Bure : Retour sur le rassemblement à Bar-le-Duc pour Robin

Faire face à la mutilation physique et sociale

paru dans lundimatin#114, le 24 septembre 2017

ATTENTION : Perquisitions en cours à Bure. Pour suivre le fil d’info : https://vmc.camp/2017/09/20/alerte-perquisitions-en-cours-a-la-maison-de-bure-et-a-la-gare/

Le 10 septembre, à Bar-le-Duc, une centaine de personnes se sont rassemblées devant la gendarmerie, en solidarité avec Robin, gravement blessé par les gendarmes lors de la manifestation du 15 août à Bure. Comme l’affirment Robin, sa famille et ses amis, la famille de Rémi Fraisse, et des membres de la famille de Vital Michalon, assassiné à Creys-Malville en 1977, dans une tribune publiée le 12 septembre :
« La violence étatique, lorsqu’elle produit ses ravages sans susciter d’émoi collectif, constitue chacun de nous en mutilé potentiel, en mutilé préalable, en mutilé social. ». Son objectif premier est de faire peur, diviser, nous isoler jusqu’au fond de nous-mêmes.

Derrière Robin, qui a pris le parti de porter sa situation haut et fort, il y a des dizaines de blessé-e-s dans la manif du 15 août, certain-e-s graves aussi. Il y en a eu d’autres, à Bure,dans les derniers mois. Il y en a des centaines dans chaque manifestation, dans les quartiers, depuis des années. Sans parler des dizaines de « crimes » policiers chaque année. Derrière Robin il y a Rémi, Vital, Malik, Ali, Liu, Amine, Wissam, Adama, etc, etc.

Lorsque Robin se met en jeu devant la machine médiatique et policière, lorsqu’avec son fauteuil il va seul au devant d’une ligne de flics pour les dévisager un à un, faire fuir leurs regards, les haranguer, et les défier le poing levé, il ne faut pas y voir un égo-trip, une martyrologie, mais une tentative de retourner la paralysie, la sidération, la peur. Et rendre palpable la guerre de basse intensité qui nous est faite.

Le 10 septembre, malgré la disposition géographique du rassemblement - une zone commerciale excentrée -, et la grisaille meusienne, c’est un petit peu de cette machine de mutilation sociale quotidienne qui a été, éphémèrement, désactivée. La grille anti-émeute du fortin de CRS a d’abord été recouverte par une banderole « NON A CIGEO, ENFOUISSONS PLUTÔT LES ARMES DE LA POLICE », puis les reliquats de leurs grenades leur ont été rendus collectivement, aspergés de peinture rouge.

Le rassemblement, symbolique, a rapidement été bloqué et n’a pas pu aller bien loin. Mais il a été profond, par ce qui y circulait de dignité et de détermination dans les multiples prises de paroles – de Robin, sa mère, de différentes composantes de la lutte à Bure (gravitant-e, militants historiques…), ou enfin de personnes souhaitant tout simplement lire un poème.

Nous publions ici une vidéo de la manif du 15 août à Bure, puis les interventions, le 10 septembre, de Robin, de sa mère, de sa sœur, les lettres de soutien qu’il a reçu de deux frères de Vital Michalon, ainsi que le témoignage d’un camarade de Bure ayant décidé de refuser publiquement son interdiction de territoire il y a quelques mois.

À la fin de l’article, nous indiquons également des liens vers d’autres textes qui ont été lus lors de cette journée.

Prise de parole de Robin

Bonjour à tous,

Tout d’abord, je voudrais dire merci. Merci à mes amis, à ma famille et à tous ceux qui m’ont soutenu de m’avoir tant aidé ces trois longues dernières semaines. Ces trois longues dernières semaines de ma vie ont surtout été marquées par les multiples souffrances qu’impliquent la gravité de ma blessure, mais qu’est-ce que cela aurait été sans toute cette affection, ces massages, toutes ces visites à l’hôpital, cette équipe médic, ces lettres de soutien, ces banderoles et tous ces sourires qui m’accompagnent et m’accompagneront pour la suite qui sera malheureusement difficile tant au niveau physique que moral. Je tiens à remercier tout particulièrement mes amis qui s’occupent de mes enfants à ma place et ma mère et ma petite sœur qui s’en sont beaucoup occupés aussi.

