Balkan Beat Vol. II

En Serbie, les étudiants s’organisent.

paru dans lundimatin#14, le 15 mars 2015

Serbie, 2014. Comme dans beaucoup d’autres pays, l’heure est aux restrictions budgétaires. Comme dans beaucoup d’autres pays celles-ci touchent fortement l’enseignement supérieur. À ceci près qu’en Serbie, les universités sont caractérisées par une autonomie budgétaire significative. Cette politique libéralisée se traduit par des frais d’inscription au montant anormalement élevé. Frais qui, par ailleurs, fluctuent d’une université à l’autre et au sein d’une même université – les études de médecine étant les plus chères. Ainsi, les administrations universitaires ont la possibilité de récupérer les financements perdus sur ces frais d’inscription – ce qu’elles font. C’est là qu’interviennent les étudiants, qui ne sont pas d’accord, et qui comptent bien se faire entendre.

Tout commence à la rentrée 2014, lorsque l’administration de la faculté de Philosophie (incluant, entre autre, l’Histoire, la Sociologie, l’Anthropologie, la Psychologie) modifie effectivement les modalités de financement des frais d’inscription. Actuellement les étudiants doivent payer 1000 euros par année d’étude, dans un pays où le salaire moyen est de 250 euros. Pour atténuer cette énormité, il existe un système permettant d’obtenir le subventionnement total de l’année universitaire selon les résultats de l’année précédente. Ces résultats doivent dorénavant être bien plus importants pour pouvoir prétendre à la gratuité de l’année suivante.

Les étudiants font circuler une pétition contre cette décision mais les 2000 signatures (sur 2500 étudiants inscrits) n’incitent pas l’administration à la négociation. Ils décident alors de bloquer et d’occuper leur faculté tant que la nouvelle mesure ne sera pas levée. L’occupation se met en place : certains étudiants organisent des cours de philosophie et d’histoire de l’art ; les musiciens parmi eux donnent des concerts de musique classique, de rock ou de rap ; des projections de films ont lieu, ainsi que des cours d’initiation au Yoga et au Ju-Jitsu. Des groupes de réflexion se forment pour discuter régulièrement de différents sujets. Les occupants organisent aussi un « Festival du blocage », durant lequel ont lieu des projections de séries de films, des jeux de société, des tournois d’échec. Les premières semaines d’occupation font naître un nouveau collectif : le Mouvement des Etudiants Auto-organisés 2014 ( SoSP, Samoorganizovani Studentski Pokret 2014).

Rapidement les étudiant cherchent à étendre leur lutte et se rapprochent du mouvement des travailleurs, dont la situation, à l’instar des travailleurs bosniaques, est proche du désespoir. Les employés de l’entreprise publique « Nega Kola », qui gère l’entretien de wagons de passagers, sont en grève et bloquent la circulation de plusieurs trains, en raison notamment du non-versement des salaires. Les étudiants appellent alors à soutenir le blocage et organisent une journée durant laquelle ils rejoignent les travailleurs dans leur occupation partielle de la gare de Belgrade. Des banderoles sont déployées : « Etudiants et travailleurs, lutte commune », « Haltes aux attaques contre les étudiants et les travailleurs, tous ensemble contre les mesures d’austérités ». Pourtant, ce mouvement ne va pas prendre l’ampleur commune attendue, et si les étudiants et les travailleurs continuent de lutter, c’est chacun de leur côté.


« Etudiants et travailleurs, lutte commune »

La mobilisation étudiante et l’occupation se poursuivent effectivement, atteignant d’autres facultés belgradoises, mais l’administration de la faculté de Philosophie refuse toujours toute négociation. Elle accable même certains étudiants de sanctions disciplinaires. L’arbitraire de ces sanctions est criant : aucun incident n’a eu lieu et les accusations ne sont alors pas explicitées. Un des étudiants concernés dénonce cette tentative d’intimidation : « ils veulent nous démoraliser mais ça ne va pas marcher, et comme a dit Gandhi : »d’abord ils vont vous ignorer, ensuite ils vont se moquer de vous, après ils vont se battre contre vous et finalement vous allez gagner« . Voilà, maintenant il ne nous reste plus qu’à attendre de gagner ». En effet, les réactions de l’université ressemblent de plus en plus à un combat acharné contre les étudiants : multiplication des sanctions disciplinaires, coupure de l’électricité dans la faculté – plongeant les occupants dans l’obscurité, sans chauffage –, fermeture des locaux par la sécurité – emprisonnant ainsi les étudiants dissidents pendant plusieurs heures.


