs de bonne aventure se rendent à l’évidente défaite ; il n’y a pas d’aventure. Nous disparaitrons sans laisser de trace, nos communes idéales ne tiennent pas dans les métropoles. Toutes les prisons de Nantes, sont faites pour emprisonner, car l’époque est aux murs et aux déserts.

Ces balades, non, ne sont pas « un travail sérieux, avec de gros livres et beaucoup de papiers sur une grande table ». Non, Chaviré le rappelle, il suffit de se promener – faisant ici référence à une bande dessinée situationniste. Dans « Tous les chevaux du roi », Chaviré rappelle que l’on a oublié la fête, que même dans nos luttes on passe notre temps à commémorer nos défaites. Référence à René Char à l’appui et non sans rappeler des textes de Nantes Révoltée, on nous enjoint à agir en primitif et prévoir en stratège afin d’éviter, comme toujours l’éternel retour de la lutte du « Nous contre Nous » qui refait surface à chaque période de reflux. Dans celle-ci, les punks usent d’une référence à Booba & Ali : « Si les erreurs n’appartiennent qu’à nous même, pas le temps pour les regrets ». Se pose alors, en toute situation similaire où l’on s’écharpe, où les collectifs et les bandes s’engueulent et se séparent quand des désaccords sur le bilan de la défaite surgissent, la question de Partir ou de Rester. Dans ce contexte, le « festival des gueules résignées, des pires ennemis en devenir, des pires ennemis à devenir » gangrène les dynamiques locales jusqu’à en dégouter les plus jeunes fraichement débarqués. Ceux qui partent, bien qu’ils pensent sincèrement échapper à la reproduction, reproduisent bien souvent ailleurs ce à quoi ils voulaient échapper. « Barcelone » a beau faire rêver, comme partout elle est sujette à la mort. Et de Barcelone, d’ilots où partir pour vivre autre chose, il y en a d’autres, parfois plus proche. Et bien qu’on arrive à se convaincre de ne pas être un touriste parmi d’autres, on participe à la même logique : du tourisme militant au néocolonialisme des gentrificateurs révolutionnaires vivant l’exotisme des quartiers populaires.

LE FEU, LES CENDRES.

L’époque est opaque, opaque s’il en est ! Des feuilles mortes à ramasser comme toujours à la pelle. On en a eu assez des voyages et des promenades, à se persuader que c’est toujours mieux ailleurs, tant qu’on y est pas. Et des meurtrières, pour toutes nos meurtrissures, pour tout ce qu’on remet à demain, pour tout ce qu’on laisse en arrière. Puisqu’on a remis à demain, notre envie de tout changer. Avoir envie de voir s’embraser le quotidien, avoir envie de voir brûler ce qui nous tient, tu as eu envie de mettre à sac cette ville de merde. Depuis le temps qu’on se laisse aller, depuis le temps qu’on laisse couler, à quand le drame ? C’est pour demain les flammes, depuis le temps qu’on attend le grand incendie, le feu et les cendres.

La critique portée par le quatuor est finalement une critique de la résignation à ne pas vouloir agir localement. Dans « Le Feu, les cendres », l’appel à l’appropriation est net et doit dépasser les embrouilles. C’est finalement depuis cet ancrage dans la métropole que peut s’énoncer une composition, depuis l’ancrage et depuis la pratique du saccage : « Avoir envie de voir s’embraser le quotidien, avoir envie de voir brûler ce qui nous tient, tu as eu envie de mettre à sac cette ville de merde. Depuis le temps qu’on se laisse aller, depuis le temps qu’on laisse couler, à quand le drame ? C’est pour demain les flammes, depuis le temps qu’on attend le grand incendie, le feu et les cendres ».
L’épilogue est introduit par un titre clair : « En attendant de déclasser les centres ». À nouveau, on cherche des interstices : la boucle est bouclée. C’est que tout commence par une reprise, une reprise en main de la ville et de notre volonté d’en découdre : « Ce qu’ils appellent la vie n’est qu’une fausse promesse, leur joie un mensonge de compromis qu’on accepte trop souvent. On continue de se battre pour la ville, on retient ce qu’on peut de ce qu’on nous laisse et on ne se laisse pas aller au renoncement. On cherche des interstices, et on tient bon ».
La question que soulève ce disque, c’est finalement de savoir si Chaviré aurait pu exister ailleurs, dans d’autres métropoles. La réponse est, je pense, négative. Car si l’espace est produit par l’homme et non l’inverse, reste que l’histoire de cette ville tient les Nantais à leurs murs autant qu’à l’insurrection. Rappelant les mots de Gracq qui, dans la forme d’une ville disait : « Une bise de passions anciennes, inexpiables et peut-être mal endormies, souffle encore aigrement dans les petits carrefours venteux qui s’ouvrent autour du Bouffay et de Sainte-Croix, et rappelle que la ville, dans les défoulements politiques collectifs, en 1793 comme en 1968, a eu tendance à aller plus loin qu’aucune autre ». Quelque part, les jeunes nantais auraient pu appeler ce disque la forme d’une ville, qu’il n’en aurait été que plus agréable à écouter et à lire.

S. Fiche

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