Après cela, il y en a d’autres à qui vous vous doutez bien, je ne compte pas dire merci. À vous tous, hommes et femmes qui vous êtes laissés enrôler dans l’institution policière, à vous qui tout les jours fermez les yeux sur votre rôle de chien de garde d’un système qui s’est construit sur les massacres, l’esclavage, le pillage des ressources et la destruction de tout ce qui rendait la vie désirable. A vous je le crie sans détour, comme je vous l’ai crié, mon pied troué sous mes yeux depuis le camion de pompier, quand vous contrôliez les voitures sortant de Bure : démissionnez ! Quittez tout ça ! Faites autre chose ! Vous êtes dans le mauvais camp. Les vrais criminels sont au pouvoir et vous êtes leurs sbires. Votre corporation, votre gang, dont le régime ne peut plus se passer pour se maintenir en place, s’est rendu coupable et se rend encore coupable quotidiennement de nombreuses formes de violences. Contrôle d’identités, GAV, prison, pressions, perquisitions, blessures, blessures de guerre, meurtres. Le caractère criminel de vos actes n’échappent plus qu’à ceux que les œillères démocrates ont finit par rendre totalement aveugles.

Si nous sommes là aujourd’hui ce n’est pas pour parler que de mon cas. La plupart du temps, les souffrances dues aux violences policières restent dans l’ombre. Dés fois par peur d’une répression plus forte encore, d’autres fois par un silence scandaleux des médias. Les affaires les plus étouffées sont celles qui touchent les quartiers populaires, quand par exemple Adama Traoré est tué par les gendarmes le 19 juillet 2016 et qu’aux différents JT des jours suivant on ne n’en entend pas un mot. Et quand les marches et les émeutes se multiplient, on salit la mémoire de la victime et on nie l’évidence du crime policier. C’est tout de même ce qui arrive aussi dans mon histoire : les médias titrent « Manifestation à Bure des blessés des deux cotés » et la préfecture communique « Rien ne prouve que c’est avec une arme des gendarmes qu’il ait été blessé ». Comment peut-on être aussi hypocrite, aussi menteur ? Comment peut-on nier l’asymétrie du combat entre ceux qui se lèvent pour un monde meilleur et les robots que l’on envoi pour les mater ? Comme pour Rémi Fraisse, une pensée au passage à sa famille ; les gendarmes n’avaient rien à protéger le 15 août. Nous étions dans un champ vide. Le laboratoire de l’Andra était à 5 km. Mais ils ont préférés nous tirer dessus plutôt que de nous laisser manifester. Le gang policier apparaît ici avec sa fierté.

L’asymétrie du combat est double, d’un côté la police utilise des armes d’une violence incomparable à celle des manifestants. De l’autre côté, les sentences qui tombent en cas de violences sont-elles aussi d’une inégalité folle. Quand des Rennais subissent perquisitions, arrestations et prennent jusqu’à 17 mois de prison ferme pour un policier qui a 1 jour d’ITT, on ne peut que constater que la justice est à 2 vitesses, car ma plainte n’aboutira comme d’habitude qu’à un non-lieu ou à une condamnation dérisoire malgré mes 365 jours d’ITT.

La même impunité policière a déjà eu lieu avec tant de tués, Rémi Fraisse : non-lieu, Adama Traoré : pas de poursuite et après des années de combats judiciaires Amal Bentounsi n’obtint pour son frère tué par balles dans le dos que d’une condamnation avec sursis pour le policier ! Face à un système judiciaire si verrouillé, je continue de penser que le vrai combat se situe dans la rue, dans les territoires en lutte, dans la vie, tous les jours. Par la répression ils veulent nous asseoir mais la vie réclame ses droits et réclame que nous nous levions. Alors oui j’appelle tout le monde à rejoindre le mouvement de la ZAD contre l’Aéroport de NDDL, de Bure contre cette immense merde nucléaire insensée qu’ils veulent construire à 500 mètres de profondeur, du Quartier des Lentillères à Dijon, cette friche en lutte contre le bétonnage où la vie reprend tout son sens.

J’appelle tout le monde à se rendre dans la rue mardi et à toutes les manifestations qui suivront pour mettre en échec le gouvernement dans sa tentative d’accentuer encore le désastre. J’appelle tout le monde à conjurer la paralysie et la peur qui les empêche de se lever et à les combattre à chaque instant pour que vienne un temps dont on s’éprenne.

Ils nous paraissent grand car nous sommes à genoux, levons-nous !

Prise de parole de la sœur de Robin

Robin,

J’étais déjà au courant de la dangerosité des armes de le police. Les blessés, les mutilés, les tués par les flics se multiplient. Si le discours officiel veut nous faire croire que l’utilisation de ces armes permettrait d’éviter aux manifestants d’être blessés en les tenant à distance, ton histoire nous prouve une fois de plus qu’il n’en est rien. On ne parle malheureusement pas de faits exceptionnels mais de conséquences du maintien de l’ordre tout à fait calculées. La récente commande du gouvernement de plus d’un million de « grenades de maintien de l’ordre et de moyens de propulsion à retard », deux semaines après l’explosion de celle qui a bousillé ton pied, nous montre avec cynisme leur volonté de persévérer dans cette voie.