Assemblée Générale dans le noir suite à la coupure d’électricité.

Pourtant, le mouvement ne se laisse pas démonter. Les étudiants discutent ensemble de la stratégie à adopter face aux sanctions disciplinaires qui pourraient causer leur renvoi de l’université. Ils optent finalement pour une réaction collective : des rassemblements et des journées de soutien aux étudiants sanctionnés s’organisent. Les dix-sept jeunes concernés sont finalement accusés d’avoir été violents, verbalement et physiquement, à l’encontre du Doyen et du secrétaire de l’université. Ils nient ces accusations jugées sans fondement et ayant pour seul but de les punir de l’occupation de l’université. Un avocat est alors invité à faire une intervention sur la légalité du blocage.

Le Doyen de la Faculté de Philosophie finit par rétablir le système de financement des frais d’inscription et le 3 décembre, une majorité d’étudiants votent la fin du blocage. Toutefois, les autres revendications des étudiants, relatives à la vie universitaire et aux montant des frais d’inscription, n’ont pas été prises en compte et les sanctions disciplinaires n’ont pas été levées. Pire encore, l’administration universitaire d’un côté et certains professeurs de l’autre, engagent des poursuites judiciaires contre huit étudiants. Les accusations : agressions, insultes et menaces proférés à l’encontre des professeurs et des autres étudiants ; restriction de la liberté de circulation des personnes ; destruction de biens. Les avocats consultés par le Doyen à ce sujet affirment qu’une enquête policière au sein de l’université ne constitue pas une violation de son autonomie. Le Doyen quant à lui n’a rien à déclarer : les sanctions disciplinaires sont désormais l’affaire de la commission en charge de la question et les poursuites judiciaires sont l’affaire de la police. Cependant, il rappelle l’entière coopération de l’université dans cette enquête.


Rassemblement contre les répressions et en soutien aux étudiants sanctionnés

Les étudiants appellent d’abord toute la population à un rassemblement, puis votent de nouveau le blocage et l’occupation de l’université le 25 décembre. L’occupation sera de courte durée puisque, lors d’une nouvelle assemblée générale le 8 janvier, les « anti-blocage » votent la fin de l’occupation.

Depuis lors, plusieurs étudiants sont convoqués à des interrogatoires, à titre informatif, dans différents commissariats de Belgrade. L’enquête commence et les voilà maintenant confrontés à l’Etat. La violence de ces entretiens incite le SoSP (mouvement des étudiants auto-organisées) à rendre compte de la situation sur leur site internet. Insultes et menaces vont bon train ; les policiers cherchent à effrayer les étudiants par d’éventuelles expulsions de l’université, à les intimider en insistant bien sur le fait qu’être condamné impliquerait aussi celui de ne jamais être embauché. Certains ont même été encouragés à dénoncer leurs amis, se faisant entendre dire qu’il était préférable de nommer un responsable, afin de ne plus avoir de problème avec la justice. Le SoSP décide d’organiser une campagne d’information, à destination des médias et de la population, afin de révéler les manoeuvres policières.
Pendant ce temps, les cours ont repris et les professeurs – que les étudiants avaient tenté en vain de rallier à leur cause – compte bien participer pleinement à la punition générale des bloqueurs. Outre les poursuites judiciaires civiles engagées, ces derniers se font refuser des cours, ainsi que des examens.

Telle est la situation dans laquelle se trouvent actuellement les étudiants de la faculté de Philosophie. Ils continuent pourtant, plus que jamais, de s’organiser ensemble afin de lutter contre les répressions en réponse aux revendications, contre les tentatives de dissuasion, dont le but est d’éviter tout soulèvement à venir – notamment contre la nouvelle loi relative à l’enseignement supérieur, attendue pour septembre 2015.

Pétitions, assemblées générales en grand nombre, intervention d’un avocat sur la légalité de l’occupation, campagne d’information sur les interrogatoires policiers, les étudiants utilisent tous les moyens pacifiques, démocratiques et légaux pour se faire entendre, mais cela n’a pas l’air de suffire à faire le poids contre le combat acharné mené par les différentes autorités. Vont-ils réussir à faire valoir leurs revendications, à l’instar des étudiants macédoniens ? Vont-ils réussir à faire cesser cette politique d’intimidation ? Quoiqu’il advienne, après 80 jours d’occupation, plusieurs mois de protestations, beaucoup de rencontres, les étudiants, désormais auto-organisés, ne comptent pas abandonner la lutte.

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