Est ce que ça veut dire qu’aujourd’hui, aller à une manifestation signifie prendre le risque de se faire blesser ou mutiler ? Cette répression a pour but de nous faire peur. Je suis moi même souvent paralysée à l’idée de participer à une manifestation, mais ce monde regorge de raisons de se battre et se résigner serait la pire des options.

Je ne réalise concrètement qu’aujourd’hui, après t’avoir vu à l’hôpital et raccompagné chez toi, les conséquences qu’une telle blessure provoque. Ton quotidien et celui de tes proches va être bouleversé. Les prochains mois s’annoncent difficiles mais je sais que tu n’es pas du genre à te laisser abattre et que tu peux compter sur le soutien de ton entourage.

Prends soin de toi.

Lettre de soutien de Franck Michalon

Après l’assassinat de mon frère Vital, en 77 à Creys-Malville, il m’a fallu des années avant d’accepter de mettre un enfant au monde. Quelle responsabilité énorme en effet que de donner envie à un enfant de participer à une évolution positive de notre société ?

Mais aussi quel encouragement à l’action qu’est le regard de notre enfant dont on veut tant qu’il soit fier de ses parents ?

Alors, le soir, pendant ce moment si fort, indispensable, du coucher de notre enfant, lorsque celui-ci nous pose la question : « Papa, qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » Je me demande vraiment comment on peut répondre, fièrement : « J’ai balancé des grenades sur des manifestants. On en a blessé plusieurs, tué 1 ou 2... » ?

Moi, je veux pouvoir dire à mon enfant ce que j’ai fait pour que le monde soit en paix, que tous les êtres humains et la planète soient respectés. Je veux pouvoir lui montrer que c’est à notre portée, à la portée de chacun, chacune d’entre nous. Que lui aussi a un pouvoir de bienveillance qui va contribuer à une humanité meilleure.

Les gouvernements successifs de notre pays veulent nous imposer leur violence. A nous de leur imposer la non-violence.

Continuons. Ne lâchons rien. Oui, Robin, je suis bien d’accord avec ce que tu écris : « nous ne baisserons pas les bras, nous persévérerons à construire d’autres mondes et à empêcher la métropolisation de toute la surface de la planète. C’est nous qui avons raison, ils finiront bien par entendre. »

Et tu peux dire ça a tes enfants avec fierté.

Franck Michalon.

Lettre de soutien du camarade interdit de territoire à Bure, contre la mutilation physique et géographique

Cher Robin,

On ne le dira jamais assez aujourd’hui en France la doctrine ’zéro mort’ en maintien de l’ordre n’est qu’une fiction. Une fiction qui ne résiste pas à cette vérité crue : une arme qui mutile peut tout aussi bien tuer. Le 15 août dernier j’étais là. J’ai vu les grenades pleuvoir du ciel. Je les ai vu exploser au sol comme en l’air. Tout les tours de passe passe orwellien n’y suffiront pas. Cet après-midi là les gendarmes, sous ordre de leurs supérieurs, ont pratiqué un grenadage méthodique sur une surface s’enfonçant à plus de 70 mètres des premières lignes de manifestants, uniquement pour défendre un carrefour à la sortie de Saudron. Blessant et mutilant une trentaine d’entre nous.

Maintenant la répression à Bure ne s’embarrasse même plus du vernis judiciaire au travers des interdictions de territoire, pour signifier à un opposant à Cigéo de ne plus remettre un pied en Meuse. Elle lui mutile directement le pied. Et les mêmes ont l’indécence de dire que nous nous sommes radicalisé cet été. Radicalisé à coup de bris de verres et de pots de fleur au bar de l’hôtel restaurant de l’ANDRA, de vols de paquets de noix de cajou au carrefour de Gondrecourt.

Cette fable estivale aurait pu être plaisante à l’oreille si elle n’avait pas servie à justifier de lourdes semaines de stratégie de la tension : contrôles routiers avec fusils d’assaut en bandoulière,menaces arme au poing de tirer à vue sur des opposants coupant à travers champs, interpellations musclées tous azimuts avec canon sur la tempe et la nuque. Voici comment l’État terrorise les soi-disant terroristes anti-nucléaire. Voici comment ils ont pu gravement blesser ton pied Robin. Mais toi aussi tu te laissera jamais intimider et atomiser, j’en suis sur.

Que crève la répression sous toute ses formes à Bure comme ailleurs !

A très bientôt dans le bois Lejuc.

La lutte continue !

Un interdit de territoire.’

Compilation des autres textes et interventions écrit et/ou lues lors du rassemblement :

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